"Le dossier des intermittents demeure inflammable"

Par Clarisse Fabre

La Lettre AFC n°262

Le Monde, 23 février 2016
A première vue, et deux ans après la crise de 2014, l’assurance-chômage des artistes et des techniciens du spectacle semble préservée. D’une part, les annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) ont été inscrites dans la loi Rebsamen du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi.

D’autre part, ces annexes vont faire l’objet d’une négociation spécifique entre les partenaires sociaux du secteur culturel, laquelle s’ouvrira jeudi 25 février au Conseil économique, social et environnemental, à Paris. Troisièmement, pour éclairer leurs choix, les négociateurs pourront demander des chiffrages à un comité d’experts indépendant, piloté par Jean-Paul Guillot. Celui-ci fait autorité : il avait déjà été appelé à la rescousse en 2004, pour déminer le mouvement des intermittents de juin 2003.

Ces trois nouvelles données sont issues de la mission de concertation menée par "trois sages" au lendemain de l’accord contesté du 22 mars 2014 sur l’assurance-chômage. Le député socialiste Jean-Patrick Gille, l’ancienne codirectrice du Festival d’Avignon, Hortense Archambault, et l’ancien directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle, avaient été chargés par Manuel Valls de trouver des pistes pour réformer ce régime spécifique, jugé excessif par le patronat et inadapté par les intermittents – les artistes doivent réaliser 507 heures en dix mois et demi, et les techniciens 507 heures en dix mois, pour être éligibles à une indemnisation. Début janvier 2015, le premier ministre donnait son feu vert aux propositions des "trois sages.

En même temps, M. Valls a fixé les règles du jeu. Cette négociation spécifique doit être compatible avec le "cadrage financier" global – soit le montant des économies à réaliser. En cas d’échec des négociations, l’échelon interprofessionnel reprendra la main sur les annexes 8 et 10. A plusieurs reprises, comme le 19 juillet 2015, à Avignon, M. Valls a précisé que « les intermittents ne peuvent pas être la variable d’ajustement ».

« Recadrer les prétentions du Medef »
Aujourd’hui, le chiffre de 200 millions d’euros de coupes sur les annexes 8 et 10 circule, soit un quart des 800 millions d’euros d’économies voulues par le patronat. « C’est une façon de torpiller autrement le régime des intermittents », dénonce Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT-spectacle. « Tout dépendra de la capacité de Manuel Valls à recadrer les prétentions du Medef », note un bon connaisseur du dossier.

Samuel Churin, de la Coordination des intermittents et précaires, rappelle que les 100 000 intermittents représentent 3,5 % des allocataires de l’Unedic, et moins de 4 % des dépenses de l’assurance-chômage. Certes, la différence entre les cotisations versées et les allocations perçues par les intermittents représente 1 milliard d’euros, mais on ne peut parler d’un déficit. « Chercher à identifier un déficit qui serait propre à une catégorie d’actifs ne fait pas sens », disait l’ancien ministre du travail Michel Sapin, lors de son audition devant les députés qui planchaient sur le dossier des intermittents, le 26 février 2013. Il ajoutait : « Il est logique que ceux qui connaissent le plus de risques – les intermittents, mais aussi les salariés en CDD ou en intérim – bénéficient de l’appui de ceux qui ne connaîtront pas ou peu le chômage. (…) Je n’ai vu personne calculer le déficit de l’Assurance-maladie en le limitant aux seuls patients. » A cet instant-là, les intermittents étaient devenus optimistes.

Clarisse Fabre, Le Monde, mardi 23 février 2016