Entretien CNC avec Antoine Héberlé, AFC, à propos de "Fièvre méditerranéenne", de Maha Haj

« Je n’ai aucune règle préétablie pour filmer la comédie » (Antoine Héberlé, AFC)

Contre-Champ AFC n°338


Le directeur de la photographie (Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel, Mademoiselle Chambon…) raconte sa collaboration avec Maha Haj sur Fièvre méditerranéenne. Primé pour son scénario à Un Certain Regard 2022, ce buddy-movie réunit, à Haïfa, un écrivain raté dépressif et un joyeux escroc à la petite semaine. Une comédie qui raconte un mal-être palestinien et la difficulté de trouver sa place en Israël.

Comment s’est faite la rencontre avec Maha Haj ?

Je l’ai rencontrée à l’époque où elle était mariée avec un premier assistant caméra avec qui j’avais travaillé sur Paradise Now, de Hany Abu-Assad, en 2005, qu’on avait tourné dans les territoires occupés. Maha Haj écrivait déjà, mais pas pour le cinéma. De mon côté, j’ai régulièrement travaillé avec des réalisateurs israéliens et palestiniens comme pour Wajib, d’Annemarie Jacir. C’est pendant le tournage de ce film, en 2017, qu’a eu lieu l’avant-première du premier long métrage de Maha Haj, Personal Affairs, que je suis allé découvrir. On s’est revus à cette occasion. J’ai pu lui dire tout le bien que j’avais pensé de son film. Et un an plus tard, elle m’a rappelé en me disant qu’elle avait un projet qu’elle aimerait faire avec moi.

Qu’est-ce qui vous donne envie d’accepter sa proposition ?

Quand je lis un scénario, je ne pense jamais spontanément lumière, mais je me laisse embarquer par une histoire et les émotions qu’elle peut dégager. Là, je connaissais la ville d’Haïfa où se situe l’action et j’ai réussi tout de suite à me projeter. Ce qui m’a beaucoup touché, c’est l’histoire d’amitié qui va naître entre ces deux contraires : Walid, le dépressif aux velléités littéraires non abouties, et Jalal, le petit escroc dont la fréquentation va redonner à Walid le goût de vivre. J’aime le fait que ces personnages ne soient pas identifiables tout de suite mais riches en ambiguïtés et insaisissables avant qu’ils ne se révèlent totalement à nous. Et puis j’ai aussi retrouvé dans ce scénario le ton du premier film de Maha Haj, ce sens de l’absurde hérité de son admiration pour Elia Suleiman avec qui elle a travaillé à la déco et qui l’a beaucoup encouragée à écrire pour le cinéma.

Personal Affairs fonctionnait, précisément comme dans un film d’Elia Suleiman, par une succession de longs tableaux. Ce n’est pas le cas dans Fièvre méditerranéenne. Il y avait dès le départ une volonté de s’en écarter ?

Cet aspect a été tout de suite au cœur de notre discussion. Je lui ai demandé si elle avait envie de renouer avec le même type de mise en scène tout en lui disant que, de mon point de vue, cela ne me semblait pas approprié pour cette histoire. Tout de suite, Maha Haj m’a expliqué vouloir tenter autre chose, ne pas s’enfermer dans un schéma. C’est ce qu’on a essayé de développer ensemble en partant sur l’idée d’un découpage minimaliste par exemple. Le rythme s’est également situé d’emblée au cœur de nos discussions tout comme une réflexion propre aux personnages. Dans leurs deux appartements, on a pris le parti d’être uniquement en plans fixes et un peu larges pour qu’on les observe comme des entomologistes. Le premier qui procrastine et repousse le moment où il va se mettre à l’écriture, le second un peu plus agité qu’on accompagne d’ailleurs, pour souligner ce mouvement, avec quelques plans en caméra portée souple.

Comment éclaire-t-on un film où la parole tient un rôle central ?

J’ai travaillé avec le chef déco Andreas Antoniou pour créer une sorte d’artificialité, de théâtralité dans la disposition des décors. C’est quasi imperceptible mais ça permet à mes yeux d’exprimer très vite le fait qu’on va raconter cette histoire sans avoir la nécessité de se situer dans le réalisme. Ce hiatus accompagne le côté décalé et absurde de l’humour de Maha Haj. [...]

(Source CNC)


https://vimeo.com/759820133