Troisième billet de – bonne – humeur

par Pierre-William Glenn

La Lettre AFC n°172

Si j’avais été catastrophé du prix du cocktail de la soirée Un secret à l’espace Cardin où une association comme la notre se révèle incapable de mobiliser 3 ou 4 de ses membres pour aller acheter du bon champagne dans un hyper marché puis servir leurs collègues dans la convivialité... Et si j’avais été très ennuyé des superpositions de dates pour des évènements nous concernant...

La dizaine de témoignages personnels d’amitié, d’e-mails d’acquiescement et de textos de soutien aux positions exprimées dans mon dernier billet de la Lettre de décembre m’ont convaincu que rien n’est perdu. Ni pour notre association, ni pour la profession malgré l’existence d’une zone de tourments vers laquelle nous nous dirigeons, mais j’y reviendrai.

J’ai été particulièrement satisfait de la réaction très positive de Claude Garnier dont la présence parmi nous, au vu de la qualité et de l’honnêteté de sa motivation, est d’évidence un enrichissement. Je pense que Bruno Delbonnel participera à cette Lettre, mais si ce n’est pas le cas nous pouvons d’ores et déjà prendre date pour le Camerimage de l’année prochaine où Bruno a obtenu un prix cette année... Avec une délégation consistante de Chefs Opérateurs français dont il faudrait organiser la venue en lui en donnant les moyens…
Rappelons que dans le même cadre en 2007, devant une représentation significative de Directeurs Photo de l’AFC, Sébastien Hestin, élève du département Image de La fémis dont le court métrage TFE de fin d’études était sélectionné, a remis, lors de la cérémonie d’ouverture, le prix Vulcain de l’artiste technicien du jury de la CST présidé par Tom Stern cette année à Cannes, à Janusz Kaminski, à la plus grande satisfaction de ce dernier. Kaminski a remporté le Grand prix de la manifestation polonaise, très importante pour l’image de film et donc à promouvoir et à défendre, avec le même film de Julian Schnabel, réalisateur et peintre américain, produit en France et tourné en français…

Il n’est pas très dur d’enchaîner avec LA question : qu’en est-il de la survie de ce cinéma d’expression libre, structuré sur le fond de soutien français et l’articulation que lui donne un CNC régulateur, organisateur et modérateur après la restructuration en cours de notre industrie photochimique ? La réponse est simple : le pire est à craindre. On a beau dire dans les milieux politiques et diplomatiques qu’il ne faut pas se préoccuper d’où viennent vos interlocuteurs mais plutôt de là où ils vont, dans les deux cas de figure, pour Tarak Ben Amar et le groupe qu’il représente, il y a de quoi être inquiet. On sait d’où il vient et on peut prévoir là où il va.
Vous pourrez consulter, sur le site des Greffes des tribunaux de commerce www.infogreffe.fr, les informations recueillies le plus légalement du monde montrant comment la " logique " du marché prévaut sur celle de l’état puisque le groupe Quinta, très endetté dans toutes se filiales, plombé d’une dette sociale significative et d’un classement de dangerosité extrême par le même " infogreffe ", peut racheter le groupe Eclair en équilibre financier et le démanteler après une guerre commerciale sans merci où l’établissement des prix s’est fait bien en deçà de la rentabilité. La preuve en est faite aujourd’hui que cette situation n’était pas vivable mais les productions ont profité d’une concurrence qui n’en était plus une et une partie importante des producteurs, pas forcément la moins aisée, a cédé à la tentation du dumping.

Je vous joins le communiqué de presse commun à la SACD, à l’ARP et à la SRF pour demander la solidarité de l’AFC lors de son prochain conseil, après celle que je demanderai au bureau de la CST en janvier. Il faut absolument se défendre de la " berlusconisation " de la vie politique, publique et artistique qui est devenue en France une évidence, avec les mêmes personnes pour imposer à l’échelle de l’Europe, un paysage de fictions publicitaires, de téléréalité poubelle, de médias contrôlés, tout çà allant de pair avec la disparition des cinémas nationaux…
Un hebdomadaire pouvait titrer, il y a quelque temps, sur le capital financier qui ruine les entreprises. Nous avons devant nous une démonstration significative dans notre métier avec une réduction de voilure programmée du cinéma français, une perte des savoirs faire, des techniques liés à une contraction de la programmation et de la distribution.

Quelques questions
Pourquoi laisser faire ?
Quelle est la frange du pouvoir politique qui envisage sereinement la disparition programmée du cinéma français ?
Qui va avoir le courage de dire et d’écrire que Berlusconi, Rupert Murdoch, Leo Kirch ont été et sont conseillés et assistés par le même Tarak Ben Ammar ? (On pourrait aussi citer son rôle d’intermédiaire dans les transactions de Vivendi, de Mediobanca, de la Generali et ses diverses prises de fonction au sein des conseils d’administration de Mediaset, société qui regroupe les chaînes italiennes et espagnoles de Berlusconi).
Qui va dire enfin, après les aventures de Monsieur Messier et Vivendi (où apparaît encore Tarak Ben Ammar), que tous ces braves gens n’ont jamais été préoccupés par la création cinématographique et sont encore moins des amis des Auteurs au sens Européen du terme ?

Certains pensent que le cinéma français produit trop de films " hors marché " : Lire, pas assez de films de divertissement et trop de films d’auteurs ou d’expression qui plombent l’économie audiovisuelle. Il est encore difficile pour eux de faire " le ménage ", la notion d’Auteur a droit de cité chez nous, elle est acquise par le monde du cinéma et pas seulement en France. Beaucoup de producteurs et réalisateurs très attachés au cinéma national arrivent encore à se faire entendre.
Le règlement de comptes entre industries techniques, aujourd’hui à l’avantage de Quinta, risque de donner le monopole des décisions artistiques à des personnes pour qui l’innovation culturelle n’est évidemment pas le centre d’intérêt. Il arrivera à une réduction du nombre de films français de l’ordre du tiers ou plus, qui correspondra à une réduction en proportion au moins équivalente du nombre de salariés et d’entreprises dans les industries techniques. C’est la tentation " économique " en cours… Pourquoi ce silence médiatique ?
Ce qui ressemble de plus en plus à une tentative de dérégulation et de destruction d’un système qui a fait ses preuves et nous est envié par le monde entier, ne se conjuguera pas, espérons-le, avec une installation sauvage du parc des salles en numérique hors toute réglementation. Ce que souhaitent certains… Pourvu que ce ne soit pas les mêmes, avec la même " logique " financière qui amène le cinéma français au bord du gouffre.
Le système d’aide structurelle et de solidarité du cinéma français, qui ne coûte rien à l’état, ne peut tenir que lorsqu’il y a une concurrence : conditionner l’aide à une commande obligatoire à une seule et unique entreprise remet en question le soutien national lui-même en l’ouvrant à la concurrence européenne. En détruisant pratiquement la concurrence dans le secteur des labos ne détruit-on pas le socle du fond de soutien français et le cinéma tout court ?

A quand le labo, (dirigé par qui ?), qui choisira le Chef Opérateur et qui le fera virer quand il y aura un problème ? La logique absurde qui met au pouvoir économique des gens en faillite qui prétendent de surcroît nous expliquer le monde de la création doit être dénoncée avec courage et opiniâtreté. Ce sont trop souvent et malheureusement des qualités qui manquent dans notre métier… Mais la réaction très positive que j’ai constatée à mes deux précédentes communications me fait espérer en un regain moral et dynamique de notre association et c’est ce qui me met, finalement, de bonne humeur.
A bientôt, Pierre-William Glenn