Le directeur de la photographie Christophe Beaucarne, AFC, SBC, parle de son travail sur "La Chambre bleue", de Mathieu Amalric

par Christophe Beaucarne

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Christophe Beaucarne travaille depuis vingt ans avec des réalisateurs très différents sur des films aux univers visuels très variés. Il collabore aussi bien avec les frères Larrieu pour Un homme, un vrai et Peindre ou faire l’amour qu’avec Anne Fontaine pour Coco avant Chanel et Perfect Mother, avec Jaco Van Dormael pour Mr Nobody ou encore dernièrement avec Christophe Gans pour La Belle et la Bête.
Avec La Chambre bleue, quatrième long métrage de Mathieu Amalric, en compétition dans la section Un certain regard, Christophe Beaucarne consolide sa collaboration avec le réalisateur, après Le Stade de Wimbledon et Tournée. Adapté du roman éponyme de Georges Simenon, Mathieu Amalric y interprète le rôle principal au côté de Léa Drucker.

Synopsis : Julien Gahyde, incarcéré et interrogé dans le cadre de l’enquête judiciaire sur la mort suspecte de son épouse Delphine, évoque sa courte relation adultère avec Esther Despierre, une amie d’enfance que la vie a remise sur son chemin, et à laquelle, dans une réponse trop empreinte de légèreté, il a déclaré un " amour " et sa possibilité de " vivre avec elle ".

Le format du film est assez inattendu, pourquoi ce choix du 1,33 ?

Christophe Beaucarne : Pour cette adaptation de Simenon, le format carré permettait de donner un côté étriqué en ne bougeant pas la caméra. Par exemple, pour les scènes d’amour dans la chambre bleue, on voulait que les corps se déplacent à l’intérieur du cadre plutôt que de les suivre. Avec l’horizontalité des corps dans le lit et ce cadre très vertical, le résultat laisse voir des tranches de corps… C’est assez spécial !
La plupart du temps, on est dans la tête de Julien Gahyde. Avec le format carré, on peut décadrer comme si son regard était attiré par autre chose que par la personne qui est en face de lui. On peut laisser la tête en bas du cadre – car son regard est plutôt attiré par le mur au-dessus de la tête de celui qui lui fait face – et ça reste beau. Avec le Scope, si on met une tête dans un coin, ça fait vraiment mal cadré. Avec le 4/3, c’est le côté photographique qui prend le pas.
Ce format est bien adapté pour les scènes dans le tribunal qui se composent de pas mal de verticales, avec le juge en hauteur. J’aime bien aussi cette possibilité d’isoler le comédien en le contraignant dans le cadre, Julien Gahyde étant finalement assez seul… J’avais fui ce 4/3, depuis l’INSAS, parce que tout ce que l’on voulait faire, c’était du Scope ! J’ai redécouvert ce format et je le trouve très bien pour ce film-là.

Tes choix de lumière sont très liés au fait que ce soit un film noir.

CB : Non, pas spécialement… En fait, ils sont plutôt liés à la narration du film. Ce film ne ressemble pas à un film policier. La construction est vraiment originale, avec une écriture assez complexe. Il y a des flash-backs permanents jusqu’au procès avec des voix off sur les scènes du tribunal. C’est comme du vieux cinéma, un peu à la Chabrol, avec le crime passionnel en province, mais la construction du film et les choix de cadre sont modernes.
On a beaucoup utilisé les lumières naturelles, j’ai tourné avec peu de profondeur de champ. Les tonalités sont assez froides, surtout pour la maison du couple Julien - Delphine Gahyde, le lieu du crime. Le seul endroit un peu stylisé est la chambre, là où le film commence. Nous avons tourné dans une vraie chambre d’hôtel avec trois projecteurs, c’est le seul endroit où j’ai eu un peu plus de moyens.
Pour toutes les scènes d’interrogatoire au tribunal, c’est plus désaturé. J’aime beaucoup la scène où la passion commence entre les amants. Nous devions la tourner en crépuscule mais le soleil est apparu, un beau soleil d’hiver bien rasant. Mathieu y a ajouté une musique à la Vertigo.

Les conditions de production - budget serré et cinq semaines de tournage seulement – ont-elles influencé tes choix de caméra et d’optiques ?

CB : Oui, complètement ! J’ai choisi la Sony F65 avec laquelle j’ai tourné deux fois. Je savais que je n’aurais pas la possibilité d’avoir beaucoup de sources et que je travaillerais plutôt par soustraction. La F65 est très bien en très basse lumière et pour le rendu des couleurs. Pour la scène d’été, quand les amants partent en vacances aux Sables d’Olonne, on s’est retrouvé sur une plage avec 20 000 personnes ! Comme cette caméra n’est pas très impressionnante, personne n’a prêté attention au tournage. C’était très coloré et la F65 m’a permis de garder les couleurs assez fortes et belles.
Les optiques sont des Master Prime, que j’ai choisies pour leur ouverture. Je l’ai un peu regretté ensuite… J’avais utilisé ces optiques sur La Belle et la Bête mais j’avais des décors assez fous et une maîtrise total de la lumière, c’était plus simple. Les Master Prime en plein soleil sont un peu durs...
En ce moment, j’utilise les Leica qui ouvrent à 1,4, ils sont plus doux, plus ronds. J’aurais dû prendre ces optiques pour La Chambre bleue, mais je ne les avais pas encore essayées. Et puis avec ce petit budget… Tourner avec la F65 c’était déjà pas mal !
En fait, l’idéal est d’avoir des optiques qui ouvrent beaucoup pour les scènes de nuit ou d’intérieur sans lumière et des optiques plus " molles " qui ouvrent peu pour les extérieurs jour. Car même en filtrant, on a toujours le risque que les gros plans en extérieur jour soient trop " sharp ", avec un grain de peau trop évident.

Comment se sont passés tes échanges pendant la préparation puis sur le tournage avec Mathieu Amalric ?

CB : Mathieu a fait des repérages tout seul, il avait des idées très précises de décors. Il me montrait régulièrement des photos ; j’ai découvert les lieux le jour du tournage. C’est notre manière de fonctionner et c’est très stimulant.
Ce mode de fonctionnement me fait penser au cadreur de French Connection, qui faisait du documentaire. Il ne savait rien de la scène, le réalisateur le faisait entrer dans la pièce et le cadreur filmait ce qu’il voyait… Quand on découvre un lieu, on a tout de suite le regard qui cherche à optimiser le lieu.

Nous avions parlé du style général des scènes avant le tournage, et une fois dans le décor, je pouvais improviser en ayant ces conversations en tête. Et surtout que Mathieu joue dans le film donc il fallait avoir parlé des scènes avant !
Pour la grande scène de tribunal, Mathieu a demandé à la déco et aux accessoires de préparer un dossier d’instruction qu’il a ensuite donné à de vrais magistrats. Ces magistrats ne se connaissaient pas, du coup ils ont tous plaidé assez sincèrement comme pour un vrai jugement.
On a installé un travelling et pendant deux heures de délibéré, nous avons filmé dans tous les sens, sans interruption, j’essayais de capter ce que je pouvais. Je n’avais pas trop de problèmes de continuité puisque le procès se passe sur plusieurs jours. Heureusement car le soleil jouait à cache-cache ! Je m’étais placé dans un endroit judicieux et j’avais obscurci les fenêtres d’un côté.
Avec Mathieu, tout va très vite parce qu’on aime les même choses, nous sommes le plus souvent d’accord. Il a toujours des idées particulières. Il lui arrive de mélanger les points de vue dans une même scène, passer du point de vue du comédien principal à celui du juge. La Chambre bleue est un film très brillant.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)