Xénia Maingot, productrice, parle de "Plus que jamais", d’Emily Atef, photographié par Yves Cape, AFC

Plongée en eaux vives

Ayant d’abord travaillé dans le milieu des festivals, Xénia Maingot bifurque à la fin des années 1990 vers la production aux côtés de Michel Reilhac (ex-directeur du Forum des Images). Quand ce dernier est nommé à la direction d’Arte, elle part travailler chez Jackson (maison de postproduction sonore du groupe Teletota-Eclair). Puis elle opère pendant cinq ans dans l’équipe de Marianne Slot (Slotmachine), spécialiste des coproductions avec la Scandinavie.

Ce moment fort l’amène à suivre la fabrication de plusieurs films majeurs de Lars Von Trier (Dancer in the Dark, Dogville, Manderlay…) et la familiarise avec la complexité des montages financiers européens. Forte de sa pratique courante de plusieurs langues, elle participe également à la production de films argentins sélectionnés dans les différentes sections du Festival de Cannes. En 2009, elle fonde sa propre maison de production, "Eaux Vives Productions", et après plusieurs documentaires, se lance seule aux commandes d’un long métrage de fiction. C’est Hungry Man, de Philip Martin Lacroix, un premier film qui décroche une sélection à Karlovy Vary. Cette année, elle présente Plus que jamais, d’Emily Atef, une nouvelle coproduction européenne associant la France, l’Allemagne, le Luxembourg et la Norvège, sélectionné à Un Certain Regard. (FR)

Quelle est la genèse de Plus que jamais  ?
Xénia Maingot : C’est Nicole Gerhards, une productrice allemande, coproductrice du film, qui m’a présentée à Emily en 2014. Son projet de film, une histoire d’amour jalonnée d’un trajet spirituel, m’a tout de suite enthousiasmée. J’avais l’impression que c’était une histoire que je pourrais défendre longtemps. Personnellement, je suis toujours très touchée par les road movies. Mais pas uniquement au premier sens du terme. J’aime aussi, au cinéma, que les personnages fassent un trajet dans leur tête et qu’ils entraînent le spectateur à le faire avec eux. C’est exactement ce qui m’a plu dans ce scénario. A la fois le voyage au sens propre, avec cet exil en Norvège, mais aussi ce chemin vers l’acceptation du choix de l’autre.


Parlez-moi de la réalisatrice.
XM : Emily Atef est une réalisatrice franco-iranienne qui a fait ses études en Allemagne et qui en parle couramment la langue. Elle a notamment réalisé Trois jours à Quiberon (trois jours de la vie de Romy Schneider à la fin de sa carrière), en 2018, qui lui a rapporté sept Lolas en Allemagne (équivalents des Césars). Ce grand succès outre-Rhin lui a ouvert les portes de la France pour ce cinquième film, sur lequel on était déjà en financement. L’argent est venu en parallèle d’Allemagne et de France, même si le film n’y a pas été tourné. Mon vendeur international (The Match Factory) est allemand et connaît bien le travail d’Emily. On a notamment bénéficié du grand accord d’Arte et du mini traité franco-allemand (signé à Cannes il y a vingt ans) qui ont vraiment lancé le film. Après la bataille habituelle pour trouver un distributeur, c’est la région Nouvelle-Aquitaine qui a décidé de soutenir le projet. Un engouement de toute la commission qui nous a beaucoup touchées et qui nous a amenées à considérer Bordeaux comme premier lieu de tournage pour le début du film. Si le film commençait à se dessiner pour nous, restait encore un problème d’argent pour envisager la deuxième partie du tournage en Norvège. Un pays qui offre évidemment des aides à la coproduction minoritaire mais où le niveau de vie est un des plus hauts d’Europe avec des coûts de production locaux très élevés.

