Entretien avec le directeur de la photographie Gilles Porte, AFC, à propos du film "La Conquête" de Xavier Durringer
Gilles est également à l’origine d’une démarche intitulée Portraits – Autoportraits [1] réalisée dans 37 pays, sur les cinq continents où plus de 4000 enfants qui ne savaient ni lire ni écrire se sont dessinés sur un papier noir et/ou sur une vitre sans jamais qu’un adulte n’intervienne.
Pour mémoire, Gilles a co-réalisé, avec Yolande Moreau Quand la mer monte [2] dont il a aussi signé les images.
Actuellement en préparation de son prochain long métrage "S" qu’il réalisera en Asie du Sud Est avec... Denis Podalydes, Gilles revient sur le tournage de La Conquête.
Abordons, Gilles, puisque la presse en parle tant, l’aspect médiatique de La Conquête…
Gilles Porte : Il est intéressant de noter qu’à ce jour, l’histoire autour de La Conquête est plus importante que le film lui-même puisque celles et ceux qui en parlent n’ont vu jusqu’à présent qu’une bande-annonce de 2 minutes. Sans doute cet intérêt vient du fait que La Conquête met en scène, pour la première fois dans toute l’histoire du cinéma français, un président de la République encore dans l’exercice de ses fonctions, et prend soin de conserver le nom des personnages impliqués.
Notons au passage qu’aux Etats-Unis et en Angleterre, cela se pratique depuis plusieurs années déjà.
Amusant également de voir comment un des thèmes principaux de La Conquête – dénoncer la façon dont le système politique se néantise – prend tout son sens au milieu d’un événement comme le festival de Cannes où la première dame de France a failli faire l’ouverture du film de Woody Allen.
Peut-être que les risques qu’ont pris deux producteurs [3] et une major [4] permettront d’ouvrir une brèche dans le cinéma français.
Peut-être la prochaine fois une chaîne hertzienne participera au montage financier d’un film du genre. En tous les cas, pour ce qui concerne La Conquête, aucun " décideur " d’une grande chaîne (à part Canal+) n’a pris le risque de " se mouiller ".
Alors le coût de La Conquête a plafonné aux alentours de 5 millions d’euros et la logique qui aurait voulu que ce film, vu le secret qu’il y avait autour de sa fabrication, soit tourné en studio, n’a pu être respecté. C’est donc finalement quelque part " la réalité du marché " qui nous a amenés à reconstituer l’Elysée, Matignon et une partie de Beauvau tout près du musée Rodin, rue de Varennes, chez Berlusconi puisque nous avons tourné trois semaines à l’ambassade d’Italie !
Parle nous de tes choix de lumières, justement, pour ces décors un peu mythiques et ces hommes politiques…
GP : L’ambassade d’Italie était donc le décor principal du film. Il y avait une difficulté inhérente à ces lieux classés monuments historiques qui me concernait directement puisque les machinistes et les électriciens n’avaient pas le droit de poser des barres pour suspendre de la lumière ou autres installations.
Xavier Durringer et moi-même voulions donner une véritable direction de lumière, avec du contraste sur les visages de ceux qu’on nous montre trop souvent avec une " lumière face " sur des images retouchées. Il était hors de question de filmer ces hommes politiques comme ils sont photographiés dans Paris Match.
Après avoir éliminé très vite l’idée d’éclairer avec des boules à hélium, même si la hauteur sous plafond me l’autorisait, j’ai fait le choix de faire passer les sources de lumières par les grandes fenêtres, situées à 9 mètres de hauteur, puisque que contrairement au véritable Elysée, le bureau et le salon du président sont à l’étage.…
J’ai fait donc construire un échafaudage afin de placer des projecteurs qui rentrent par les fenêtres. Et comme j’ai souvent choisi d’être à contre jour j’ai fait descendre les pieds de projecteurs par le haut de la structure.
Pourquoi avoir choisit le Scope comme format ?
GP : Très vite Xavier et moi sommes tombés d’accord pour dire que l’univers de La Conquête ressemblait étrangement à celui du western.
