Le cinéma français bat des records de production

par Nathaniel Herzberg

Le Monde, 19 mars 2009

Les bonnes nouvelles s’accumulent pour le cinéma français. Après l’excellent niveau de la fréquentation en salles et le nombre record des entrées à l’étranger, la production affiche à son tour une santé insolente. Le Centre national de la cinématographie (CNC) a annoncé, mercredi 18 mars, que 240 films français avaient été produits en 2008.

Avec ce chiffre, l’industrie du film bat le record de 2005. Les 196 films " d’initiative française " – intégralement ou majoritairement financés en France – agréés en 2008 dépassent largement les résultats de 2005 (187) ou de 2007 (185). Surtout, l’investissement dans la production fait un bond de 22 % à 1,49 milliard d’euros.

Cette croissance s’explique en partie par une " anomalie " : en 2008, trois films particulièrement importants ont été engagés. Europa-corp, la société de Luc Besson, a lancé deux volets de la série Arthur, qui coûteront plus de 60 millions d’euros chacun.

Et Jacques Perrin poursuit la réalisation d’Océans, un documentaire dont le budget est à la mesure de l’ambition du projet : plus de 50 millions d’euros. « Des films de ce type, nous en avons habituellement un tous les deux ans », explique Véronique Cayla, directrice générale du CNC. « Trois d’un coup, c’est du jamais vu. »

Cet afflux se traduit par l’augmentation des devis. Leur moyenne passe de 5,4 à 6,4 millions d’euros (+18 %). En écartant les trois superproductions de 2008 et celle de 2007 (Babylon AD), la croissance atteint encore 7,8 %. Car dans toutes les catégories supérieures, le nombre de films augmente : 18 films de plus de 15 millions d’euros contre 12 en 2008, 17 contre 16 dans la fourchette 10-15 millions d’euros et 25 contre 21 entre 7 et 10 millions d’euros.

Les producteurs ont même osé confier, cette année, de très gros budgets à des cinéastes peu expérimentés. Jérôme Salle avec Largo Winch, Michel Hazanavicius avec OSS 117, Rio ne répond plus, et Yann Moix avec Cineman ont disposé de plus de 20 millions d’euros pour leur second long-métrage. Quant à Antoine Charreyron, il a reçu une somme équivalente pour La Nuit des enfants rois, son premier film.

Les trois principales sources de financement ont, il est vrai, augmenté. La télévision a engagé 42 millions d’euros supplémentaires, les producteurs français ont ajouté 77 millions d’euros. Enfin les mandats, ces cessions de droit destinées à exploiter le film en salles, à l’éditer en DVD ou à le présenter à l’étranger apportent 136 millions d’euros de plus.

Si elle s’est félicitée de cet « ensemble de résultat positif », Véronique Cayla a signalé deux ombres à ce tableau. Elle a d’abord souligné que tous les films ne profitaient pas équitablement de cette aubaine. Les grands gagnants 2008 sont les gros budgets (plus de 7 millions d’euros). Avec onze nouveaux films, cette catégorie représente 30,6 % des productions et 74,5 % des investissements. Le nombre de films pauvres – moins de 1 million d’euros – progresse aussi (+11), mais leur budget baisse. Quant aux films modestes 1 à 4 millions ou moyens (4 à 7 millions), ils souffrent sévèrement.

Le CNC a d’ailleurs présenté un gros plan de cette dernière catégorie, particulièrement sensible. Depuis deux ans, la profession s’alarme en effet de la fragilité croissante de ces " films du milieu ". Souvent ambitieux artistiquement et nécessitant des investissements importants, ils n’offrent ni la sécurité des grosses productions grand public ni la relative quiétude des tout petits budgets. Si bien que les chaînes de télévision et les gros groupes hésitent à prendre le risque de les financer.

C’est à leur sujet que le groupe dit " des 13 ", piloté par la réalisatrice Pascale Ferran, s’était alarmé en 2008, dans une étude intitulée " Le milieu n’est plus un pont, mais une faille ".

La directrice générale du CNC a confirmé ce diagnostic et n’a pas caché son inquiétude devant cette " bipolarisation accentuée ". Elle a toutefois rappelé que le CNC venait de proposer des mesures destinées à combler ce fossé (Le Monde du 8 février), qui aurait recueilli l’assentiment global du ministère de la culture. Elle n’a pas caché non plus ses interrogations sur les années à venir. Certes, le cinéma semble avoir été épargné par la crise. Même les deux premiers mois de l’année 2009 n’ont pas enregistré de baisse du nombre de films agréés par le CNC. Mais plusieurs éléments promettent une année 2009 moins rose.

D’abord, il paraît peu probable de retrouver les extravagances de 2008, tant du côté des entrées en salles, où un phénomène comme Bienvenue chez les Ch’tis reste une exception, que du côté de la production, où trois " monstres " ne réapparaîtront pas simultanément de sitôt. La télévision, ensuite, devrait voir ses investissements diminuer. Leur chiffre d’affaires baissera en 2009. Or les obligations de financement du cinéma sont proportionnelles aux résultats.

Enfin, les mandats devraient rapporter nettement moins. La crise internationale devrait affecter en particulier l’exploitation à l’étranger. Leur nombre pourrait rester stable. Mais déjà leur conclusion s’opère à un prix nettement inférieur à l’an passé, a indiqué Véronique Cayla. « Il convient donc de rester prudent », a-t-elle conclu.

Nathaniel Herzberg, Le Monde, édition du 19 mars 2009