Avez-vous envisagé un moment de tourner ailleurs que dans les fjords norvégiens ?
XM : Non, la Norvège était vraiment au centre du script. Certes, on a pensé à la tricher à l’écran en allant en Islande ou même au bord d’un lac dans les Balkans, mais les repérages initiaux, qu’on avait effectués avec Emily, nous avaient tellement donné envie de tourner là-bas que c’était difficile d’imaginer autrement. Il y a dans ces paysages une force incroyable, comme une sorte de retour à la nature brute qu’on n’arrivait pas à trouver ailleurs. Finalement, l’équation du financement a trouvé sa solution au Luxembourg, grâce à un assouplissement local des conditions de coproduction de ce partenaire européen très dynamique, la présence de la Luxembourgeoise Vicky Krieps au casting nous permettant de remplir en partie le nombre de points nécessaires pour tourner et bénéficier de fonds, sans pour autant devoir tourner la majorité du film sur place. On s’est donc lancés sur cette piste, en délocalisant tous les intérieurs norvégiens en studio là-bas. La chef décoratrice allemande, Silke Fischer, a fait un travail incroyable, avec une démarche éco-responsable, les éléments étant ensuite recyclés ou transmis pour d’autres projets. C’est elle qui nous a incitées à utiliser la technique du fond photographique (elle-même l’ayant utilisée sur un film précédent, où un appartement new-yorkais avait été reconstitué à Babelsberg). J’ai été vraiment impressionnée par le résultat, la profondeur et l’ouverture du lieu sur la nature étant bluffantes. Pour parfaire l’illusion, on a même ajouté quelques reflets sur la surface de l’eau ou quelques vols d’oiseaux en postproduction.


Comment s’est passée la collaboration avec Yves Cape ?
XM : Il y avait un souhait commun, pour Emily et moi, de travailler avec lui. Dès que cela a été acquis, très tôt au cours du développement du film, Yves a demandé à être impliqué dès la préparation du film. Il en a très vite compris les enjeux, surtout pour une société de production comme la mienne, qui se lançait sur son premier long métrage d’envergure. Il a ensuite été très précieux pour la constitution de l’équipe, Emily n’ayant jamais travaillé avec des Français. Il l’a aidée et conseillée pour beaucoup de postes importants. Il a aussi travaillé main dans la main avec Cécile Remy-Boutang, notre directrice de production, arrivée plus tard sur le projet. Pour le choix de la maison en Norvège, il nous a, par exemple, poussées à ne pas nous satisfaire des premiers repérages – vu l’importance de ce décor – et nous a expliqué clairement pourquoi c’était si important à ses yeux.

Dès le développement, il s’est aussi engagé auprès des partenaires techniques français et de la coproduction, pour que le film puisse se faire comme Emily et lui-même le souhaitaient. Il a été attentif aux contraintes économiques de la création du film sans pour autant sacrifier l’artistique, les obstacles étant pour lui davantage un moyen de se réinventer.

Yves Cape et Emily Atef
Yves Cape et Emily Atef


Nous avons dû, ensemble, faire de nombreux choix, son expérience nous permettant d’en guider certains. Et c’est vraiment main dans la main que nous avons fait ce film.
Il a été un lien essentiel entre l’équipe et la production, avec qui il a échangé à toutes les étapes. Nous étions toujours en relation avec les différents chefs de poste, ce qui a instauré une bonne communication entre nous tous avec, à la fin, une équipe très soudée. C’est un chef d’équipe hors pair, qui a rassemblé autour du projet et de sa fabrication. Son investissement dans le film a été total... C’est agréable et rassurant d’avoir un partenaire comme lui à mes côtés.

