Alexis Kavyrchine parle de sa façon d’aborder les différentes époques de "La Venue de l’avenir", de Cédric Klapisch

Par Brigitte Barbier pour l’AFC


Pour La Venue de l’avenir, son 15e long métrage, Cédric Klapisch, l’un des cinéastes français le plus aimé du grand public avec sept films à plus d’un million d’entrées, convoque un casting de haute voltige. Il conte - car oui, c’est un peu un conte – l’histoire d’une famille qui virevolte avec brio d’une époque à une autre pour aborder des thèmes chers au cinéaste : l’héritage et la transmission. Le directeur de la photographie Alexis Kavyrchine, qui a déjà accompagné Cédric Klapisch pour signer l’image de plusieurs de ses films - Ce qui nous lie, En corps -, élabore pour son dernier film une image toute en finesse pour caractériser tour à tour l’époque contemporaine et la fin du XIXe siècle. La Venue de l’avenir est projeté Hors compétition au 78e Festival de Cannes. (BB)

Réunis par l’héritage inattendu d’une maison en Normandie, quatre cousins qui ne se connaissaient pas jusqu’alors, partent à la découverte de leur histoire familiale. En fouillant cette maison abandonnée depuis les années 40, ils reconstituent la vie de leur ancêtre Adèle Vermillard, jeune femme de 20 ans qui vivait là en 1895. Par des va-et-vient entre le XIXe siècle et notre époque, ils trouvent dans les vestiges du passé ce qui leur permettra de mieux envisager leur propre avenir.
Avec Suzanne Lindon (Adèle), Abraham Wapler (Seb), Vincent Macaigne (Guy), Julia Piaton (Céline), Zinedine Soualem, Sara Giraudeau, Paul Kircher, Vassili Schneider.

Même si La Venue de l’avenir est assez différent des précédents films de Cédric Klapisch, avez-vous renoué avec une manière de travailler propre à votre collaboration ?

Alexis Kavyrchine : Comme il y a des enjeux à chaque fois différents pour chaque film, on adapte notre façon de faire. Mais c’est toujours du cinéma qui fait plaisir, qui ne se cache pas d’être du cinéma, et qui est fait pour rassembler les gens.
Dans les films de Cédric, il y a toujours une exploration du vivre ensemble, avec La Venue de l’avenir, c’est aussi cela, et ça me parait plus que jamais d’actualité. Ces cousins éloignés, qui se découvrent cousins à la faveur d’un héritage, ne se connaissent pas et sont tous très différents. Ils vont apprendre à se connaitre et réussir à devenir une vraie famille.

Comment avez-vous envisagé l’exercice assez difficile de filmer pour un montage alternant très souvent les différentes époques ?

AK : Effectivement c’est toujours très engageant de travailler sur plusieurs époques. L’idée étant d’aborder l’époque contemporaine et la fin du 19e de manière un peu différente. Le film joue sur la comparaison, l’opposition ou les similitudes entre les deux.
Cédric est très attentif aux couleurs dans ses choix esthétiques et nous voulions trouver des looks différents pour distinguer les deux époques sans casser l’unité du film.
Pour le contemporain, nous voulions vraiment assumer le côté numérique, tout en essayant d’en tirer une image riche. On voulait faire attention à ce que le contemporain ne soit pas moins réjouissant que l’époque. Nous avions pour objectif que les personnages soient incarnés, que l’on sente le soleil, les matières, avec des couleurs un peu électriques, parfois très vives, des jaunes ou des roses un peu agressifs. On a essayé de trouver une palette de couleurs contemporaines.

Suzanne Lindon dans "La Venue de l'avenir" - Photo Emmanuelle Jacobson Roques / StudioCanal - Colours of Time - Ce Qui <span>Me</span> Meut
Suzanne Lindon dans "La Venue de l’avenir"
Photo Emmanuelle Jacobson Roques / StudioCanal - Colours of Time - Ce Qui Me Meut

Pour l’époque ancienne, Cédric a eu l’idée d’utiliser la colorisation pour que le film nous emmène dans un imaginaire "d’époque", avec quelque chose qui se rapprocherait un peu d’une image colorisée ou autochrome comme la photographie de la fin du XIXe.

Autochromes Lumière
Autochromes Lumière

L’image pour les scènes de la fin du XIXe siècle dégage un certain charme, un romantisme très subtil, expliquez-nous votre processus de travail pour le traitement de ces images.

