"British Cinematographer" met en honneur Georges Périnal, BSC, et Darius Khondji, AFC, ASC

Contre-Champ AFC n°335

Dans son numéro 113 de septembre 2022, le magazine British Cinematographer propose, entre autres textes sur le travail de chefs opérateurs divers, un article célébrant le travail et le talent du directeur de la photographie français Georges Périnal, qui fut l’un des membres fondateurs de la BSC. Sont mis également en honneur dans ce numéro la carrière de Darius Khondji, AFC, ASC, d’une part, et son travail sur Armageddon Time, de James Gray, d’autre part.

Georges Périnal, BSC, poète de la lumière
Dans le premier volet du tout nouveau "Patrimoine de la BSC", adapté des portraits figurant dans Preserving the Vision, un livre BSC compilé et rédigé par Phil Méheux, BSC, et James Friend, ASC, BSC, Georges Périnal est présenté en tant qu’un des membres fondateurs de la BSC et premier directeur de la photographie à recevoir un Oscar pour une production britannique.
Né à Paris, Georges Périnal, passionné de mécanique, a débuté en 1913 en tant que mécanicien dans le domaine des projecteurs de cinéma et a travaillé comme chef mécanicien chez Pathé Frères. Devenu projectionniste, il voulut savoir comment fonctionnaient les appareils de prise des vues. Curieux, il se mit à tourner quelques petits films qui l’ont conduit à rencontrer le réalisateur français Jean Grémillon, avec qui il a tourné des documentaires. Par la suite, il fut reconnu grâce à des films qu’il tourna pour René Clair à la fin des années 1920, tels que Sous les toits de Paris et Le Million. Après le tournage du Sang d’un poète (1932), Jean Cocteau avait déclaré : « Le mécanicien qu’il croyait être est devenu, sans qu’il le sache lui-même, un poète de la lumière ».

En 1933, Alexandre Korda, pour qui Georges Périnal avait photographié à Paris The Girl from Maxim’s, lui demanda de tourner The Private Life of Henry VIII (1933), avec Charles Laughton. Ce qui commença une longue et fructueuse relation entre eux. Il vint en Angleterre et s’y installa en travaillant pour Alexandre Korda, dont la maison de production était London Films, sur des films comme The Rise of Catherine Th Great (1934), réalisé par Paul Czinner, The Private Life of Don Juan (1935), d’Alexandre Korda, Sanders of the River (1935), de Zoltan Korda, et Rembrandt (1936), d’Alexandre Korda.
Le biographe d’Alexandre Korda, Karol Kulik, a écrit : « ... en capturant la "lumière du nord" particulière qui illumine l’atelier de Rembrandt et ses peintures, Périnal a créé des compositions picturales qui semblent – dans la gestuelle, la lumière et la disposition dans l’espace – être des exemples de tableaux de Rembrandt lui-même prenant vie sur pellicule celluloïd ». [...]

Darius Khondji, AFC, ASC, maître artisan, par Adrian Pennington
Peu de directeurs de la photographie contemporains affichent tant étoilé un CV tel que Darius Khondji, AFC, ASC. Le DP franco-iranien revisite sa remarquable carrière, révélant ses collaborations avec des réalisateurs qui lui ont laissé des impressions durables.
En dehors des plateaux, Darius Khondji, AFC, ASC, prend constamment des photos avec son iPhone. Il les appelle des "esquisses". « Je pense toujours à des scènes dans le film que je suis en train de faire. Je vais même dormir et parfois rêve de lumière. C’est mon travail et ma passion. »
L’âgé de 66 ans est un des plus célèbres directeurs de la photographie contemporains, avec une "hit list" de réalisateurs sur son CV, chacun d’eux pouvant évoquer une jalousie professionnelle.
Khondji a été nommé aux Oscars et au BAFTA pour son travail sur Evita, avec des nominations aux César pour Delicatessen et La Cité des enfants perdus. Il fut lauréat du Golden Globe italien pour Beauté volée et du Prix de l’Association des critiques de cinéma de Chicago pour Se7ven. À Cannes cette année, il a été primé de l’Hommage Pierre Angénieux en reconnaissance d’une carrière exceptionnelle.
« Quand je lis un scénario, je n’aime pas avoir des mentions sur la caméra et la lumière (quand la caméra et la lumière sont déjà précisées) ou trop de commentaires sur la photographie dans le scénario », dit-il. « Mais j’aime aussi travailler avec des réalisateurs qui me lancent des défis. Le frères Safdie fut une des plus extraordinaires expériences récemment. Uncut Gems était un petit et faible budget et ils m’ont poussé en dehors de ma zone de contrôle. Ils voulaient un réalisme brutal, ils voulaient des longues focales et des longs plans en travelling.
Pour moi, c’était comme grandir sur une territoire différent, dans un jardin différent. J’ai appris quelque chose de neuf sur moi. » [...]

