Une année 2003 à L’EST

par Christian Guillon

La Lettre AFC n°127

Pouvait-on créer un groupe homogène d’individus qui partagent une vision commune de notre métier, qui appliquent des méthodes bien définies, qui respectent des règles clairement formulées, mais aussi un groupe fait de personnalités diverses et riches, qui expriment des différences d’approche et des compétences particulières, et dont l’agrégat formerait l’image d’une équipe en éveil et en constante évolution ?

L’actualité des films sur lesquels nous avons travaillé en 2003, sortis relativement récemment ou qui vont sortir bientôt, me permet aujourd’hui de tenter un état des lieux provisoire, en même temps qu’une sorte de présentation (partielle) de notre équipe.
Je ne citerai ici que les personnes qui, au sein de l’EST, sont au contact de l’extérieur, ceux à qui vous avez eu ou pourriez avoir à faire.
D’autres travaillent à des tâches moins exposées.
Si l’on observe toutefois leurs cursus, ils témoignent tous de la nécessité d’un l’alliage entre une formation initiale solide (Louis Lumière, Supinfocom, l’université de Valenciennes), et un \" compagnonnage \" au sein d’une équipe.
Certains ont vécu ce compagnonnage dans la continuité de L’EST, d’autres se sont formés ailleurs, mais pour tous, le compagnonnage de longue durée a été indispensable et déterminant.

Après A la petite semaine de Sam Karmann (photographié par Mathieu Poirot-Delpech), Agnès Sébenne a pris chez nous en charge la postproduction des trucages du Divorce de James Ivory (sorti en octobre), film dont François Vagnon avait assuré la partie tournage.
C’est à Ex-Machina en 1994 que j’avais engagé Agnès Sébenne comme assistante, à sa sortie de l’Ecole Louis Lumière. Elle nous rejoignit à L’EST dès la création de la société en 1998 (cela s’appelait alors L.E. S.P.E.C.T.R.E.).

Elle a donc vécu la plupart de nos aventures, comme coordinatrice de postproduction pendant plusieurs années d’abord, poste qui lui a donné une vision exhaustive de tous les aspects du métier de superviseur VFX (Abréviation américaine pour Visual Effects, à la différence de SFX - Special Effects - terme utilisé pour les effets spéciaux effectués lors du tournage), et enfin comme superviseur elle-même.
Son premier film important en superviseur " solo " avait été Femme fatale, de Brian de Palma, 80 plans truqués " invisibles ", une deuxième collaboration plus qu’enrichissante avec Thierry Arbogast (après Les Rivières pourpres), dont elle vous avait parlé à l’époque, dans une Lettre de l’AFC.

Pour Le Divorce, Agnès a dirigé les trucages d’une cinquantaine de plans, parmi lesquels une jolie séquence de sac à main volant dans Paris, dont elle a conduit la fabrication chez Mikros.
A cette occasion, elle a travaillé, dans un très bon climat, sur des images signées et sous la direction de Pierre Lhomme, que nous remercions ici pour sa confiance généreuse.
Agnès termine actuellement les trucages de Podium, de Yann Moix, en étroite collaboration avec Benoît Delhomme. Ce film sortira en février, il y aura matière à en parler.

Pour mener à bien les 80 plans truqués " invisibles " de Mauvais esprit, de Patrick Alessandrin, qui est sorti en novembre, il n’a pas fallu moins d’une année de travail.
Il s’est en effet d’abord et surtout agit de chercher puis de mettre en oeuvre des solutions transversales, incluant le tournage et la postproduction, au difficile problème de faire faire à un bébé, devant une caméra, quelque chose qu’il n’a pas envie de faire.
C’est à Arnaud Fouquet que nous avons confié la charge de ce film, depuis la préparation, avec mise en chantier d’un " camp d’entraînement pour bébés ", recherche d’un " manipulateur de bébés ", et fabrication d’instruments et dispositifs spéciaux, en passant par le tournage en Espagne, avec une présence constante nécessaire pour réagir très vite (et en restant zen) aux imprévisibles humeurs du comédien principal (âge 8 mois), et jusqu’à la postproduction, fabriquée en interne à L’EST.

