Les entretiens AFC au festival "Séries Mania", de Lille, édition 2025

Benjamin Louet nous parle de son travail sur la mini-série "37 secondes", réalisée par Laure de Butler

Par François Reumont pour l’AFC

Contre-Champ AFC n°365

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Réalisée par Laure de Butler ( "Syndrome E" pour TF1 ou "Irrésistible" pour Disney), la série "37 secondes" s’attaque à un fait divers non élucidé qui remonte au 15 janvier 2004, le naufrage soudain du chalutier "Bugaled Breizh" dans les eaux internationales au sud du cap Lizard. Solidement documentée et tournée sur les lieux-mêmes de la tragédie, cette série de 6 épisodes produite pour la chaîne Arte est sélectionnée en compétition française cette année à Séries Mania. C’est Benjamin Louet qui en signe les images et qui vient nous parler de ce tournage où l’histoire et la fiction cohabitent intimement. (FR)

Le 15 janvier 2004, le "Bugaled Breizh", un chalutier breton, coule brutalement au large des côtes anglaises, provoquant la mort de ses cinq marins. Face à une mécanique judiciaire obscure, Marie, la belle-sœur d’une des victimes, va devenir la porte-parole des familles des disparus et se lancer dans une longue quête pour la vérité. 

Tourner une série sur le naufrage mystérieux du "Bugaled Breizh", on imagine qu’il faut un peu avoir l’expérience de la mer ?

Benjamin Louet : Je n’ai pas vraiment de lien direct avec la mer ni à proprement parler le pied marin ! Mais j’avais un arrière grand-père qui, lui, était marin, et à qui j’ai souvent pensé pendant tout le tournage. Cette expérience m’a notamment permis de découvrir le milieu dans lequel il a vécu. J’ai soudain réalisé une certaine similitude avec la vie des équipes de tournages, surtout en série, qui peuvent partir trois ou quatre mois loin de chez eux, avec ce rythme d’intermittence qui s’établit alors avec la famille ou les proches. Le fait même de se retrouver sur le même bateau pendant plusieurs semaines et de travailler avec une équipe pendant cette période a soudain pris beaucoup plus de résonance dans ma tête. Se retrouver en vase clos, avec cette intensité qu’on connaît bien sur un plateau.

Equipe réduite sur le Bugaled Breizh
Equipe réduite sur le Bugaled Breizh


Comment aborder un tel travail ?

BL : Pas mal de documentaires ont été tournés sur cette affaire. Avec beaucoup d’images d’archives, des actualités, des émissions de radio... Tous ces éléments nous ont été très utiles pour préparer le projet. La production nous avait tout envoyé pour qu’on puisse se sentir parfaitement dans l’ambiance. En plus, la décision principale prise par Anne Landois, la créatrice de la série, de tourner sur les lieux mêmes des événements a été fondamentale. Par exemple, quand on revoit les images d’archives de 2004 avec les familles qui se réunissent dans le bâtiment du comité des pêches du Guilvinec, et bien c’est exactement cette même salle dans laquelle nous avons tourné plusieurs scènes dans la série, dont celle où les familles viennent découvrir le résultat d’une identification d’un corps retrouvé dans l’épave (épisode 3). Des moments forts, très chargés en émotions qui ont certainement aidé les comédiens et l’équipe dans leur travail. Bien sûr, le scénario a pris des libertés sur les histoires personnelles de chaque personnage, mais beaucoup d’éléments, de scènes et de lieux étaient vraiment authentiques sur le projet.

Benjamin Louet et la réalisatrice, Laure de Butler
Benjamin Louet et la réalisatrice, Laure de Butler


Et les personnes-clés du dossier... Ont-elles été contactées ?

BL : On a pu rencontrer le vrai avocat des familles (interprété par Mathieu Demy dans la série), ou l’expert sous-marinier, qui sont tous les deux encore là pour témoigner. De même, le président du comité des pêches de l’époque nous a accueillis sur les lieux, nous faisant visiter le port, et tous les endroits symboliques qui ont marqué cette affaire. En fait, je crois qu’avant même de décider d’une certaine direction artistique sur cette série, l’important pour nous était de nous plonger dans ces lieux, de comprendre des couleurs les ambiances lumière de ce port breton. C’est vraiment à partir de cette expérience en repérage qu’on a pu avec la réalisatrice et les autres chefs de poste trouver l’image de la série.


