Pourquoi faisons-nous ce métier ?

François de Morant, chef opérateur du son, AFSI

La Lettre AFC n°233

C’est tout simplement un métier que j’aime parce que je me sens comme un contrebassiste d’un orchestre. J’exécute une œuvre d’un opéra et je suis content d’être l’interprète exécutant qui exprime son talent sous la direction du chef d’orchestre (le réalisateur). Ce dernier en est très souvent le compositeur.

Moi, ce qui me plaît, c’est de faire partie d’un orchestre (une équipe) et de travailler avec tous ses membres (du producteur au stagiaire). Mais il s’agit d’un opéra un peu particulier. La particularité de l’exécution de cet opéra est que nous avons tous une trame musicale, mais que la partition va s’écrire pendant l’exécution de l’œuvre. Ce sont tous les intervenants à sa construction/réalisation qui en donneront la couleur (pas mal pour du son !)
Alors, est-ce que mon salaire va mettre en péril le fait de monter ce type d’opéra ? (N’oublions pas que je suis un des modestes contrebassistes de l’orchestre.)

Est-ce qu’une Convention collective qui cadrera le fait de pouvoir vivre de mon métier sans me battre à chaque fois empêchera de monter l’œuvre du chef d’orchestre compositeur ?
N’oublions pas qu’une Convention collective étendue permet, au-delà de poser un cadre juridique sur les conditions de travail de chaque exécutant, de mettre les producteurs sur un pied d’égalité.
Ce sont des règles et les règles, c’est marrant, on n’aime pas ça !
C’est curieux si l’on observe pourquoi on n’aime pas ça, c’est toujours pour être moins-disant par rapport à la règle et jamais le contraire ! Tout ça noyé dans des propos d’atteinte à la créativité et liberté d’expression, voire même d’atteinte à la diversité !
Car à quoi sert une Convention collective étendue ?
- A une amélioration et/ou finalisation des stipulations du Code du travail en matière de conditions de travail ainsi que des garanties sociales des salariés.
- A une organisation de certaines réglementations spécifiques relatives aux secteurs où les dispositions du Code du travail demeurent vagues.
- A fixer des dispositions plus favorables que celles stipulées par le droit commun.

Alors, soyons adultes, acceptons les règles que nous adapterons si nécessaire dans l’intérêt de toutes les parties. Déjà faire un film n’est qu’un tissu de contraintes. Truffaut disait : « Je ne fais pas des films, je sauve des films », et il n’y avait pas de Convention collective étendue ! (Il arrachait lui aussi des pages de son scénario.)
Prenons la convention collective étendue qui régit le parcours du soleil, elle est malheureusement immuable et non négociable, il finira toujours par se coucher puis se lever. Prenons la Convention collective étendue de la biologie humaine, elle l’oblige à respirer, voir même dormir ou manger et je ne parle pas du reste. Même si ce n’est pas gratuit.
Enfin c’est dingue, ça empêche la diversité ! A ce que l’on dit, cela empêcherait la fabrication d’un certain nombre de films… Je suggère une pétition pour interdire au soleil de bouger et aux techniciens de manger, dormir et respirer.
Je cite : « Quelle que soit la légitimité du point de vue de l’auteur, son œuvre ne peut justifier des conditions d’emploi aléatoires, dépréciées, avec comme seule règle la loi du plus fort. Opposer la création aux équipes c’est aussi réduire les collaborateurs artistiques uniquement à une variable économique. Si tel devait être le cas, alors rien ne justifie ce " Far West " social. Bien au contraire, si le cinéma adopte les travers des autres secteurs économiques, alors il doit être régulé au même titre que les autres. »
Nous voulons donc tous, manger, respirer, dormir, aimer de nos métiers. Nous voulons une Convention collective étendue que l’on peaufinera tous ensemble avec le temps, parce que nous sommes un métier d’équipe.
Ce sera la garantie qui nous permettra enfin de nous consacrer (tous ensemble) à notre créativité.