Huston, We Have a Problem - A Kaleidoscope of Filmmaking Memories

écrit par Oswald Morris et Geoffrey Bull et présenté par Marc Salomon

La Lettre AFC n°156

[ English ] [ français ]

Le directeur de la photo Oswald Morris
Le directeur de la photo Oswald Morris

Le célèbre directeur de la photographie britannique Oswald Morris, oscarisé en 1971 pour Un violon sur le toit de Norman Jewison, vient de publier son autobiographie sous un titre ironique qui pastiche le message d’alerte lancé par l’équipage d’Apollo 13, en avril 1970 : Houston, we have a problem !

Ossie Morris revient d’abord sur ses débuts avant-guerre aux studios de Wembley, dès 1932, et sur ses années d’apprentissage aux côtés d’opérateurs comme Eric Cross, Otto Kanturek et Ronald Neame. La déclaration de guerre le voit intégrer la RAF où il suivra une formation de pilote de bombardier. Il servira six ans durant, multipliant les raids au-dessus de la France (en octobre 1942 il bombarde une usine de roulement à billes au Creusot) et de l’Allemagne aux commandes de son " Lancaster " avant d’être muté dans le transport et de voler vers l’Afrique du Nord aux commandes d’un " Albemarle " puis d’un DC3 " Dakota ". Après un tour du monde avec Lord Alanbrooke d’octobre à décembre 1945, Morris est démobilisé et rejoint les studios malgré un palmarès impressionnant (il totalise 2 600 heures de vol) et l’offre alléchante de la RAF.

Morris travaille alors comme cadreur avec les chefs opérateurs Wilkie Cooper, Ronald Neame et Guy Green jusqu’à ce qu’en 1949, Ronald Neame, passé à la réalisation, lui donne sa première chance comme directeur de la photographie.

Plutôt que la chronologie, Morris préfère aborder sa carrière par réalisateur : Ronald Neame (6 films), Carol Reed (3 films), John Huston (8 films) et Sidney Lumet (4 films) auxquels viendront s’ajouter des collaborations plus ponctuelles avec René Clément, Tony Richardson, Stanley Kubrick, Martin Ritt... Ce qui oblige le lecteur à quelques allers et retours dans le temps.

Il ressort de la lecture de cet ouvrage - riche de souvenirs professionnels et personnels, de rencontres et d’anecdotes - que la première partie de sa carrière reste la plus variée et la plus originale : du Technicolor " pastel " de Moulin Rouge (à grand renfort de brume et de filtre Fog) à l’approche néo-réaliste de René Clément (Monsieur Ripois), des couleurs brillantes de Beau Brummell (un des premiers films anglais en Eastmancolor) au gros travail de laboratoire pour obtenir un rendu proche des eaux-fortes (Moby Dick, tiré à partir d’un master aux couleurs désaturées et un master noir et blanc), Ossie Morris a toujours fait preuve d’une technique irréprochable, à la fois classique dans son inspiration et inventive dans les moyens techniques mis en œuvre au cas par cas.

A partir du milieu des années 1960 sa filmographie égrène les adaptations théâtrales (La Mégère apprivoisée) et les adaptations de succès à Broadway hautes en couleurs et riches en kW (Oliver, Scrooge, Un violon sur le toit, Equus, The Wiz), période qui lui rapporte néanmoins ses trois nominations aux Oscars. Deux grands films émergent pourtant : L’Espion qui venait du froid (Martin Ritt), « un des plus beaux films en noir et blanc que l’on puisse voir » déclarait Roger Deakins et L’Homme qui voulut être roi (John Huston).

Cinq pages expéditives et cinglantes sur Kubrick (Lolita) dans lesquelles Morris décrit ses rapports orageux. Il s’appliqua à maintenir contre vents et marées le style voulu par Kubrick : s’inspirer de l’esthétique des films MGM des années 1930 (Morris parvient à récupérer des diffuseurs Scheibe qu’utilisaient les opérateurs MGM) et faire en sorte que les sources de lumière " claquent " (fenêtres, lampes).

« Il semblait dépourvu de toute courtoisie parce que je ne l’ai jamais entendu dire une seule fois « S’il vous plait » ou « Merci ». Mais d’ajouter : « Bien que ce fut une relation de travail difficile, j’ai essayé d’être tolérant avec son comportement capricieux parce que j’admirais beaucoup son énergie et son intelligence. »