Sorti de l’université de Valenciennes, Arnaud avait été opérateur Motion Control, puis infographiste. Il était lui aussi présent à L’EST dès la création de la société en 1998, en tant que graphiste. C’est chez nous qu’il a ainsi acquis pendant plusieurs années une grande expertise dans le maniement des logiciels et le traitement des images. Après qu’il eut fait avec succès plusieurs excursions ponctuelles dans la supervision, nous lui avions proposé en 2001 de m’aider sur le tournage du Boulet d’Alain Berberian et Frederic Forestier. Grâce à l’évolution longue durée de cette production (18 mois), Arnaud avait terminé le film comme superviseur en charge de la séquence dite de la " Grande Roue ", dont il a assuré le tournage puis dirigé la postproduction chez Mikros.

Jean-Pierre Sauvaire, Manu Terran, Yves Agostini, ou Christophe Paturange (que je salue tous ici) avaient fait l’expérience (avec bonheur je crois) du calme tranquille qui lui a permis, ensuite, de survivre à 12 semaines de tournage avec des bébés.
Après Mauvais esprit, nous avons confié à Arnaud le tournage actuellement en cours de L’Enquête corse d’Alain Berbérian, éclairé par Pascal Gennesseaux et cadré par Ago.

Alexandre Bon tient beaucoup à la vie d’assistant opérateur, et il alterne les contrats de tournages en hélicoptère avec les contrats de postproduction à L’EST, où il a travaillé comme graphiste, puis comme " chef de projet ", sur quasiment tous nos trucages importants depuis quelques années.
Sa formation initiale (Louis Lumière), ses compétences hybrides, son approche " scientifique " du travail, son adhésion aux méthodes de l’EST, son goût et sa connaissance des plateaux de tournage, nous ont incité à lui proposer une évolution vers la supervision VFX. (VFX : Abréviation américaine pour Visual Effects, à la différence de SFX (Special Effects), terme utilisé pour les effets spéciaux effectués lors du tournage.)
C’est ainsi que nous lui avons confié la supervision des trucages de Cette femme-là, de Guillaume Nicloux : six plans truqués " invisibles " qui lui ont donné l’occasion de travailler, en toute " transparence ", sur les images de Pierre-William Glenn, dans une passionnante recherche de métissage entre le cher piqué du système optique argentique et cette nouvelle " granulité " propre au numérique.

Kevin Berger est un " passionné d’effets spéciaux ", qui a occupé tous les postes à L’EST. Après des études à l’université de Valenciennes, et des stages de montage dans le long ;métrage, il est entré chez nous en 2000 comme stagiaire, et vite devenu irremplaçable, pour sa cinéphilie d’abord, puis comme analyste et rédacteur d’études. Il a ensuite remplacé tout le monde au moins une fois, et au pied levé. Ces multiples postes lui ont permis d’approcher concrètement tous les aspects du travail de trucages, dont il connaissait déjà les concepts. Nous lui avons alors proposé des interventions en renfort sur les supervisions de tournages (sur la plupart des films déjà cités). Simultanément, il s’est formé aux maniements des logiciels et s’est mis à travailler comme graphiste, en attendant les opportunités de supervisions.
Elles se sont finalement présentées. Pour " Vendredi soir ", de Claire Denis, Agnès Sébenne avait partagé avec Kevin la supervision de la dizaine de plans truqués (photographié par Agnès Godard).
En " solo " sur Le Convoyeur, de Nicolas Boukhrief, Kevin a été confronté aux difficultés du respect de l’image, au-delà des manipulations indispensables aux trucages, et à travers les transferts de l’analogique au numérique. L’expertise de Dominique Colin fut de ce point de vue précieuse.
Il a ensuite pris la supervision de trucage sur Le Furet, de Jean-Pierre Mocky, photographié par Edmond Richard.

