Quand Paul Bonis chargeait les magasins d’Eclair 16 en smoking, la classe !

Par Jean-Noël Ferragut, AFC
Si rendre hommage à une connaissance, c’est projeter au ralenti les images mentales de souvenirs communs enregistrés dans notre mémoire vive, si parler d’autrui, c’est aussi parler de soi, je ne ferai pas exception en disant que ma rencontre avec Paul Bonis remonte à mes tout premiers ébats dans le grand bain de la vie professionnelle. Et si le film était à refaire, l’action se situerait au début des années 1970.

Tout juste sorti de Vaugirard et après un premier film en tant que deuxième assistant opérateur stagiaire, le hasard veut que j’entre dans l’équipe de Paul comme second, cette fois à part entière. Assez bien dégrossi par l’expérience du tout premier tournage – où la chance me sourit, voyant se succéder pas moins de trois chefs couronnés, trois cadreurs dont deux s’accordent mal avec un réalisateur ayant son caractère et trois assistants partant l’un après l’autre pour x bonnes raisons –, Paul et ses coéquipiers (premier assistant, machinistes, électriciens) vont me faire découvrir les ficelles les plus essentielles de notre beau métier.
Les films auxquels nous participons ne sont certes pas des chefs d’œuvre – des comédies légères, tournées au Caméflex, son témoin, et en cinq à six semaines, dont les joyeux lascars, enrôlés en Bidasses plus ou moins en folie, font avant tout la fortune des producteurs. Des films que certains d’entre nous ont coutume de surnommer avec humour et familiarité des « Mickeys »… Pas de quoi en rougir, en tout cas pas moi qui en profite pour faire mes gammes, observant avec attention le travail de toute son équipe, me confortant ainsi dans mes choix antérieurs.

Car tourner avec Paul et les siens, c’est être particulièrement à bonne école. Ecole de savoir-faire – d’astuces frisant l’artisanat au gré des idées qui fusent de toutes parts en techniciens hors pair rayonnant du plaisir pris à manipuler machines et accessoires, petits trésors d’invention pour effets spéciaux en direct. Mais surtout école de savoir-vivre et de grande humanité. Reflet, s’il en est, de cette passion partagée du cinéma dont la contagion est telle, pour un jeune apprenti, qu’elle reste chevillée au corps pour une durée indéterminée.
Du souvenir que j’ai de lui durant deux années passées à ses côtés, Paul est non seulement un excellent technicien mais aussi un bon vivant. Lors de nos tournages en province, il n’apprécie guère séjourner à l’hôtel, préférant loger dans une petite maison, avec comme plus grand plaisir d’accueillir qui souhaite partager avec lui le vivre et parfois le couvert. En toute simplicité mais non sans talents, de chef opérateur le jour à chef de cuisine le soir, et aussi sommelier, dénichant ici et là une ou deux bonnes bouteilles des meilleurs crus du coin.

Quelques films et quelques temps après, Paul me rappelle, preuve de confiance, pour remplacer au pied levé son premier assistant d’alors, stupidement accidenté. Par la suite, nos chemins divergent et nous nous perdons de vue, dispersés l’un et l’autre dans la nature, mais pas n’importe laquelle puisque c’est précisément pour lui le lieu où Vincent mit l’âne dans un pré

Sur le tournage de "Vincent mit l'âne dans un pré (et s'en vint dans l'autre)", en 1976 - Pierre Zucca, à gauche, Paul Bonis, à la caméra, et, à demi masqué, Daniel Leterrier, assistant opérateur – DR / Archives Julien Bonis
Sur le tournage de "Vincent mit l’âne dans un pré (et s’en vint dans l’autre)", en 1976
Pierre Zucca, à gauche, Paul Bonis, à la caméra, et, à demi masqué, Daniel Leterrier, assistant opérateur – DR / Archives Julien Bonis

J’allais terminer sans évoquer ce par quoi j’aurais dû commencer ! A savoir quand a eu lieu notre rencontre. L’un des trois cadreurs cités plus haut, celui de bonne composition, me fait signe un jour pour charger des magasins. Ce que Paul fait encore à l’occasion. Je fais sa connaissance dans une arrière-salle attenante à la loge des Fratellini au Cirque d’hiver… Excusez du peu !
Non loin de l’endroit où les éléphants se dandinent d’un côté sur l’autre en faisant écurie commune avec la cavalerie, où tigres et lions en cage ne s’assoupissent que d’un œil, attendant le dompteur pour prendre le tunnel et faire leur entrée en piste. Humant cette odeur particulière qui émane des coulisses d’un cirque, les bras rentrés jusqu’aux coudes dans les emmanchures de notre "charging bag", en chemise blanche et nœud papillon serré au col. Car pour cette unique mais annuelle représentation, chacun se doit de venir travailler en tenue de soirée, même pour charger les magasins des Eclair 16 qui filment pour la télévision le 38e Gala de l’Union des artistes.

Te rappelles-tu, Paul ? C’était le 30 avril 1971, je m’en souviens comme si c’était hier ! Devenu chef, tu me fais appeler par ton premier assistant pour me proposer de venir vous rejoindre comme second… Le temps a passé. L’occasion ne s’étant jamais présentée, et si toutefois tu m’entends, un grand merci pour tout, ce que tu m’as transmis et ce que je te dois !