La série se caractérise par une ambiance assez froide, dans les cyans...

BL : On a travaillé à partir d’une série de photos de repérages, avec l’hiver comme élément de départ (les événements ont eu lieu à partir de janvier 2004). L’autre chose qui nous a frappés sur place, c’est les tons bruns rouge. Là-bas, tout est absolument envahi par la rouille ! Rien ne résiste à l’eau de mer et aux embruns. Même parfois les pierres elles-mêmes semblent couvertes de rouille. Et c’est cette observation qui nous a menés à vouloir récupérer du rouge dans les basses lumières, avec en contrepoint des hautes lumières plutôt froides, cyan. Jouer un côté très âpre, très contrasté dans les couleurs entre les ombres et les parties les plus claires de l’image. En tout cas ne jamais chercher quelque chose d’esthétisant, mais plutôt aller vers le réaliste, l’authentique.

Comment les habitants du Guilvinec vous ont-ils accueillis ?

BL : L’histoire de ce naufrage en Bretagne est connue de tous. C’était d’ailleurs assez touchant de voir parfois en cours de tournage sur le port, dans les rues les gens parfois s’arrêter et nous remercier d’en reparler... La bataille judiciaire étant désormais close, faire vivre une dernière fois ces marins à travers une série semblait beaucoup les toucher. Un autre moment incroyable a été le jour où nous avons dû filmer le bateau pour toutes les séquences d’ouverture, puis celles qu’on retrouve par la suite au cours de la série en flash-back. En dénichant un chalutier qui pouvait plus ou moins s’apparenter au disparu, sur lequel la déco allait inscrire le nom "Bugaled Breizh" sur la proue. Quand on connaît la superstition qui règne dans le milieu des marins, vous imaginez que ça n’a pas été forcément quelque chose de facile ! Et pourtant, à l’issue de ces séquences en mer, on a pu constater qu’une bonne centaine de personnes était amassée à l’entrée du quai à notre retour. Parmi lesquelles - on l’a appris plus tard - plusieurs membres des familles des disparus. Vous imaginez, rentrer au port avec cette foule autour de vous, c’était vraiment un moment impressionnant qui dépasse de très loin ce que vous pouvez en général vivre sur un plateau.

Louis Mikulic (chef machino), Benjamin Louet, à la caméra, Laurent Cercleux (chef op son), Baptiste Brandily (1<sup class="typo_exposants">er</sup> AO) et Lucie Decoster (scripte)
Louis Mikulic (chef machino), Benjamin Louet, à la caméra, Laurent Cercleux (chef op son), Baptiste Brandily (1er AO) et Lucie Decoster (scripte)


En combien de jours avez-vous tourné ?

BL : La série a été tournée en 60 jours, pour six épisodes de 52 minutes, avec un plan de travail qui s’est déroulé de février à mai 2024. Naturellement, on a surtout enchaîné les séquences d’extérieurs de février à mars, pour bénéficier de cette ambiance hivernale qui marquait les événements d’origine, pour ensuite plus se concentrer sur les intérieurs sur le reste du tournage. L’enjeu principal, quand vous travaillez sur une série inspirée d’une histoire vraie, et qu’en plus vous êtes sur les lieux mêmes du drame, c’est de surtout ne pas trop en faire à l’image. Garder cette sorte d’humilité à la caméra. Et surtout trouver la bonne distance pour qu’on reste assez pudique dans la narration. Ça, c’était quelque chose d’assez nouveau pour moi dans le sujet et dans le traitement car les précédentes séries que j’avais tournées avaient pris des choix d’image bien plus stylisés. Et en tant que directeur de la photographie, je trouve d’ailleurs que c’est bien plus passionnant de pouvoir changer d’ambiance à l’image à chaque film... C’est une vraie chance de nos métiers de pouvoir passer d’un projet très différent à un autre.

La série mêle sans les identifier clairement les époques (le procès de 2021) et le passé (les mois qui suivent ou précédent le naufrage en 2004). C’était décidé dès le départ pour vous de ne pas faire de différence en termes d’image ?

