Le Voyage aux Pyrénées

d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, photographié par Guillaume Desfontaines

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Après sa sortie de l’Ecole Louis-Lumière, Guillaume Desfontaines a tout d’abord réalisé deux courts métrages (dont Le Modèle en 1997). En parallèle, sa carrière d’assistant opérateur l’amène à travailler aux côtés de François Catonné, Bernard Lutic ou Christophe Beaucarne.
C’est avec ce dernier qu’il rencontre les frères Larrieu (sur Un homme, un vrai).
Après Peindre ou faire l’amour et en l’absence de Christophe Beaucarne retenu par un autre tournage, c’est à lui que les deux réalisateurs de Lourdes ont proposé l’image de leur nouvelle fantaisie Le Voyage aux Pyrénées.
Ce film de montagne marque donc ses débuts en long métrage au poste de directeur de la photographie.

Qu’est-ce que représente pour vous ce premier long métrage en tant de directeur de la photo ?

Le Voyage aux Pyrénées marque d’abord un certain retour aux sources pour les frères Larrieu, un retour dans les montagnes pyrénéennes qui leur sont très familières.
Pour moi, c’était extrêmement agréable de me laisser guider d’une certaine manière à travers des paysages et des lumières qui n’ont aucun secret pour eux.
Un film avant tout basé sur la lumière naturelle, mais dont la fantaisie se retrouve parfois à l’image en déréglant certaines ambiances par de la lumière plus " artificielle " – comme par exemple avec des éclairs…

Donc un film d’extérieur avant tout…

Non, pas uniquement. On a même pour la première fois, avec les frères Larrieu, tourné en studio (les séquences intérieures de la cabane, recrées en studio pour des questions de place dans la vraie cabane). Il reste que l’un des personnages principaux, si ce n’est le personnage principal du film, est bien la montagne. Et pour les Larrieu, ce n’est pas juste un massif bien éclairé, une sorte de carte postale, mais bien une manière de raconter quelque chose de précis. A la fois une manière de raconter leur histoire, et celle de la région.
Pour vous donner une petite idée, sur ce film, on quittait souvent le chalet le matin en camion, pour ensuite monter dans des 4x4, poursuivre le chemin en quad, et enfin terminer à pied jusqu’au décor choisi par les deux réalisateurs ! Et à chaque fois, on passait de lieux sublimes en lieux sublimes… Pour finalement aboutir au lieu qui correspondait rigoureusement à l’histoire et à la scène. Il faut se rendre compte tout de même du challenge qu’ont représenté ces séquences. Le fait d’emmener une équipe entière jusqu’à 2 500 mètres d’altitude, est de pouvoir tenir là haut une journée entière en autonomie, c’est assez exceptionnel.

Quels étaient les enjeux en préparation ?

Les repérages ont été faits avec beaucoup de précautions. La position du soleil étant presque tout le temps prépondérante. En utilisant un sextant Sunto, et en récupérant les données à partir d’un petit programme de prévision, j’ai pu très précisément déterminer les positions solaires dans chaque décor. Et donc pouvoir anticiper sur le plan de travail, sur les axes de prises de vues possibles en fonction des heures.

Vous êtes-vous appuyés sur des photos ?

Oui, j’ai fait quelques photos. Mais les Larrieu n’ont pas du tout de découpage préétabli, ni de choix d’axe sur les scènes. Du coup, il faut beaucoup s’adapter, être très flexible, et surtout avoir confiance ! Mais comme ce sont des montagnards avertis, et ils sont même capables d’anticiper sur tel ou tel phénomène météorologique. Comme, par exemple, lors d’une journée de brouillard qui semblait compromettre toute prise de vues, et dont ils ont parfaitement tiré parti dans leur histoire.

Au niveau du matériel, qu’avez-vous privilégié ?

En montagne, la légèreté était absolument nécessaire. On a opté pour le Super 16, ainsi que beaucoup de matériel démontable ou allégé. Pour l’alimentation, j’ai utilisé, par exemple, des batteries car on ne pouvait pas amener de groupe électrogène dans les lieux difficiles d’accès. Un moment, j’ai même envisagé d’obtenir un groupe à hydrogène liquide, pour les quelques scènes d’extérieur nuit en altitude, mais en vain.
La séquence de rencontre entre Alexandre et Tenzing dans le petit abri de fortune a par exemple entièrement été éclairée à partir de sources sur batteries et avec des rampes à gaz.
D’un autre côté, certaines scènes, comme les extérieurs jour dans le jardin du gîte, ont été largement éclairées avec du matériel HMI conventionnel pour conserver un raccord sur l’ensemble de la journée.

Et à la caméra ?

Sur la caméra Super 16, j’ai décidé d’utiliser une série 35 mm Primo pour tirer le meilleur parti de l’image. La postproduction numérique en 2K effectuée chez LTC-Duboi nous a permis également de sublimer les teintes d’automne, tout en restant dans les ambiances naturelles assez transparentes. Je trouve que cette chaîne numérique est un très bel outil compte tenu de l’image S16 de départ. Un outil très lourd d’utilisation, mais qui offre une marge de manœuvre inexistante dans la chaîne traditionnelle.

Sur quelle période s’est déroulé le tournage ?

En tout, nous avons tourné six semaines à la fin de l’automne (octobre-novembre) avec une chance extraordinaire pour les conditions météo. Ce pari nous a permis d’obtenir non seulement des couleurs d’automne dans le paysage, mais surtout une lumière assez rasante sublime, bien plus graphique en altitude que celle d’été. Bien entendu, cette décision n’a pas été sans contrainte au niveau du plan de travail. Il nous a fallu être très précis sur les horaires, avec la nécessité d’aller très vite sur chaque installation, les lumières changeant du tout au tout en l’espace d’une heure. Sabine Azéma, avec son petit air narquois, m’a d’ailleurs souvent fait remarquer combien de chance je pouvais avoir en tant qu’opérateur sur mon premier film avec de tels paysages, une telle lumière, et… de tels comédiens !

N’est-on pas tenté parfois de privilégier le décor au détriment des comédiens dans de telles conditions ?

C’est la division des Larrieu qui fait bien les choses. Comme ils sont deux, il y en a un qui s’occupe plus des comédiens tandis que l’autre fait tandem avec moi pour le côté graphique, s’occuper de la montagne, du paysage. Quoi qu’il en soit, leur maîtrise du milieu et leur expérience leur permette toujours de prendre le temps de rentrer dans la scène et de tourner que quand les comédiens sont vraiment dedans. Même si, en tant qu’opérateur, on voit le temps passer, et qu’on n’est pas toujours rassuré  !
Là encore c’est juste une histoire de confiance mutuelle…

(Propos recueillis pas François Reumont pour l’AFC)