Adolphe

avec Isabelle Adjani, Stanislas Merhar, Jean Yanne, Romain Duris.

« C’est ma deuxième collaboration avec Benoît Jacquot (après "Sade"), cette fois l’adaptation d’Adolphe de Benjamin Constant : un roman très court, très fiévreux et percutant, totalement centré sur la description psychologique de la relation entre Adolphe et Elénor et en même temps terriblement abstrait dans ses évocations visuelles et temporelles...
Comme le roman, le film se passe principalement dans un château quelque part en France, et dans un château quelque part en Pologne...

En éclairant ce film, j’ai essayé de penser le plus souvent possible à "Adèle H", aux films de Mizoguchi, aux portraits d’Ingres, aux paysages de neige de Wilhelm Hammershoi, mais bon... j’ai surtout utilisé de très grandes surfaces de drap blanc. »

Extrait du dossier de presse


La première fois que Benoît m’a présenté ce projet, je n’avais pas encore lu le livre de Benjamin Constant, et le scénario était en tout début d’écriture... Benoît m’a surtout parlé du personnage d’Elénor, de la trajectoire de cette femme qui devait être interprété par Isabelle Adjani...
Puis il m’a beaucoup intrigué lorsqu’il m’a dit qu’il désirait que le film terminé semble quasiment à "l’état de rushes"... que les plans soient comme issus d’une intense prise unique à laquelle on aurait seulement enlevé le clap...
Je pense qu’il voulait trouver le moyen de conserver cet état d’étonnement, ce sentiment de re-découverte, cette fébrilité, que génère la vision quotidienne des rushes pendant un tournage...
Il y avait aussi dans cette idée le désir de renouer avec le côté primitif des films muets... (je ne sais plus si nous avions évoqué Lilian Gish dans les films de Griffith ce jour-là...)

A l’arrivée, le film ressemble-t-il à ce qu’il en avait dit ?

Nous n’avons jamais vraiment reparlé avec Benoît de comment obtenir cet "état de rushes"... aussi bien en préparation qu’en tournage... Il y avait en un sens quelque chose d’impossible à atteindre dans ce concept esthétique... Mais c’est exactement grâce à ce genre de commande qu’un metteur en scène vous porte dans l’énergie du film à faire, et vous dirige vers la direction qu’il souhaite prendre. Je préfère qu’il ne subsiste qu’une trace subtile de cette idée dans le film terminé, plutôt qu’un dispositif trop expérimental.
A l’arrivée, je crois que c’est l’intensité de la présence d’Isabelle Adjani devant la caméra qui rend le plus compte de ce désir de départ (justement son côté "Lilian Gish").

Sur ce film, ton travail avec Jacquot s’est-il déroulé comme d’habitude ? Qu’y avait-il de différent, le cas échéant ? En quoi cette collaboration est-elle particulière par rapport aux autres réalisateurs avec lesquels tu as travaillé ? Comment décrirais-tu Benoît comme metteur en scène ?

J’ai retrouvé, comme sur "Sade", ce plaisir de travailler avec un metteur en scène qui sait exactement "où aller". Jour après jour, le tournage doit apporter la confirmation que tout ce qui était déjà là, dans sa tête, fonctionne en tant que film. La vraie difficulté vient du fait que comme Benoît Jacquot ne cherche pas sur le plateau... Il avance très vite... et, en quelque sorte, il vous force à trouver des solutions fulgurantes pour le suivre...
Il y a des metteurs en scène qui adorent s’installer dans un plan jusqu’à épuiser totalement tout ce que l’on peut y trouver (comme si ce plan était le film tout entier)... Benoît recherche exactement l’inverse. Il aime que les gens du plateau (acteurs et techniciens) restent dans l’effet de surprise d’avoir fait les choses avec beaucoup plus de facilité qu’ils ne l’avaient imaginé. Il y a un vrai art de l’économie dans ses stratégies de mise en scène. J’essaie de coller le plus possible à cette démarche dans mon travail de lumière.
Je retrouve dans le travail avec Benoît beaucoup de similitudes avec ma collaboration passée avec David Mamet ("The Winslow Boy").

Comment se déroule ta collaboration avec Benoît : en amont et sur le tournage ?