BL : Oui, c’était quelque chose de très clair. La série s’ouvre sur une séquence de tribunal au Royaume-Uni qui se déroule en 2021, à laquelle répond une courte scène de présentation avec l’équipage sur le bateau en 2004, puis un long plan qui part depuis un vitrail et se termine dans l’église pleine lors d’une messe dominicale, comme un contre-champ au plan d’ouverture. Et la série joue ensuite régulièrement sur ces allers-retours entre périodes, sans jamais marquer précisément à l’image la temporalité. On voulait vraiment montrer cette espèce de puzzle, avec des pièces toutes de la même facture qui s’imbriquent peu à peu les unes avec les autres. En un mot créer un look pour l’ensemble de la série, et l’appliquer quelle que soit l’époque. Comme je souhaitais partir sur une base plutôt réaliste pour l’image, avec une sensation assez piquée - et surtout pas aller vers quelque chose de vintage ou trop stylisée –, j’ai fait quelques essais en prépa entre la série Sigma Cine Lens et les Zeiss Supreme Radiance sur l’Arri Mini LF. Ce qui m’a beaucoup plu dans le rendu des Sigma, c’est les tonalités froides qu’elles amenaient dans les hautes lumières et sur les carnations. Contrairement aux Supreme, au rendu plus doré, plus glamour d’une certaine manière. Car on voulait vraiment sentir sur les visages, le froid, les embruns, le vent... Que la mer marque l’image. Combinée avec un peu de rouge au maquillage sur les peaux, ces optiques fonctionnaient très bien en contrepoint.

Le zoom arrière dans le tribunal
Le zoom arrière dans le tribunal


La série s’ouvre avec un long zoom arrière, forme très narrative que vous privilégiez au départ...

BL : D’une manière générale, on a pas mal utilisé les zooms et les travellings sur le début du premier épisode, pour sentir cette histoire qui va se resserrer progressivement sur les protagonistes. La nouvelle du naufrage se propageant. Mais c’est un style qu’on a ensuite mis de côté pour passer sur des plans plus posés. Un des enjeux aussi en termes de narration – comme souvent dans les séries chorales -, c’était de gérer tous ce groupe de personnages touchés par le naufrage. Comment faire exister un individu au sein du groupe, ou au contraire le noyer au milieu. La séquence des obsèques des marins à l’église dans l’épisode 1, par exemple. Une scène avec presque tous les proches des victimes, où on isole Marie et l’armateur du bateau en jouant sur le point de vue de cette dernière.

Au milieu de l’épisode 3, une scène importante se déroule aussi sur le port entre l’avocat et la représentante désignée des familles.

BL : C’est le moment où le personnage de Marie décide vraiment de s’impliquer en première ligne. Pour cette séquence de dialogue assez classique entre elle (Nina Meurisse) et Christophe l’avocat (Mathieu Demy), on a opté pour une sorte de valse où la caméra part d’un regard, pour aller sur une main, en panotant au gré de la scène. Les unifier à l’image, en s’éloignant du classique champ contre-champ, ça c’était notre idée. C’est le moment où la relation entre ces deux personnages prend vraiment forme, et où cette sorte de combat de Marie pour la vérité s’engage clairement.

L'épave renflouée du Bugaled Breizh
L’épave renflouée du Bugaled Breizh


Avez vous revu Titanic   ?

BL : Ah non ! Mais c’est vrai qu’on a objectivement des choses en commun avec le film de James Cameron. La reconstitution du naufrage par modélisation par exemple. Ou l’exploration de l’épave...
Bon, nous, on avait quand même pas le même budget ! Par exemple, cette courte scène sous-marine a été reconstituée le dernier jour de tournage. On a investi la piscine de Lorient avec deux simples feuilles de déco immergées pour simuler l’épave du bateau. Filmées dans tous les sens...

Le décor prêt à être immergé
Le décor prêt à être immergé


C’était minimaliste mais ça fonctionne. De même les scènes de flash-back sur le bateau que j’évoquais avec les marins avant le naufrage ont été tournées en toute petite équipe, soit six personnes (réalisatrice, scripte, pointeur et ingé son) plus les cinq marins à l’image, dont deux étaient les vrais pilotes du bateau.
Je me souviens que les 30 premières minutes, on en menait vraiment pas large niveau mal de mer, et puis une fois le tournage lancé j’ai l’impression que l’adrénaline des premières prises nous a soudain fait tous oublier les vagues de ce mois de février.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)