Si nous avons travaillé sur Mille mois, de Faouzi Bensaïdi, photographié par Antoine Héberlé, c’est grâce à Christophe Huchet, qui a pris en charge la supervision du tournage au Maroc et la fabrication chez nous des quelques plans truqués de ce film.
Ancien de mon équipe d’Ex-Machina, Christophe avait été assistant réalisateur et reste volontiers tourné vers le plateau. Il travaille pour plusieurs sociétés d’effets visuels, et il a ses propres contacts. Il connaît parfaitement les méthodes et règles de L’EST, ce qui lui permet de s’adapter facilement lorsqu’il nous rejoint pour un film, comme cela a été le cas pour Mille mois, un beau film récompensé à Cannes et à Marrakech.

Parthénon, de Costa Gavras, fût à la fois une production atypique pour nous, et un challenge en termes de délais. Il s’agissait d’un film de 7 minutes tout en images de synthèse, incluant des personnages réels, retraçant la douloureuse histoire du Parthénon, depuis sa construction jusqu’à son pillage par Lord Elgin, ambassadeur britannique. Le film était destiné à une projection unique mais prestigieuse au Metropolitan à New York.
J’en ai confié la direction artistique à Jerzy Kular, un vieux complice des films en 3D de grands formats pour parcs d’attractions des années 90, et la supervision technique à Yann Blondel.
Yann Blondel a fait des études d’infographie à Supinfocom (Valenciennes), puis il a travaillé pendant des années chez un de nos prestigieux concurrents.
C’est là qu’il s’est formé aux trucages pour le cinéma avec une orientation beaucoup plus " 3D " que chez nous. Après avoir été superviseur VFX de séquences très complexes de films américains comme Fight Club de David Fincher et Simone d’Andrew Niccol, Yann était parti à la recherche d’autres expériences et de méthodes de travail différentes. Les règles et méthodes de L’EST semblaient faire écho à ses aspirations de rigueur et d’élargissement de compétences.

Nous lui avions alors confié des supervisions " très 3D ", sur des films comme Ni pour ni contre de Cédrick Klapish, ou A la folie pas du tout de Lætitia Colombani.
Il a ainsi eu la chance d’avoir affaire à des interlocuteurs précis et exigeants comme Bruno Delbonnel, ou Pierre Aïm, ce qui justifiait, s’il le fallait, l’importance qu’à L’EST nous donnons à la maîtrise des opérations en amont et en aval du trucage proprement dit.
Son approche particulière des problèmes de trucages est complémentaire, et lui a permis de conduire pour nous chez Mac Guff Ligne la bonne finalisation de Parthénon.
Actuellement, Yann dirige en interne à L’EST les trucages de Les Fils du vent de Julien Serri, film dont il a assuré le tournage en Thaïlande, au contact de Michel Taburiau pour l’image.

Dans le dernier plan de La Petite Lili, de Claude Miller, le principe de la découverte numérique y est non seulement visible et assumé mais surtout scénarisé. Il s’agit donc d’un trucage " diégétique ", comme disent les étudiants en cinéma.
Ce film nous a fourni l’occasion d’une belle et très intéressante collaboration avec Gérard de Battista, sur des images tournées en HD.
A L’EST, c’est François Vagnon qui a été son interlocuteur. Tout en gardant un oeil sur la direction technique de l’ensemble des productions, François Vagnon continue en effet, comme moi-même d’ailleurs, d’être sur le terrain en tant que superviseur VFX. Il prend ainsi directement en charge certains films, comme il a fait pour La Petite Lili, après Effroyables jardins de Jacques Becker (photographié par Jean-Marie Dreujou), Entrusted de Giacomo Battiato, ou Embrassez qui vous voudrez de Michel Blanc (avec une jolie création graphique pour un générique début original).
Il n’y a pas en effet à L’EST de " patron professionnel ". Même s’il nous a fallu créer notre entreprise pour exercer comme nous l’entendions notre profession, nous considérons que notre métier est d’être truqueur, et truqueurs nous restons.
Cela nous permet (pensons-nous) de rester légers et de garder les pieds sur terre.