Avec Benoît, le travail de préparation proprement dit se passe beaucoup pendant le repérage des lieux du tournage. C’est un moment où l’on peut prendre le temps de vérifier que l’on a le même point de vue sur le film à faire.
Il a une grande faculté pour organiser l’espace mentalement. En général, dès les repérages, il arrive à me donner son découpage avec une précision étonnante. Je peux vraiment concevoir ma lumière comme dans une partie d’échecs, plusieurs coups en avance...
Sur la recherche de texture même de l’image, du choix de la pellicule, des optiques, etc., Benoît me laisse faire mes propres essais.
Quand arrive le tournage, j’ai généralement conçu une stratégie d’éclairage, voire une logique de travail que Benoît perçoit très vite et utilise au mieux... et l’on parle plus de cadre que de lumière.
Il y a une vraie importance de la rapidité d’exécution dans la collaboration avec Benoît... une sorte de morale esthétique.
J’essaie de faire en sorte que les mises en place qu’il a prévues fonctionnent facilement, harmonieusement. J’ai toujours l’impression qu’un plan qui résiste... et demande de déployer un "tour de force" technique trop visible ne l’intéresse plus du tout... Benoît connaît tellement bien les focales qu’il sait exactement la taille du plan sans regarder le retour vidéo. Je me rappelle que sur "Sade", où nous n’avions pas de retour vidéo, j’étais continuellement étonné par sa perception du cadre qu’il semblait "vivre" en même temps que moi. Benoît est, à sa manière bien à lui, un des metteurs en scène les plus visuels avec qui j’ai travaillé.

Ta vision du film : le roman, la re-création de l’esprit de l’époque, le travail autour d’Isabelle ?

J’ai tout de suite été frappé par la très grande complexité psychologique du roman... et la très grande abstraction des situations géographiques et temporelles. Constant évite bien précautionneusement de livrer des images, des descriptions trop précises : il laisse toute la place à ses deux portraits "vus de l’intérieur" : Adolphe et Elénor...
En un sens, ce livre paraît très mental, très peu visuel et pourtant, il suffit de lire : un château en France... ou un château en Pologne... et des images très différentes arrivent à votre cerveau.
Pour la partie "française" du film, j’ai cherché à approcher le plus possible l’atmosphère des portraits d’Ingres. Le portrait de Mademoiselle Rivière était une parfaite référence de la lumière que je voulais pour Isabelle. Cette lumière du jour douce, frontale, un peu froide et intemporelle que donnaient les verrières des ateliers de peintre du XIXe. En éclairant de très grandes surfaces de draps blancs suspendus aux murs des décors, je recréais des verrières fictives où il me semblait bon d’en disposer, sans jamais m’inquiéter de suivre la logique des véritables entrées de lumière du lieu. Seuls les visages m’importaient.
De même, pour les scènes éclairées à la bougie, j’ai décidé de ne pas jouer le parfait réalisme d’un éclairage de demi-pénombre très doré... mais au contraire de me tenir à cette lumière des portraits d’Ingres, très neutre et toujours lumineuse sur les visages, surtout celui d’Elénor.
Je crois que cette grande proximité d’ambiance entre le jour et la nuit dans les scènes d’intérieur suit bien ce sentiment d’intemporalité qui est au cœur du roman.
Benoît Jacquot souhaitait que le château en Pologne soit entouré de neige... et nous avons choisi un château blanc à l’intérieur comme à l’extérieur : un véritable linceul.
Lors de ma première rencontre avec Isabelle Adjani quelques semaines avant le tournage, nous avions évoqué l’atmosphère des peintures de Vilhelm Hammershoi. Ses paysages de neige et ses scènes d’intérieur également baignés d’une lumière sourde, étouffante de neutralité chromatique... Il y avait là pour moi beaucoup de matières à explorer pour cette partie " polonaise "... Hammershoi m’a donné le courage de travailler le blanc qui est en général la couleur la plus détestée des directeurs de la photographie... Mais c’est une couleur formidable pour traiter de la disparition.
J’ai appris depuis qu’Hammershoi était le peintre fétiche de Carl Theodor Dreyer...

Technique