Jacques Perrin, le plus libre des producteurs
Par Dominique Gentil, AFCJacques Perrin cherchait à réaliser des images puissantes. Pour ce faire, il savait mettre en œuvre logistiques et moyens techniques innovants. Dans l’essentiel de ses films, comme producteur et/ou réalisateur, l’image est le moteur de la narration. Que ce soit pour Le Désert des Tartares ou pour Himalaya : l’enfance d’un chef tourné à plus de 5 000 mètres d’altitude, on se souvient de la force narrative des paysages du désert iranien et des sommets du Népal pour des tournages en conditions extrèmes.
Rien n’arrêtait Jacques Perrin tant qu’il n’avait pas abouti. Cette obstination de ne jamais céder à la facilité a souvent dérouté ses collaborateurs, dont j’étais. Jacques Perrin rêvait ses images et mettait tout en œuvre pour qu’elles deviennent réalité.
Pour Microcosmos : mise au point d’un banc de tournage permettant de faire des travellings micrométriques.
Pour Le Peuple migrateur : conceptions d’U.L.M. où l’opérateur avec sa caméra était placé devant le pilote pour permettre une vue dégagée à plus de 180 °.
Avec Océans : recherches en bassin de carène pour la conception d’une caméra sous-marine torpille destinée à précéder la nage des bancs de poissons et fabrication d’une tête stabilisée très performante pour filmer en mer.
Pour Les Saisons : fabrication d’un scooter travelling électrique silencieux, capable de traverser des forêts à la vitesse d’un cheval au galop.
Et, déjà en 1981, lors du film Les 40èmes rugissants, Patrick Blossier, AFC s’était chargé de faire fabriquer des caissons étanches pour les caméras, outils qui n’existaient pas à l’époque. Jacques voulait aller chercher la Tempête, la filmer comme cela n’avait jamais encore été fait, à l’exemple de cette étonnante séquence de l’étrave de l’Aviso brisant les vagues de l’Atlantique Nord lors du Crabe-Tambour, film qu’il avait produit. (Images filmées en hélicoptère par Dominique Merlin).
La volonté de vérité n’a jamais quitté Jacques Perrin. L’essentiel de sa production cinématographique a échappé à la vague numérique, hormis les plans sous-marins d’Océans et le film Les Saisons, je crois que les facilitées qu’auraient pu apporter ces nouveaux formats n’auraient pas modifié sa démarche filmique d’un cinéma du vrai.
Pour Le Peuple migrateur, la totalité des images du film sont celles que nous avons filmées en direct. Aucun trucage. Pas de surimpression. Nous avons totalement volé avec nos oiseaux, de même pour les cigognes qui nous ont donné tant de mal.
Pour Les 40èmes rugissants ou Le Désert des Tartares, Jacques respectait totalement les demandes de Luciano Tovoli, son ami et directeur de la photo, à savoir attendre la bonne et juste lumière. Ce qui peut prendre du temps, beaucoup de temps, surtout quand vous souhaitez des cieux de tempête au mois de mai en Bretagne...
La confiance du producteur Jacques Perrin envers ses techniciens, son acceptation des contraintes pour que le résultat soit à la hauteur du projet imaginé sont une qualité exceptionnelle et très rare. Il prenait le temps pour écrire, respectait le temps nécessaire au tournage, je ne pense pas me tromper en affirmant que jamais il n’a fait peser sur les réalisateurs et ses équipes le coût financier de ses ambitions. Il trouvait les financements, donnait les moyens pour tourner dans des conditions optimales.
Quand le film était un succès, il réinvestissait la totalité, voire plus…, dans les projets à venir. L’argent du cinéma revenait au cinéma.
Avec la départ de Jacques Perrin disparait un producteur libre, qui s’est battu pour préserver cette liberté, rien n’arrêtait sa volonté d’aller au bout de ses projets, de ses visions. Il avait la culture du producteur "indépendant" pour qui mener à bien un film est une démarche créative, il est de ceux pour qui produire est un Art.
Merci Jacques de nous avoir donné l’immense privilège d’être de ceux qui t’ont accompagné !
En vignette de cet article, Jacques Perrin et Dominique gentil sur le tournage du Peuple migrateur.