Enfin, un long chapitre au vitriol rapporte ses démêlés avec David O. Selznick et ses légendaires " Mémos ". Morris fut d’abord appelé par le producteur afin d’assurer les gros plans de Jennifer Jones dans Station Terminus (Vittorio De Sica en 1952) puis sur L’Adieu aux armes de Charles Vidor en 1957. Exaspéré par les critiques de Selznick, Morris finira par jeter l’éponge, laissant à Piero Portalupi le soin de finir le film. Cependant, un des Mémos de Selznick qui scella leur rupture (Mémo reproduit dans le livre) nous semble résumer assez justement toutes les qualités et les " limites " du travail de Morris : « Tous les autres opérateurs avec lesquels j’ai travaillé, y compris Toland et Joe August, prenaient tellement moins de temps à éclairer et obtenaient de très beaux effets, parce qu’ils éclairaient ce qu’il fallait voir dans la scène, et c’est tout. Votre méthode semble consister à éclairer tout le décor, ce que l’on veut voir et ce que l’on veut ne pas voir, et ensuite à modifier cela en mettant un peu plus de lumière sur ce que l’on veut accentuer. Le résultat c’est que l’on obtient une lumière d’ambiance partout, nous n’obtenons pas l’atmosphère recherchée, non plus le modelé sur les visages, les acteurs ne ressortent pas si bien et nous n’avons pas d’effets non plus. »

(NB : On notera au passage que Selznick, grand pourfendeur d’opérateurs, se contredit lui-même puisqu’en 1939 il rédigeait le Mémo suivant à l’attention de Lee Garmes avant de le renvoyer du plateau d’Autant en emporte le vent : « Nous ne pouvons simplement plus tolérer une image aussi sombre qui pourrait désorienter le public et, si l’on ne peut avoir une lumière à effet sans éviter ce risque, il faut oublier les effets et tout éclairer comme un documentaire. Si l’on ne peut obtenir l’art et la clarté, oublions l’art » !!!)

On peut regretter, mais c’est la cas de bien des autobiographies d’opérateurs, que l’auteur ne s’attarde pas plus sur son propre travail - Ossie Morris s’était déjà expliqué quant à certains de ses choix techniques dans les quelques entretiens qu’il a donnés depuis les années 1970 dans les revues anglo-saxonnes - préférant se faire le rapporteur privilégié des tournages auxquels il a collaboré : conditions de production, rapports avec les interprètes et les réalisateurs, le tout ponctué par les joies et les peines de sa vie personnelle.

Il conclut en émettant des réserves sur les évolutions techniques actuelles, cette ère du numérique qui lui fait peur : « Je suis heureux d’être trop âgé pour que cela me concerne. »

Humphret Bogart, Connie Reeve, maquilleuse, et Ossie Morris sur le tournage de " Plus fort que le diable " de John Huston en 1953 - Photographie tirée de " Out Standing Stills ", livre de photos de plateau édité par nos confrères de la BSC (British Society of Cinematographers)
Humphret Bogart, Connie Reeve, maquilleuse, et Ossie Morris sur le tournage de " Plus fort que le diable " de John Huston en 1953
Photographie tirée de " Out Standing Stills ", livre de photos de plateau édité par nos confrères de la BSC (British Society of Cinematographers)

Filmographie sélective

1949 : La Salamandre d’or (Ronald Neame)

1952 : Moulin Rouge (John Huston)

1953 : Plus fort que le diable (John Huston)

1954 : Monsieur Ripois (René Clément), Beau Brummell (Curtis Bernhardt)

1955 : Moby Dick (John Huston), L’Homme qui n’a jamais existé (Ronald Neame)

1956 : Dieu seul le sait (John Huston)

1958 : Les Racines du ciel (John Huston)

1959 : Les Corps sauvages (Tony Richardson), Notre agent à La Havane (Carol Reed)

1960 : Les Canons de Navarone (J. Lee-Thompson)

1962 : Lolita (Stanley Kubrick)

1964 : The Battle of Villa Fiorita (Delmer Daves), La Colline des hommes perdus (Sidney Lumet)

1965 : L’Espion qui venait du froid (Martin Ritt)

1966 : La Mégère apprivoisée (Franco Zeffirelli), Reflets dans un œil d’or (John Huston)

1968 : Oliver (Carol Reed)

1970 : Un violon sur le toit (Norman Jewison)

1972 : Le Limier (Joseph L. Mankiewicz)

1973 : Le Piège (John Huston), Le Dossier Odessa (Ronald Neame)

1974 : L’Homme au pistolet d’or (Guy Hamilton)

1975 : L’Homme qui voulut être roi (John Huston)

1977 : Equus (Sidney Lumet)

1979 : The Wiz (Sidney Lumet)

1981 : The Dark Crystal (Jim Henson et Franz Oz)



Post scriptum

Ce livre vient s’ajouter à la liste désormais conséquente des (auto)biographies d’opérateurs britanniques :

Jack Cardiff : Magic Hour & Conversations With J. Cardiff

Christopher Challis : Are They Really So Awful ?

Alan Hume : A Life Through the Lens

Walter Lassaly : Itinerant Cameraman

Ronald Neame : Straight from the Horse’s Mouth

Freddie Young : Seventy Light Years