Farang

Quand notre avion décolle en pleine nouvelle vague de Covid, je repense à cette question qu’on te pose parfois en te demandant ce que tu prendrais si tu te rendais sur une île déserte. Etrange réflexion parce que d’une part la Thaïlande n’est pas une île, que d’autre part ce pays n’est pas désertique et, enfin, que je ne pars pas seul pour accompagner Xavier Gens sur Farang, un film qui se veut avant tout d’action...

Si le directeur de production et la première assistante mise en scène, testés positifs la veille du départ, ne nous accompagnent pas à trois semaines du tournage, Greg, mon chef électricien, est avec moi. Dans l’avion, Greg me montre les images d’un making-of d’un film d’action coréen sur son téléphone portable où des cascadeurs et des éléments de décors volent dans tous les sens. Derrière le cadreur, un machiniste se déplace comme son ombre. Arrêt sur image : il porte un sac à dos relié par un câble à la caméra. C’est une Sony Venice. C’est aussi le choix de caméra que j’ai fait. Si je connais bien cette caméra, c’est la première fois que Xavier l’utilisera en "action caméra", c’est-à-dire "à la main", en contre plongée, en visionnant un écran plutôt qu’à l’épaule, l’œil collé dans la visée de la caméra.

Très tôt, Xavier me donne comme références Une prière avant l’aube, réalisé par Jean-Stéphane Sauvaire et filmé par David Ungaro. Lors d’essais dans les couloirs de Transpacam, je mélange différentes sources de lumières aux couleurs très différentes : rouge, vert, bleu, doré… Histoire de voir comment les peaux de Loryn Nounay, d’origine asiatique, et de Nassim Lyes, originaire d’Afrique du Nord, se comportent. Farang est un film organique... Profitant de l’opportunité qui nous est donnée, Mathilde Delacroix, coloriste, et moi partons dans le vert. Chose toujours très délicate avec des peaux diaphanes, blanches et pâles avec lesquelles nous sommes plutôt habitués à travailler... Des peaux qui tirent vers le rouge rapidement dès que les acteurs font des efforts et Farang est un film très physique. Xavier passe au labo. Il valide nos directions. On augmente les curseurs ! L’approche de son métier, plus anglo-saxonne qu’hexagonale, me permet d’aller plus loin dans les prises de risques. On aura de cesse de procéder ainsi avec Xavier, sur le tournage où nous échangeons régulièrement en fin de journée à l’aide des stills tirées sur le plateau, mais aussi au cours du montage et évidemment lors de l’étalonnage...

« En Asie, le rouge et le vert seront de sortie ! » (Xavier Gens)

Si Xavier a commencé à me montrer des références dans le chef d’œuvre de Martin Scorsese, Raging Bull, nous avons très rapidement quitté le noir et blanc pour parler couleur, lumière, contraste, densité, textures et d’autres références issues plutôt du cinéma coréen.
Xavier adore jouer avec les couleurs. Je m’en étais rendu compte sur le film Budapest où nous avions plongé une boîte de nuit, en Hongrie, dans du rose et du bleu. Une combinaison que nous reprenons pour une autre boîte de nuit, à Bangkok, où l’action qui s’y déroule est beaucoup moins romantique.
Les LUTs que Mathilde, Xavier et moi établissons à Paris sont une bonne base de départ bien que le vert des images prises chez Transpacam nous manque. Forcément, Aubervilliers n’est pas connue pour ses prairies et encore moins pour sa forêt vierge dans laquelle Farang s’enfonce parfois. Mais ces essais permettent à Mano Lyphout - DIT en Thaïlande - d’affiner régulièrement nos choix.

Nassim se mouille sous le regard de la Sony Venice montée sur Stab One - Photo Gilles Porte
Nassim se mouille sous le regard de la Sony Venice montée sur Stab One
Photo Gilles Porte


Surachet Surasangwuan (Chet), chef machiniste (T-shirt gris) et son équipe - Photo Gilles Porte
Surachet Surasangwuan (Chet), chef machiniste (T-shirt gris) et son équipe
Photo Gilles Porte


Les décisions politiques du gouvernement thaïlandais vis-à-vis du Covid planent comme des épées de Damoclès au-dessus des têtes de chaque membre de l’équipe. Les test sont quotidiens. Parfois l’un(e) d’entre nous est extrait(e) du tournage. Si j’insiste sur la présence de virus lors de ce tournage, c’est parce que des décisions de mise en scène sont aussi prises aussi en fonction de ce paramètre. Nous n’avons, par exemple, pas eu d’autres choix que de débuter le tournage sur l’île de Phuket qui sert de sas pour celles et ceux qui débarquent en Thaïlande après nous... Si c’est évidemment le cas de quelques techniciens qui nous rejoignent, c’est aussi le cas pour Olivier Gourmet que je retrouve pour la quatrième fois *, après l’avoir quitté à l’intérieur d’une cinématographie plus classique chez Eugénie Grandet. Notre plan de travail est bouleversé à moins de deux semaines du jour J. Farang ne se tournera finalement pas uniquement dans deux parties de la Thaïlande (un village de pêcheurs, au milieu de nulle part, et des décors plus industriels, à Bangkok) mais dans trois zones. Les conséquences ne seront pas uniquement géographiques. Je devrai faire des rustines par rapport à des décors intérieurs et extérieurs que nous ne tournerons qu’ensuite et dont certains ne sont pas encore construits. Que Stéphan Rozenbaum, immense chef décorateur avec lequel je n’ai eu de cesse de réfléchir pour essayer de trouver des solutions aux problématiques imposées, soit remercié pour sa bienveillance, son professionnalisme et sa générosité.

