Editorial de La Lettre de mai 2019

Être ou ne pas être... sur la photo !, par Gilles Porte, président de l’AFC
Bien qu’elle vienne de tirer sa révérence, la cinéaste Agnès Varda y sera omniprésente puisqu’une photo la montrant sur le dos de Louis Stein, son chef opérateur, a été choisie pour être l’affiche de la 72e édition du Festival de Cannes ! L’image est belle… Ce qu’elle raconte aussi !

Qu’à ce dos de directeur de la photographie soit associée Jeanne Vilardebo, la scripte, dont l’identité n’aurait jamais dû être effacée de cette image qui a servi d’affiche au 72e Festival de Cannes… (Lire un article des Inrocks)
Le régisseur qui bloque une tondeuse à gazon afin que le son direct d’une prise soit préservé… La costumière qui coud parfois des plombs dans une robe de soie afin que celle-ci ne remonte pas quand une actrice saute dans l’eau… L’assistant réalisateur qui bloque un carrefour afin qu’une voiture travelling puisse y passer sans encombre… L’assistant caméra qui s’efforce de garder une image nette malgré une profondeur de champ réduite… Et toutes les techniciennes et techniciens qui se mettent à genoux pour permettre à des mots couchés sur le papier de rencontrer un jour le grand écran.
Et puisqu’à Cannes, il arrive parfois que certaines montées des marches soient particulières, ne serait-il pas formidable que comédiens et techniciens se regroupent un soir de cette quinzaine et empruntent à Brigitte Bardot – qui n’habite pas très loin – certains de ses chats afin de les mettre sur l’épaule pour rendre hommage à l’immense talent et au très grand amour du cinéma de Jean-Pierre Beauviala, disparu il y a moins d’un mois, et qui a permis à tant de films, grâce à son ingéniosité, d’être présents au bord de la Méditerranée.
Une caméra Aaton haute couture et des chats de gouttière au milieu du concours de robes en tout genre, qui se déroule chaque soir en marge de la compétition, n’auraient-ils pas également leur place sur la photo ?

A Bethléem, où j’étais invité dernièrement pour intervenir dans une école de cinéma, un étudiant me demande si un film Netflix sera présent à ce que tous considèrent ici comme le plus grand festival du monde. 
Non, cette année encore, Netflix ne sera pas sur la photo… Si cette décision peut paraître ringarde pour quelques-uns, elle reste avant tout politique ! Expliquer à un étudiant palestinien ce qu’est la chronologie des médias en France alors que chez lui les salles de cinéma sont rares est étrange mais comment ne pas comprendre cette décision. Créée afin que le CNC puisse prélever des taxes sur les entrées en salles pour que celles-ci servent ensuite à financer de nouveaux films avant d’être exploités sous d’autres formes, la chronologie des médias est à l’origine d’un cercle vertueux qu’il s’agit de préserver pour l’intérêt de notre cinématographie, d’une part, et pour le plaisir de voir un film dans une salle obscure, d’autre part...
Dans les territoires palestiniens occupés, Internet est l’un des rares moyens de voir des films du monde entier. Faut-il pour autant remettre en question notre politique afin de protéger ce qui reste une caractéristique de notre exception culturelle ? 
Au milieu de ces considérations, Ibrahim me prend à part pour me faire une confidence : cette année, le court métrage Ambience dont il a signé la photographie a été sélectionné à Cannes par la Cinéfondation… Ibrahim est fier ! Ses images nées près de l’église de la Nativité vont passer par-dessus le mur ! C’est aussi cela qu’« être sur la photo » signifie pour quelques-uns !