festival de Cannes 2014
La directrice de la photographie Crystel Fournier, AFC, parle de son travail sur "Bande de filles", de Céline Sciamma
Synopsis : Marieme vit ses quinze ans comme une succession d’interdits. La censure du quartier, la loi des garçons, l’impasse de l’école. Sa rencontre avec une bande de filles affranchies change tout. Elle embrasse les codes de la rue, la violence, l’amitié, pour vivre sa jeunesse...
Le parti pris esthétique, dans Naissance des pieuvres, était assez radical, notamment au niveau de la couleur, en est-il de même pour Bande de filles ?
Crystel Fournier : Nous avions effectivement abordé la couleur pour le premier film de Céline. Pour Bande de filles, nous avons poursuivi et approfondi ce désir de couleur. J’ai tenté de différencier visuellement les deux cités où se passent une grande partie du film. La cité principale était très peu éclairée. Nous l’avons équipée en lampes mercure principalement et avons rajouté des bacs fluos visibles à l’image dans les halls et les coursives extérieures.
L’ambiance est une déclinaison de lumières froides avec des contrepoints chauds et de larges zones d’ombre. La seconde cité présentait à l’inverse de nombreux réverbères sodium, elle fonctionne à l’opposé de la première, ambiance chaude avec contrepoints froids.
Pour ce qui des intérieurs dans les appartements des filles, nous avons pas mal travaillé avec la déco. Celui du personnage principal a été construit dans un ancien hôpital, nous étions donc libres de choisir les couleurs des murs, puis de travailler des ambiances lumineuses en fonction de ces couleurs. Je voulais autre chose que des lampes de chevet ou de bureau en tungstène pour celles qui seraient dans le champ. Comme pour les deux cités, il fallait donner une couleur pour les différents appartements.
J’avais envie de tester les lampes actuelles, fluos ou LEDs. Cela m’a donné l’occasion d’aller faire un grand tour au BHV ! Il y a vraiment des lampes très variées, pas mal de fluos, des petits formats, ce qui permettait de les accrocher facilement. Pour les lampes plus classiques, j’ai opté pour des ampoules froides plutôt que du tungstène. La couleur tourne autour du vert, du bleu mais avec aussi des ambiances chaudes
Ce qui m’a poussée à aller assez loin dans les couleurs différentes, à oser les couleurs froides sur les peaux, ce sont les peaux noires des comédiennes. Le rendu est bien plus élégant que sur des peaux blanches ! Une lumière bleue ou verte sur une peau blanche, c’est tout de suite sinistre !
Alors qu’avec ces comédiennes, la couleur froide et saturée n’enlève rien à la chaleur d’un visage. J’ai testé différentes gammes de gélatines aux essais, j’ai notamment trouvé un bleu saturé qui marchait très bien.
Les quatre comédiennes sont des non professionnelles, cela a-t-il influencé votre manière de filmer ?
CF : Non, pas vraiment. Céline Sciamma avait envie de la spontanéité de l’improvisation dans le jeu des comédiennes lorsqu’elles sont toutes les quatre pour capter ces moments de complicité. J’ai donc suivi leur jeu en étant assez souvent en travelling ou en caméra sur pied avec pano.
C’est un film parfois très cadré, très dirigé mais aussi très libre dans ces scènes d’impro. Ces jeunes filles ne connaissaient pas les codes de tournage mais elles ont eu très vite les bons réflexes !
Nous avons tourné beaucoup de plans séquence, qui sont parfois découpés au montage. Nous discutions du découpage le matin même, avec un parti pris sur les scènes décidé auparavant par la réalisatrice.
Filmer les building des cités en Scope n’est surement pas si facile, pourquoi ce choix de format ?
CF : Ces quatre filles sont souvent ensemble, le format allongé se prêtait bien à cette configuration. Effectivement pour la cité, on s’est posé la question de toutes ces verticales à placer dans le cadre. Nous sommes allées sur place avec le viseur de champ, et avec le recul qui était possible, on pouvait avoir les personnages proches de la caméra et les tours en arrière-plans sans qu’elles soient coupées.
Nous sommes parties sur du vrai Scope pour des raisons de profondeur de champ et de qualité des flous, mais on s’est posé la question de sa pertinence pour filmer la cité. On aurait basculé sur du 1,85 si le résultat de nos essais dans la cité n’avait pas été concluant.
As-tu utilisé des projecteurs particuliers sur ce film ?
CF : Oui, l’Arrimax, pour l’appartement construit dans l’ancien hôpital ; au dernier étage, il fallait trouver un moyen de faire un effet soleil, sans avoir de balcon. L’Arrimax a pu être installé en déport en partant du toit. L’installation était facilitée tout en gardant la puissance dont j’avais besoin. J’ai aussi utilisé le Celeb 200, qui est plus puissant qu’un Kino et qui est variable en température de couleur avec un pas de 100.
Comment s’est passée la postproduction ?
CF : Très bien ! Nous avons eu deux semaines d’étalonnage et nous avons même eu le temps de revoir les premières bobines. C’est toujours bien de pouvoir retravailler le début du film car on peut avoir des options de densité et de contraste qui ont évolué au cours de l’étalonnage.
Aline Conan, qui avait étalonné Tomboy, a suivi tous les essais et nous avons posé une base pour l’étalonnage. Nous n’avons pas utilisé cette base pour les rushes et pas fait de LUT. Je préférais rester sur le REC 709 de la caméra pour que le pré-étalonnage reste le même pour les images sur le plateau, les rushes et le montage. Nous avons étalonné sur un Lustre, la différence entre le REC 709 et l’étalonnage a surtout été au niveau des couleurs car nous n’étions plus dans les mêmes espaces colorimétriques et nous avons renforcé le contraste pour obtenir des noirs plus profonds.
(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)