Certaines répliques ne sonnent-elles d’ailleurs parfois pas comme des coups de flingues ?
Notons aussi que le format 2,37 permet de jouer d’avantage avec les amorces et donc d’inclure au sein d’une même image des détails qui complètent le tableau.
J’ajoute que j’ai choisi d’utiliser les Cooke S4 car Xavier ne souhaitait pas faire un film froid mais, au contraire, mettre en évidence les dorures qui caractérisent des lieux qui ne ressemblent pas vraiment à une salle des fêtes de province, les couverts en argent, le teint hâlé de Dominique de Villepin, etc.
Comment as-tu abordé la question de l’univers artistique de ce film avec Xavier Durringer ?
GP : Xavier m’a tout d’abord montré un nombre incroyable de photos... C’était énorme ! J’ai découvert Nicolas Sarkozy sous toutes les coutures. Il a fallu ensuite les digérer, puis faire une sélection pour en garder finalement quelques-unes comme références.
Ces images nous servaient à la fois de base de lumière, mais nous donnaient aussi des idées de découpage.
Prenons par exemple l’image de Sarkozy qui prend son café tout seul, à La Baule, sur une terrasse, alors qu’il vient d’apprendre le départ de Cécilia. Exactement au même moment et au même endroit une autre image nous montre Villepin sortir de la mer tel Apollon.
Lorsque nous avons découpé cette séquence, nous avons décidé de réunir ces deux images lors d’un même plan. Décision qui a valu aux machinistes de creuser à l’aide d’un bulldozer une tranchée de 40 mètres sur la plage pour installer un long travelling malgré la marée qui montait car le plan de travail nous conduisait à La Baule en pleine semaine des marées d’équinoxe !
Beaucoup d’images nous ont servies de référence également pour les costumes, les décors, parfois même pour les cadres de certains plans.
Xavier souhaitait un film dense, contraste, plutôt sombre, entre deux portes...
Le scénario dévoile les coulisses du pouvoir et donc il est logique que la part de l’ombre soit aussi importante que celle de la lumière. C’est également pourquoi certaines séquences se déroulent de nuit comme le retour de Cécilia de New York, quelque part, sur un aérodrome d’une banlieue parisienne.
Il ne s’agissait jamais de " tout voir ", comme dans certaines comédies, mais au contraire de laisser des zones d’ombres, notamment sur le premier plan du film où Nicolas Sarkozy joue avec son alliance…
La Conquête étant construit selon le principe d’un montage parallèle entre la journée du 6 mai 2007 où Nicolas Sarkozy est élu et son ascension de 2002 à 2007, j’ai décidé d’opter pour un étalonnage différent pour ce qui concerne cette journée du 6 mai où finalement Cécilia n’ira jamais voter. Une image plus froide, plus métallique sauf quand Nicolas Sarkozy se rend au Fouquet’s où le rouge prédomine.
Le mimétisme des comédiens avec les politiques qu’ils interprètent est parfois incroyable...
GP : À ce propos, Xavier s’est demandé si Denis allait jouer avec un faux nez pour ressembler d’avantage à Nicolas Sarkozy. Nous avons fait des essais avec une prothèse qui étaient très réussis mais finalement nous avons opté pour que Denis incarne Nicolas Sarkozy sans prothèse pour le nez... Plusieurs facteurs nous ont aidé à faire ce choix...
1 - Denis devait plus " incarner " qu’“ imiter " Nicolas Sarkozy
2 - Le temps de maquillage (Denis jouait le soir à la Comédie française) serait beaucoup moins long...
3 – Et enfin je leur ai raconté une anecdote qu’un ami directeur de la photographie [5] a vécu sur un autre film : l’acteur principal avait joué avec une prothèse et un faux nez et chaque fois qu’il s’énervait, tout le visage rougissait sauf le faux nez, ce qui a posé un certain nombre de problèmes à l’étalonnage. Or comme Denis Podalydès - Nicolas Sarkozy devait parfois changer de ton au cours d’une campagne mouvementée...
