"Un avenir incertain pour la cinémathèque Robert Lynen"

Par Clarisse Fabre

La Lettre AFC n°238

Le Monde.fr, 15 décembre 2013
Que va devenir de la Cinémathèque Robert Lynen, située au 11 rue Jacques Bingen, dans le 17è arrondissement de Paris ? Dédiée à l’éducation à l’image, et aux jeunes spectateurs, elle est dotée d’un fond exceptionnel de films, pour la plupart des documentaires en 16 millimètres et 35 millimètres, et d’une collection de plus de 3 000 autochromes (premier procédé de photographie en couleur).

Des joyaux de l’histoire du cinéma reposent dans le sous-sol de cet hôtel particulier, au charme désuet : parmi les 3 500 titres, citons, entre autres, Paris-Port, d’André Sauvage, une copie teintée de 1926 ; Les Halles centrales (1929), de Boris Kaufman ; des films scientifiques des années 1910-1920, comme Pasteur (1922), documentaire muet sur la vie de Pasteur, réalisé par Jean-Benoît Levy et Jean Epstein ; et aussi des œuvres de Jean Mitry, Georges Franju, Joris Ivens, Chris Marker...

Vente suspendue
La décision de la Ville de Paris de vendre le bâtiment, il y a un an, a été suspendue provisoirement à la suite de la mobilisation de cinéastes, au premier rang desquels Julie Bertuccelli, nouvelle présidente de la Scam (Société civile des auteurs multimedia). Les réalisateurs Dominique Cabrera, Jean-Louis Comolli, William Karel, Sébastien Lifshitz, Nicolas Philibert…, le critique André S. Labarthe, figure de la Nouvelle Vague, la comédienne Irène Jacob, la chef opératrice Caroline Champetier, etc, ont signé une pétition de soutien.

A l’origine, ce bâtiment appartenait à un collectionneur d’art, Charles Vincent Ocampo, lequel en a fait don à la Ville de Paris en 1930. La Cinémathèque a vu le jour, puis une salle de cinéma avec son ciné-club, que Gérard Philipe fréquentait assidûment. La salle est restée dans son jus des années 1950, et à elle seule mérite la visite.

Un bâtiment qui n’est plus aux normes
La perspective des élections municipales, en mars 2014, a ravivé le débat : que faire de cette Cinémathèque qui n’est plus aux normes, faute d’entretien et d’investissement, et qui est fermée au public depuis 1992 ? Elle n’a plus qu’une petite capacité d’accueil (19 personnes maximum) et l’essentiel de ses activités pédagogiques a lieu hors les murs, sous la houlette de la directrice de la Cinémathèque, Emmanuelle Devos, homonyme de la comédienne.

Cela fait treize ans que Julie Bertuccelli organise des projections dans des écoles parisiennes. « Les enfants hurlent de joie quand ils nous voient arriver sous le préau, avec le projecteur. A une époque où certains ne connaissent plus que les dvd, ou l’écran de l’ordinateur, ils découvrent la pellicule, l’histoire du cinéma, manipulent le projecteur », raconte la réalisatrice. Des ateliers sur plusieurs jours ont lieu, également, en collaboration avec le Musée des arts et métiers, ou encore l’agence la Parisienne de Photographie, sur le cinéma burlesque américain, sur le thème des archives, autour du son et de l’image, etc.

Mobilisation des cinéastes
« Nous voulons sauver la salle en la mettant aux normes. Relancer le projet pédagogique, et faire de la Cinémathèque un nouveau lieu de projection, notamment pour le documentaire. Pour faire rentrer de l’argent, la salle pourrait aussi être louée pour des projections presse », résume Julie Bertuccelli. Bruno Julliard, l’adjoint à la culture de Bertrand Delanoë (PS), n’est pas insensible à ces arguments, mais il estime que « la vente du bâtiment est le choix le plus pertinent, en terme de gestion ».

« Le coût de la réhabilitation s’élève entre 4 et 6 millions d’euros, sans compter l’équipement, dit-il. Ceci dit, tant que nous n’aurons pas trouvé un autre site pour faire revivre la Cinémathèque, la vente est suspendue. Car il y aura bien une Cinémathèque jeune public à Paris, c’est certain », ajoute-t-il . « Il n’est pas question, non plus, de disperser la collection. Nous devons trouver un lieu de stockage unique. Les films sont en train d’être numérisés, mais nous continuerons à faire des projections en 16 mm, même si de fait elles deviendront minoritaires », ajoute Bruno Julliard. La prochaine équipe municipale héritera de ce sensible dossier.

(Clarisse Fabre, Le Monde.fr, 15 décembre 2013)