Le travail de Sébastien Buchmann, AFC, sur "Don Juan", de Serge Bozon, dans les pages du "British Cinematographer" n° 112
Sébastien Buchmann connaît Serge Bozon depuis longtemps pour l’avoir rencontré une toute première fois sur son premier film en tant que directeur de la photographie, L’Adolescent, de Pierre Léon, dans lequel il était l’un des acteurs. Les précédents films de Serge Bozon avaient tous, excepté un, été photographiés par sa sœur, Céline Bozon, AFC, mais, comme pour Don Juan, Céline n’était pas disponible, Serge le lui a proposé. « J’ai voulu faire le film avant même d’avoir lu le script ! », précise-t-il.
« C’est toujours intéressant la première fois que vous travaillez avec un réalisateur, Serge a un "univers" très fort et entrer dedans prend du temps. Le scénario est très précis – pas seulement la narration mais aussi beaucoup d’autres éléments. Comme Don Juan est un film musical, y étaient mentionnées la danse, la musique et aussi la caméra. »
Don Juan est un des 25 films, présents au Festival de Cannes cette année, qui ont été tournés sur pellicule Kodak. « Serge ne voulait pas tourner en numérique – il a fait tous ses films en pellicule », explique Sébastien Buchmann. « Il m’a dit une fois qu’il préférait tourner en pellicule parce que, par jours maussades, avec des décors pas très bien..., en numérique, c’est horrible. Vous voyez la banalité de la réalité, et ça ne l’intéresse pas. Mais avec la pellicule, on obtient une interprétation de la réalité. Je dois l’admettre, j’adore tourner en 35 mm. J’aime l’éclairer et les petits "accidents" qui vont avec. »
Le directeur de la photographie a opté pour trois différentes émulsions de Kodak, incluant la 50D pour les scènes de jour à côté de la mer (le tournage a eu lieu à Granville en Normandie) et la 500T pour les scènes de nuit et les nuits tournées de jour. Son émulsion favorite, cependant, était la 250D pour les intérieurs jour, et il a essayé de l’utiliser autant que possible.
« Il y a deux choses que j’apprécie quand je tourne en pellicule », dit Sébastien Buchmann. « D’abord, j’aime l’image – spécialement pour la peau, les couleurs de peau et la texture, parce parfois en numérique, c’est un peu trop net. Ensuite, j’aime la façon dont on tourne. Quand vous tournez en numérique, toute l’équipe fait face à un écran et le plan est là – vous pensez avec l’écran. Mais en pellicule, vous devez imaginer le plan dans votre tête. Vous devez imaginer où se situeront les hautes lumières et les noirs, et si un personnage est dans l’ombre ou dans la lumière, tout est dans votre tête. »
Don Juan a été tourné avec l’Arricam ST – « Elle est énorme mais je l’aime bien » – louée chez TSF à Paris, avec des optiques Zeiss Ultra Prime. L’équipe de Sébastien Buchmann était petite, comprenant seulement la chef électricienne Mariore Manneville, le chef machiniste Adrien Anquetil et deux assistants, Mathias Sabourdin et Éléonore Huisse.
« S. Bozon avait des idées fortes en ce qui concerne la lumière », se souvient le chef opérateur. « Serge voulait le plus possible styliser la lumière : il voulait du mystère. Il disait aimer spécialement ce qu’il appelait "lumière d’aquarium". » Les deux hommes avaient lu le livre datant de 1949 du directeur de la photo américain John Alton, Painting with Light, qui parle de l’ancienne manière d’éclairer de Hollywood. Afin d’aider S. Buchmann à comprendre sa vision, S. Bozon pointa son regard en direction des fameux "cookies" d’Alton – cassant la lumière et créant un look plus naturel avec des formes ressemblant à des branchages. « C’est devenu une phrase-clé pour la prépa et pendant le tournage : "Peut-on avoir des cookies ?" », se souvient S. Buchmann. « Ma chef électricienne avait des petites branches qu’on mettait quasi systématiquement sur chaque plan, même si ce n’était pas justifié. Parfois, on en a utilisé des réelles pour la garden-party (ce qui était justifié pour une fois) et pour les représentations théâtrales, en arrière-plan. »
Sébastien Buchmann s’est attardé spécialement sur le regard de Laurent joué par Tahar Rahim – Serge tenait à ce qu’on mette en scène visuellement son obsession pour les femmes – en utilisant des projecteurs LED Dedolight : « Lors de ces regards, Laurent était cadré en très gros plan et on dirigeait un Dedo en direct dans ses yeux. Petit à petit, la lumière augmentait, ce qui faisait briller son regard d’un façon particulière. Au montage, ils n’ont pas toujours gardé le plan dans sa longueur, aussi on ne le remarque pas forcément mais je pense qu’on peut le ressentir. C’était assez compliqué à faire et c’était aussi très difficile pour l’acteur, parce qu’il avait cette lumière en directe dans les yeux – donc merci Tahar ! »
Et merci à cette production musicale de grande classe, le Don Juan de Serge Bozon prouve qu’il y a toujours autant d’intérêt à adapter cette vieille histoire.
Article reproduit avec l’aimable autorisation de la rédaction de British Cinematographer – Propos recueillis et rédigés par Helen Parkinson, traduits de l’anglais par l’AFC avec l’aide précieuse de Sébastien Buchmann.
- Lire l’article original, numérique ou imprimé, en s’abonnant à British Cinematographer.