L’éditorial de février 2023
Par Céline Bozon, AFCJe pense qu’il y a eu des incompréhensions ou malentendus au sein de l’AFC sur mes éditos. Je profite de ce quasi dernier édito pour tenter d’éclairer ma position.
Ils avaient un côté obsessionnel pour certains et agressif pour d’autres ; pour aller vite trop « féministes ».
Ce mot mériterait d’être re-défini. Et il l’est inévitablement par l’époque et le lieu où nous vivons.
En deux mots je pense que c’est très difficile pour le dominant de se voir comme tel, et de l’accepter et d’accepter un jour peut-être de ne plus l’être (menace ultime ou libération ? le temps nous le dira).
Ceux que Bourdieu appelait les héritiers (et il sont nombreux dans ce micro milieu du cinéma), ne doutent pas de leur position et ne veulent pour rien au monde la remettre en question.
Quand on est une femme au 21e siècle en France, on a intégré d’une manière ou d’une autre la "violence symbolique" du dominant, sans s’en rendre compte, sans le vouloir, en ayant l’impression d’être libre, d’agir, de penser…
Mon père était professeur de philosophie ; j’ai lu Sartre à 20 ans « L’important, ce n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous-mêmes nous faisons de ce qu’on a fait de nous ».
Mes parents ont fait 68, ma mère était militante féministe. Mes parents ont toujours tout partagé : l’éducation, l’argent (en tant que professeurs ils avaient plus ou moins le même salaire même si il y avait un petit rapport de classe entre l’agrégé et la capésienne), et pourtant, et pourtant...
Tant que ce n’est pas un sujet de société frontal (une société qui décide d’affronter la question du viol, de l’inceste et des violences faites aux femmes en général), c’est très dur de se questionner sur la domination patriarcale.
Oui il a fallu cette époque pour que je me rende compte à quel point j’étais encore loin d’un début d’autonomie et de conscience par rapport à ma position de femme.
C’est pourquoi les livres comme ceux de Constance Debré, Love me tender ou Nom, agissent comme un tsunami pour moi.
Car on est plus proche de la destruction que de la déconstruction. Et je crois que c’est de cela que j’essayais de me rapprocher dans mes éditos ; tenter de transmettre ce rapport complexe à la violence.
Les Black Panther ou Frantz Fanon, et bien d’autres, ont tenté de répondre à cette question-là : y a-t-il d’autres moyens que la violence du dominé pour répondre à la violence du dominant ?
C’est comme pendant les guerres d’indépendance. Alors le mot "guerre" fait peur. Le monde est ébranlé, les rapports changent.
Les formes de domination sont multiples : sociales, culturelles, économiques.
Il y a nécessité d’effritement pour reconstruire de nouvelles bases de rapports.
Vouloir à tout prix le pacifisme est illusoire.
« C’est le regard porté par l’autre sur soi qui nous rend étrangers à nous-mêmes », disait Frantz Fanon.
J’aurais pu parler de cinéma, je l’ai fait quand les films me paraissaient à la hauteur d’un cinéma qui explore et ré-invente son outil. Mais ils sont tellement rares.
J’aurais pu parler de technique mais je préférais parler des images qui me touchent en photographie, en peinture.
J’aurais pu parler d’actualité mais elle passe tellement vite.
Alors j’ai tenté de parler en mon nom, le plus sincèrement possible de ce qui était important pour moi à un moment T.
Je crois qu’à mon âge (47 ans), il est temps de tenter de se dévoiler un peu plus et de s’exposer, au monde, aux autres, aux jugements. Et dans "s’exposer" il y a possiblement se brûler les ailes ou se rapprocher de la lumière.