Vicky Krieps et Gaspard Ulliel ont-ils été pressentis dès le départ pour incarner ce couple ?
XM : Non, pas à l’origine. En fait, les premières versions du scénario décrivaient un couple un peu plus âgé, dans leur quarantaine. L’idée de rajeunir les personnages est venue plus tard, avec, à mon sens, beaucoup plus de force dans les émotions. Ça rend les choses beaucoup plus touchantes. La question des enfants, par exemple, même si elle n’est pas traitée frontalement, est bien devant eux. Une scène comme celle du bain improvisé dans le fjord me semble représentative de cette évolution du script. On a bien face à nous des jeunes gens, tout simplement confrontés à quelque chose qui semble impossible à imaginer à leur âge. En tout cas, une fois le casting final confirmé, le film s’est engagé pour un tournage en 2021. Là-dessus s’est greffée la pandémie, qui a compliqué les choses...


Comment avez-vous géré la situation ?
XM : La Norvège ayant littéralement fermé ses frontières, le film a soudain été mis en danger. Dès le début du confinement on a donc ré-étudié les choses pour diminuer au strict minimum le temps passé là-bas (de trois semaines à onze jours) et pouvoir tourner avec le moins de gens possible (une dizaine de personnes). Ne pouvant plus, de manière réaliste, repousser le tournage, on a pris le risque de se lancer en intégrant dans le planning une quarantaine probable à l’entrée du territoire. Tout en espérant que les règles s’assouplissent entre le début des prises de vues et le départ en fin de tournage vers Sæbø. Finalement, rien n’a changé, et l’ensemble de l’équipe venue de France a dû passer une dizaine de jours en quarantaine, cantonnée dans un hôtel proche des lieux du film, en respectant des consignes assez strictes (distance entre les membres de l’équipe lors des repas, sorties limitées aux abords de l’hôtel). Contre toute attente, cette pause forcée a rapproché encore plus l’équipe, et donné aux derniers jours une grande complicité entre chacun sur le plateau. Moi-même, n’ayant pas pu être sur place à Bordeaux (car atteinte par la Covid) j’ai pu beaucoup mieux découvrir l’équipe française et les techniciens norvégiens recrutés sur place. J’ai beaucoup appris de la fabrication concrète du film à leur contact, et aussi grâce à Cécile Rémy-Boutang, notre formidable directrice de production. Le décor de la maison et de la cabane de Mister n’étant accessible que par bateau, ces trajets quotidiens qui ont suivi la quarantaine ont – je le crois aussi– beaucoup participé à l’ambiance si particulière de ces scènes. Je crois que l’équipe a même rebaptisé la production "Eaux Vives Voyage" à l’issue de ces semaines en Norvège !


Regrettez-vous de ne pas passer plus de temps sur les plateaux ?
XM : C’est important pour moi, en tant que productrice, d’être sur le plateau, de sentir le film, et aussi que les gens se sentent bien sur l’aventure. Je réalise que, comme certains de mes collègues, je passe souvent beaucoup plus de temps à monter des dossiers de financement qu’à avoir concrètement les mains dans le cambouis, celui des choix au jour le jour de fabrication. Là, sur ce film, et notamment en Norvège, c’était différent. Ma directrice de production avait décidé de travailler à distance depuis Paris (les règles sanitaires imposant qu’elle soit remplacée poste à poste par une Norvégienne). Pour autant, je souhaitais tout de même être sur place pour avoir un contrôle direct sur les choses. Et c’est ce qui m’a amenée à faire partie des onze personnes de l’équipe. Pour moi, ces trois semaines (avec la quarantaine) passées en Norvège ont été très riches d’enseignement. C’est vrai que je n’avais que peu d’expérience de plateau ! Un jour, au Luxembourg, Sylvain Zambelli, l’assistant opérateur, a même lâché en rigolant : "La seule stagiaire ici, c’est la productrice !" J’ai beaucoup ri, c’était osé ! Mais c’est vrai que je posais beaucoup de questions à chacun ! Ce film a été pour moi un moment rare partagé avec de grands comédiens et une très belle équipe au service du film et de sa mise en scène.

Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC

  • Lire également l’entretien avec le directeur de la photographie Yves Cape.