La cheffe opératrice Daria D’Antonio parle de son travail photographique sur "The Hand of God", de Paolo Sorrentino

Exception faite d’un segment du film à sketch Rio, je t’aime, The Hand of God (La Main de Dieu) est la première collaboration réalisateur / cheffe opératrice entre Daria D’Antonio et Paolo Sorrentino. Le duo, qui se connaissait par ailleurs déjà très bien puisque Daria D’Antonio avait fait ses armes en tant que cadreuse et cheffe opératrice seconde équipe sur les précédents films du réalisateur, se retrouve ici pour un film très personnel, s’appuyant sur les souvenirs d’une enfance napolitaine qu’ils ont tous deux vécue. Le film, qui sortira prochainement sur la plate-forme Netflix, est présenté à Camerimage dans la sélection Contemporary World Cinema. (MC)

« Ces deux enfances assez similaires (dans la même ville, au sein de familles se ressemblant par de nombreux aspects) furent un grand avantage dans la préparation de ce film », raconte Daria D’Antonio lors de la séance de Q&R suivant la projection. Le film se présente comme une autobiographie, et tout le travail de recherche a été de retrouver des images proches des souvenirs d’enfance du réalisateur. Ces souvenirs sont les uniques références du film, et le réalisateur présente à sa cheffe opératrice des images de son enfance, des lieux. L’appartement d’enfance a été filmé dans le même immeuble que l’original.

Daria D’Antonio opère alors un travail qui se veut à la fois créatif et fidèle à la mémoire d’un passé qu’il est encore douloureux d’explorer pour le réalisateur. Les couleurs sont intenses au début, puis s’effacent avec le temps qui passe et le drame qui s’installe. Dans sa durée – deux heures trente –, le film s’attache à des détails et des instants de la vie qui donnent une sentiment de réalité, comme ces souvenirs, des instants de la vie ordinaire, qui restent malgré tout gravés dans la mémoire.
La cheffe opératrice propose alors une réalité ordinaire, dénuée de la patine de perfection que peut apporter le cinéma. « La lumière des scènes dans la cuisine », raconte-t-elle, « étaient exactement celle dont se souvenait le réalisateur. Ce n’était pas forcément la plus belle lumière, continue-t-elle, mais c’était la plus véridique, alors on l’a gardée, telle quelle ». En extérieur, elle corrige les TC de chaque lampadaire car les plus grandes artères de la ville ont vu leur système d’éclairage complètement rénovés, et là lumière a changé.

« Le film s’ouvre sur un plan en hélicoptère, notamment », explique-t-elle, « car le drone était un outil qui n’existait pas à l’époque où se déroule l’action ». C’est un plan assez acrobatique, qui demandait à harmoniser les chorégraphies des différents départements. Elle se retrouve dans l’hélicoptère, à assurer en même temps le suivi du point et les bascules de diaphragme. Des contraintes techniques supplémentaires réduisent les chances du plan à deux répétitions et seulement trois prises, et pourtant le plan se révèle être une ouverture parfaite pour ce film, un regard depuis la mer sur la ville sous un soleil étincelant, ne laissant rien présager des tragédies qui vont s’y dérouler.
Le film est tourné en RED Monstro 8K, équipée d’objectifs Arri Signature Prime. C’est une caméra que Paolo Sorrentino connaissait bien. Le choix se porte pour une grand format, afin de faciliter l’usage de focales courtes qui détachent les personnages d’un décor maintenu dans un flou facilitant la reconstruction. Se dirigeant vers un film plus personnel que ses réalisations précédentes, Paolo Sorrentino cherche lui aussi à s’orienter vers plus de simplicité et de discrétion dans sa mise en scène, en réduisant notamment les mouvements de caméra.

A l’occasion, la cheffe opératrice nous parle également un peu de son enfance à Naples. Comme le réalisateur, elle s’est intéressée très jeune au cinéma. Elle n’avait pas de caméra à cette époque, juste ses yeux pour regarder le monde. Elle donne une intéressante comparaison avec le walkman que le personnage incarnant la jeunesse du réalisateur porte en permanence sur lui : « C’est très différent d’une caméra car le walkman isole et permet d’être dans son monde, dans sa bulle, tandis que la caméra donne de la liberté et ouvre le regard sur le monde. »
Le film a beau raconter avec beaucoup de pudeur un drame très intime de la vie du réalisateur, il parle également, au-delà de cet événement, d’un état d’esprit plus général, de l’un de ces moments que chacun expérimente, où la passion naît, où nos destins changent, s’orientent où s’affirment. A ce sujet, la cheffe opératrice nous confie : « Paolo ne parle pas beaucoup en général, même sur le plateau, ce n’est pas quelqu’un de très volubile. Mais il a dit une chose en pré-production qui a guidé tous les départements pendant le tournage, c’est que c’était avant tout un film qui parle du moment que tout le monde, dans l’équipe, avait vécu, du moment où nous sommes tombés amoureux du cinéma. Ça a parlé à tout le monde, et ça a été un leitmotiv d’inspiration à chaque instant. »

(Rédigé par Margot Cavret pour l’AFC)