Jeanne Lapoirie de Ozon à Ozu

par Jeanne Lapoirie La Lettre AFC n°108

« Le chef opérateur, on pourrait le dire simplement, c’est celui qui se débrouille avec ce qu’il a. Longtemps, on a identifié ma photo à mon premier film comme chef opérateur, "Les Roseaux sauvages", d’André Téchiné, où la lumière extérieure était vive, violente.
Depuis, mon style n’a cessé de se déplacer, de s’essayer. Ce n’est pas un hasard si j’ai fini par rencontrer François Ozon. »
(Propos recueillis par Philippe Azoury)
Libération, 30 janvier 2002
Le paysage cinématographique est mutant. L’importance de bouleversements technologiques incessants n’échappe pas aux techniciens français. Les yeux de la nouvelle génération des chefs op’ sont souvent sans visage, quasiment sans voix. Et Jeanne Lapoirie, l’une de ses chefs de file, d’avouer elle-même « ne pas aimer parler de son travail ».
C’est pourtant à elle que nous avons demandé deux ou trois choses. Pour son parcours, symptomatique d’une position de curiosité et d’ambivalence revendiquée. Pour sa photographie, échappant aux écoles, aux divisions. :
« Le chef opérateur, on pourrait le dire simplement, c’est celui qui se débrouille avec ce qu’il a. Je ne cherche pas à détourner ce que je filme.
Longtemps, on a identifié ma photo à mon premier film comme chef opérateur, "Les Roseaux sauvages", d’André Téchiné, où la lumière extérieure était vive, violente. On reconnaîtrait mes plans à ce que souvent reviennent des fenêtres dans le fonds, avec une lueur puissante.
Depuis, mon style n’a cessé de se déplacer, de s’essayer. Ce n’est pas un hasard si j’ai fini par rencontrer François Ozon : il aime travailler comme moi dans la vitesse, sans a priori. Il n’y a pas de lien apparent entre les plans de "Gouttes d’eau", ceux de "Sous le sable", ceux de "Huit Femmes". Mais je sais aussi que ce sont des films où les décors ont une importance décisive.
Je ne cherche pas à imposer une marque particulière qui irait à l’encontre de la chose que je filme.
La part du chef opérateur est de s’accorder au film, être attentif à ce que les cinéastes veulent. C’est aussi bien de se cacher derrière l’univers de l’autre. Il faut relativiser notre rôle.
Il y a un moment au tournage, celui que je préfère, où il faut aller vite, être instinctif. Ce qui ressort de cette vitesse, c’est ni plus ni moins que la demande du film.
Quand j’ai commencé, en 1993, on me demandait des longs plans-séquences, avec du mouvement. Depuis mon travail avec Ozon, je me surprends à proposer aux réalisateurs davantage de plans fixes, très découpés, cadrés plutôt larges, asiatiques, à la Ozu, qui semblent soudain correspondre au désir du metteur en scène autant qu’au mien.
Pour la lumière, j’ai l’impression que l’on revient, après overdose de
contre-jours ultra sophistiqués avec lumières latérales, à des choses plus simples en lumières frontales.
Je recherche de plus en plus cette simplicité. »