On a l’impression parfois que La Conquête est un film d’actualité, ça pourrait être un reportage, mais la manière dont il est tourné fait complètement fiction…
GP : Après s’être posé la question de tourner " à l’épaule ", très rapidement Xavier et moi avons choisi, au contraire, d’éviter cette écriture pour sortir de l’aspect " reportage " qu’on nous déverse tous les jours à la télévision.
Si je partage avec Xavier l’amour de " l’épaule ", largement utilisé dans une précédente collaboration au Venezuela [6], il s’agissait cette fois-ci de faire un film " plus cadré " comme un jardin " à la française " d’où rien ne dépasse si ce n’est des petits arbustes qui occupent ce jardin le temps d’un mandat.
Tu m’as montré un énorme carnet dans lequel tu as collé des photos que tu as faites, par séquences. Elles te servaient de référence ?
GP : Même à l’heure du " tout numérique ", je travaille toujours avec des carnets... Cela me permet de noter, de dessiner, de conserver des croquis de Xavier, d’y inclure des photos de repérages, des photos de référence, des photos de tournage également et de pouvoir " parler lumière " avec celle ou celui qui réalise le film sans que cela soit trop abstrait.
Pour le cadre, j’avais un viseur de champ sur lequel je mettais les optiques du film afin que Xavier puisse avoir une idée très précise de ce que nous filmerions ou pas.
Si on peut parler très vite concrètement du cadre avec le réalisateur, c’est plus abstrait de définir la lumière d’une séquence. C’est pour ça que je fais des photos numériques pendant le tournage avec mes assistants Rodolphe, Samuel et Simon. À la fin de la journée de tournage, on fait rapidement un tirage avec une imprimante sur place et ainsi Xavier a véritable une base pour parler. Une base que je colle ensuite dans mon carnet.
Pour la séquence qui se passe dans l’avion, vous étiez en studio ?
GP : Ce décor nous a longtemps préoccupé. Au début cette séquence devait se passait dans un restaurant asiatique !
Xavier voulait montrer Nicolas Sarkozy à l’étranger mais plutôt que d’aller faire un tour en Chine, nous avons fait un tour du côté de... Cergy Pontoise où une carlingue d’avion nous attendait sur un terrain vague. Elle venait de servir pour un autre film [7].
De jour, l’intérieur de l’avion paraissait un peu " cheap " pour des hommes d’état que nous filmions la plupart du temps au milieu de dorures, alors nous avons décidé de tourner cette séquence de nuit. Comme je ne voulais pas que les hublots soient totalement noirs, j’ai fait construire des sas et j’ai simulé l’ambiance extérieur nuit avec des projecteurs HMI sur lesquels je rajoutais de l’Aquablue.
Pour conclure, un avis personnel sur ce film ?
GP : J’ai aimé tourner La Conquête et voir le plaisir qu’avaient les acteurs à incarner nos hommes d’état.
J’étais stupéfait chaque fois que je voyais repartir Denis avec son scooter en fin de journée après avoir incarner notre président. Aujourd’hui, lorsque je découvre Nicolas Sarkozy dans un reportage, difficile de ne pas repenser à La Conquête !
J’apprécie le montage de Catherine Schwartz et les compositions musicales de Nicolas Piovanni qui induisent parfois une idée de farce à l’italienne à ce film... Farce qui prend tout son sens avec le dernier plan du film qui répond comme un écho à l’annonce de Carla Bruni qu’on nous dit enceinte de quatre mois, un an avant les prochaines élections présidentielles !
(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)
[1] 80 courts métrages Portraits/Autoportraits (Gédéon programmes), un livre (Ed. du Seuil), des expositions de photos et de dessins, le long métrage Dessine-toi (www.dessinetoi.com)
[2] César 2005 du 1er film et prix Louis Delluc 2005
[3] Eric et Nicolas Artmayer
[4] Gaumont
[5] Jérôme Alméras - Omar m’a tuer - 3B Productions
[6] Les Oreilles sur le dos / Pierre Javaux Productions
[7] L’Assaut - Julien Leclercq