Choqué !

Rémy Chevrin, directeur de la photographie, AFC

par Rémy Chevrin La Lettre AFC n°233

Convention collective : un mot qui semblerait devenir tabou, presque grossier, dans l’industrie cinématographique. Mais de quoi parlons-nous ? De droit essentiel du travail, comme des droits de l’homme, comme l’ensemble des droits que l’on peut attendre dans une société bien éduquée.

Je viens d’une famille où il a été toujours question de l’humain, de ses droits, de son droit au respect et à l’écoute.
Et j’aime l’idée d’être le prolongement de mon éducation, de ce que j’ai appris et pense avoir retenu, non comme une leçon de morale mais comme une leçon d’écoute de tolérance et d’humanité... Et là, depuis quelques temps, il n’est plus question que d’intérêt personnel, de pouvoir et d’ego. De dictature de la pensée.
Et je suis CHOQUÉ.

Choqué que les institutions qui régissent le droit du travail dans notre pays puissent être bafouées par quelques putschistes.
Choqué que l’on me fasse la morale sur les engagements que je devrais tenir pour exercer mon métier avec passion.
Choqué que l’on nous donne des leçons d’attitude et d’engagement quand nous y laissons notre santé et notre vie de famille.
Choqué que l’on puisse traiter les techniciens et ouvriers du cinéma français comme les fossoyeurs du cinéma alors que nous sommes les plus forts soutiens d’un cinéma sous-financé depuis tant et tant d’années, soutien par notre engagement, notre passion, nos efforts permanents techniques et humains, notre implication universellement reconnue, nos méthodes enviées de raisonnement et d’esprit artistique.
Choqué que l’on tire à vue sur une profession qui, année après année, doit se battre pour que l’on reconnaisse son implication, son savoir-faire, sa qualité de transmission envers les nouvelles générations.
Choqué par le peu de reconnaissance sur notre démarche artistique et créatrice, bien plus engagée que par la technique qui n’est bien évidemment pas notre unique moteur.
Choqué que l’on tente de ramener notre travail à de la technique pure alors que tout notre travail tend vers le ressenti, l’organique, le charnel, l’émotion, le JUSTE.
Choqué que l’on considère mon travail comme un métier banalisé où je devrais payer pour exercer mon hobby et remercier que l’on me fasse travailler.
Choqué d’un déséquilibre de plus en plus marqué dans les budgets des films.
Choqué que l’on ne parle pas RÉELLEMENT des budgets de fabrication " over " et " under the line ".
Enfin choqué par tant de haine déversée par certains sur ceux qui accompagnent la fabrication des films avec passion.

Alors oui, nous devons mettre en place une CC respectant chacun dans l’exercice de son travail.
Je reconnais que cette CC a mis du temps à se mettre en place et qu’elle est complexe à déchiffrer mais elle a le mérite d’avoir rassemblé des années de travail et de connaissance de la fabrication des films sans renier le travail de quiconque et c’est de cela dont il est question.
Cette zone de non droit que d’aucun aimerait voir perdurer est inacceptable. Et tant qu’un cadre légal ne sera pas mis en place, il sera impossible de rétablir une équité des financements des films et la répartition si nébuleuse de ses financements.
Cette Convention collective est perfectible sur certains points mais elle a l’avantage d’exister pour plus de justice dans notre profession. Pour les films et pour les réalisateurs comme pour les techniciens : une fois mise en place, naturellement, les vrais questions sur le financement, les RNPP (recettes nettes part producteur), la régulation seront débattues et solutionnées car nos métiers seront exercés dans un cadre légal. J’y tiens d’autant plus que depuis vingt ans, le cinéma que je défends et qui m’anime est celui qui est si mal financé. Et que je veux qu’il existe avec plus de force et qu’il soit reconnu encore plus comme la vitrine de ma passion.
Alors partageons tous cette passion avec équilibre : c’est de cela dont il est question...
« La culture est faite de tout ce qui permet à chaque homme d’éprouver et de manifester sa solidarité avec les autres hommes de tous les temps et de tous les lieux. Et cela au delà de toutes les opinions, de toutes les confessions, de toutes les philosophies. En un mot au delà de toutes les différences. La non culture, c’est l’indifférence et l’égoïsme. »
Sachons bien se placer et éviter les égoïsmes de certains...

Paris, 20 juin 2013