Collaborations de rêve
Après que le succès de Se7ven a établi la réputation internationale de Khondji, son agent lui a demandé avec qui il aimerait travailler prochainement. « Je lui ai dit : un rêve serait Bernardo Bertolucci. Ils ont organisé une rencontre avec lui à Paris. Je l’ai emmené au laboratoire voir des séquences de La Cité des enfants perdus. Je ne sais pas comment... ce fut un miracle... mais il a décidé de m’engager. Il a eu un effet vertigineux sur moi. »
La sœur de Khondji l’avait en premier emmené voir Le Conformiste en 1970 et maintenant il se trouve à Rome, demeurant dans l’appartement de Bertolucci, avant de repérer les décors de Beauté volée (1996). « C’était comme travailler à la bordure d’un toit », se souvient Khondji. « La Stratégie de l’araignée, 1900, Le Dernier tango à Paris, déroulés sous mes pieds comme une imposante histoire du cinéma et maintenant je voyage à travers la Toscane avec Bernardo dans sa Saab pour trouver des décors. Ce fut un moment magique. Le tournage du film a été spécial mais c’était tellement merveilleux de passer des semaines à trouver simplement le bon endroit sur une colline où la route était rouge et le paysage si parfait et vert. »
Un semblable concours de circonstances a mis en contact le DP avec Roman Polanski pour tourner La Neuvième porte (1999). Il se souvient avoir vu Le Bal des vampires (1967), le film du réalisateur, avec sa mère, puis Repulsion, Rosemary’s Baby et Chinatown.
« Je suis fasciné par les réalisateurs qui ont une telle polyvalence. Kubrick la possédait, Polanski aussi. Comment un être humain peut-il faire des films aussi brillants et aussi différents ? Travailler avec tout autre grand réalisateur est une question de chance. Vous devez être tous les deux à une croisée des chemins, le moment doit être le bon. » [...]

Plus occupé que jamais
Il aurait beaucoup aimé avoir travaillé avec Stanley Kubrick et s’en est approché à un certain moment, quand son agent et le producteur de Kubrick sont entrés en contact. Mais ça ne s’est pas fait. « Je respecte le fait que Kubrick aimait travailler avec un groupe d’artistes tel que John Alcott. »
Une autre ambition est de tourner un film dans son pays natal ou avec un cinéaste iranien. Il n’a pas été loin de travailler avec Abbas Kiarostami quand ils se sont rencontrés en 2002 mais ce fut un autre projet évaporé dans la nuit.
« J’ai des souvenirs confus de l’Iran », dit-il, « Quelques images fortes qui me sont propres, quelques-unes que ma famille m’a racontées. Je ne parle pas Farsi mais je me sens très connecté au pays et à sa population. »
Il parle de son premier film avec Nicolas Winding Refn en numérique, « qui peut rendre les directeurs de la photo paresseux », et de son premier tournage avec des LEDs sur Bardo, d’Alejandro González Iñárritu, LEDs dont, après avoir fait quelques recherches pour le film, un merveilleux nouvel outil avec lequel il serait content de travailler de nouveau.
Il travaille en ce moment de nouveau avec Bong Joon-ho, avec qui il avait fait Okja (2017).
« Hier soir, je marchais dans Londres et j’ai traversé un auvent solide avec une belle lumière douce venant du haut. J’ai pris une photo parce que je voulais la montrer à mon formidable chef électricien. Je suis constamment en train de travailler. »
Outre les "esquisses", il n’oublie pas de visiter les galeries d’art. cette semaine c’est la Tate et les Serpentine.
« Les peintures n’ont pas d’influence directe sur moi. C’est plus une atmosphère. Les galeries sont des endroits où vous pouvez changer votre regard sur la lumière et vous en sortez plus fort. J’ai tendance à le faire après avoir terminé un projet. C’est une sorte de palette nettoyante. »

Rois et reines, par François Reumont
Dans un article d’une page, François Reumont reprend, dans des termes rédigés de manière différente et en complément, les sujets abordés dans l’article ”Darius Khondji, AFC, ASC, évoque son travail sur Armaggedon Time, de James Gray".

  • Lire ou relire l’article de Marc Salomon, membre consultant de l’AFC, sur Georges Périnal

Les extraits de ce numéro de British Cinematographer sont traduits de l’anglais par l’AFC.