Gilles Porte et Lerdkijsakul Thitinum (cadreur et opérateur Steadicam) - Photo Xavier Gens
Gilles Porte et Lerdkijsakul Thitinum (cadreur et opérateur Steadicam)
Photo Xavier Gens


Dans beaucoup de décors, des choix de lumières “in“ s’imposaient vu l’utilisation des focales courtes et les multiples déambulations en contre plongée. Bien que Xavier ne voulait pas se priver d’un mouvement de caméra au cours d’une de ses cascades, il a su, avec Jude Poyer, chorégraphe des combats, m‘autoriser parfois à placer un projecteur qui les obligeait à être encore plus précis dans leurs découpages. Si Farang est avant tout un film d’action, je n’ai pas lâché sur des partis pris forts de l’image qui ne me paraissent pas aujourd’hui en inadéquation avec le genre. Encore une fois, cela n’a pu être possible que grâce à une étroite collaboration entre différents départements, une attirance certaine pour le baroque, l’expressionnisme et le gore chez Xavier Gens, couplés d’un vrai désir d’images.

Impossible de ne pas s’arrêter sur les nombreuses séquences de combats que nous avons tournées. Elles étaient millimétrées grâce à l’énorme travail de Jude Poyer et Olivier Sa, régleur cascade. Non seulement tout est story-bordé mais tout est chorégraphié, filmé dans des décors en carton, monté et projeté avant qu’on ne tourne les séquences dans les vrais décors. Pour certaines séquences, il y a eu plusieurs prévisualisations... Chaque plan est ensuite disséqué avant même que nous le tournions. Focale, vitesse, angle d’obturation, hauteur de la caméra, mouvement sont précisés.
Le tournage d’une séquence de combats dans un ascenseur se déroule sur 5 jours. Sur le décor, une ambulance stationne, car il peut arriver qu’un coup soit porté malgré l’extrême vigilance de Jude, d’Oliver et de ceux qui les entourent. Chaque plan est tourné dans l’ordre chronologique du film et monté sur place. Les techniciens, les cascadeurs et les acteurs attendent le feu vert, souvent dans une mare de sang, avant de passer au plan suivant. Leur patience est exemplaire. Il arrive parfois qu’on dépasse 30 prises tant les précisions de Jude et Xavier sont folles.

Jude Poyer avec la Sony Venice 1 montée sur son volant perso - Photo Gilles Porte
Jude Poyer avec la Sony Venice 1 montée sur son volant perso
Photo Gilles Porte


Xavier me demandait régulièrement d’ouvrir le diaph au maximum pour avoir un minimum de profondeur de champ. Le travail des deux pointeurs était donc rendu extrêmement délicat.
Bravo Lucas pour ton immense implication derrière les images de Farang. Si partir avec de très grands techniciens reste un atout pour n’importe quel DOP, quel privilège d’avoir à ses côtés des personnes doublées d’une très grande humanité quand “ça tabasse de partout !“

Farang a été une formidable expérience et m’a assurément fait sortir d’une petite zone de confort après avoir passé trois mois avec Belle & Sébastien dans le massif des Pyrénées. Disons-le tout de suite, Farang n’est pas un film pour enfant même si je reste persuadé – et ce n’est pas du tout un défaut – que Xavier Gens est resté un grand enfant tant son imagination déborde à chaque instant.

* Quand la mer monte - L’Échange des princessesEugénie Grandet - Farang

Farang
Production : Sameplayer, WTFilms, Taprod
Réalisateur : Xavier Gens
Chef décorateur : Stéphane Rozenbaum (France) et Nophadol Arkat (Thaïlande)
Chorégraphe cascades : Jude Poyer
Coordinateur cascades : Olivier Sa

Équipe

Cadreur et Steadicam : Lerdkijsakul Thitinum
1er assistant caméra A : Lucas Labbé
1er assistant caméra B : Panthep Infahseang (Jaguar)
2e assistant caméra : Piyapong Mahnmark
DIT et Data Manager : Mano Lyphout
Chef électricien : Grégory Bar (France) et Maitree Wannachot (Tumb Tumb, Thaïlande)
Chef machiniste : Surachet Surasangwuan (Chet)
Coloriste : Mathilde Delacroix

Technique

Matériel caméra : Transpacam (Sony Venice et série Zeiss Supreme)
Matériel lumière : Transpalux
Laboratoire : A la Plage Studio

synopsis

Sam est un détenu exemplaire. A quelques mois de sa sortie de prison, il prépare assidument sa réinsertion. Lors d’une permission, son passé le rattrape et un accident ne lui laisse qu’un seul choix : la fuite. Cinq ans plus tard, il a refait sa vie en Thaïlande, où il a fondé la famille dont il a toujours rêvé. Mais Narong, le parrain local, l’oblige à plonger à nouveau dans la délinquance. Quand Sam veut tout arrêter, Narong s’attaque à sa famille… Sam va traverser la Thaïlande pour se venger de son bourreau.