AK : Le traitement de l’image a été assez conséquent, le processus s’est déroulé en plusieurs étapes. J’avais fait des LUTs pour le tournage puis il y a eu une première phase d’étalonnage pour obtenir une image qui nous convenait pour la référence de base. Cette référence allait servir à Jérôme Da Silva, de la société Color’Histoire, pour coloriser notre image de base qu’on lui envoyait en noir et blanc.
Cette colorisation convoque tout de suite un imaginaire fort, même de façon inconsciente, elle donne une image avec une grande variation de saturation : de petits personnages en arrière-plan restent complètement noir et blanc alors que la robe rouge du personnage à l’avant-plan devient un aplat rouge. La colorisation amène aussi des imperfections, des petits artefacts, des débordements, des vibrations de couleurs qui, tout à coup dans les mouvements, se décalent un peu.
Ensuite, à l’étalonnage, soit nous utilisions cette image colorisée telle quelle, soit nous la mélangions à l’image de base pour harmoniser l’ensemble selon l’enchainement des séquences.

Suzanne Lindon - Photo Emmanuelle Jacobson Roques / StudioCanal - Colours of Time - Ce Qui <span>Me</span> Meut
Suzanne Lindon
Photo Emmanuelle Jacobson Roques / StudioCanal - Colours of Time - Ce Qui Me Meut

Qu’est-ce qui vous a poussé à mélanger l’image recolorisée avec l’image de base ?

AK : La colorisation amène une plus grande dissociation des couleurs et une réduction du nombre de couleurs. C’était ce qui nous intéressait évidemment, comme pour les premières séquences d’époque quand Adèle part à Paris où nous avons gardé l’image 100 % colorisée. Mais pour certains décors, l’image de base était plus intéressante à cause de sa plus grande richesse de couleur.
La colorisation provoquait parfois un aplat sur les visages, un manque de carnation. Nous avons donc retravaillé ces visages en ajoutant un peu de numérique de l’image de référence non colorisée.
Tout le jeu a été d’essayer que l’image nous amène dans un imaginaire en se rapprochant du look des images colorisées de l’époque tout en veillant à ce que cet effet ne vienne jamais au premier plan.

Effectivement, tout ce qui constitue l’image, les costumes, les décors, est incroyable, il faut toujours penser que l’ensemble de tous ces éléments s’associent à votre travail pour créer la force de cet univers visuel.

AK : C’est vrai que le travail de chaque département a été magnifique, et on voulait mettre en valeur les coloris du décor et des costumes, le soin du maquillage et la coiffure. Et les comédiens sont formidables, ont une très forte présence. Il fallait que l’on rende compte de cette richesse.

Sur le tournage de "La Venue de l'avenir" - De g. à d. : Juliette Pruvost, 2<sup class="typo_exposants">e</sup> assistant caméra, Louis Douillez, assistant vidéo, Cédric Klapisch, Alexis Kavyrchine, Jérémy Stone, chef machiniste - Photo Emmanuelle Jacobson Roques
Sur le tournage de "La Venue de l’avenir"
De g. à d. : Juliette Pruvost, 2e assistant caméra, Louis Douillez, assistant vidéo, Cédric Klapisch, Alexis Kavyrchine, Jérémy Stone, chef machiniste - Photo Emmanuelle Jacobson Roques
Alexis Kavyrchine - Photo Emmanuelle Jacobson Roques
Alexis Kavyrchine
Photo Emmanuelle Jacobson Roques

La Venue de l’avenir parle d’images et de représentation des images avec l’arrivée de la photographie.

AK : L’envie de Cédric était aussi de filmer ce moment de l’histoire où l’arrivée de la photographie bouleverse la peinture et amène d’une certaine façon l’impressionnisme. La représentation de la nature à une place importante dans le film.

Photo Emmanuelle Jacobson Roques / StudioCanal - Colours of Time - Ce Qui Me Meut

Votre matériel de tournage était-il différent pour chaque époque ?

AK : La caméra principale était une Sony Venice 2. En revanche, les objectifs étaient différents pour chaque époque. On a choisi les Cooke anamorphiques Full Frame x1,8 pour l’époque. Ce sont de très belles optiques avec lesquelles on peut obtenir une faible profondeur de champs même pour les plans larges. Cela nous permettait de nous rapprocher des photographies à la chambre de l’époque et, le plus souvent, d’avoir un flou avec beaucoup de charme.
Pour la partie contemporaine, le parti pris de départ était de filmer pas mal à l’épaule, de façon légère et vive. On a choisi le zoom Angénieux Optimo 28-76 mm pour cette raison mais aussi pour avoir des objectifs sphériques avec des flous très différents.

Cédric est très pragmatique, ce qui le guide, c’est d’abord de raconter une histoire, d’essayer de faire sourire, d’émouvoir. Ce pragmatisme est vite venu chahuter notre parti pris un peu théorique de départ. Le film est d’abord raconté avec le style de Cédric, et on a vite joyeusement filmé des séquences d’époque à l’épaule et fait des plans très composés pour le contemporain. Finalement, nos deux histoires finissent par se lier, comme se lient nos personnages au fur et à mesure du film.

Les décors d’époque, comme le café ou les rues de Paris à Montmartre, sont-ils tournés en studio ?

AK : Oui, le restaurant "Le Rat Mort" et les rues autour sont tournés en studio. Certaines rues en extérieur nuit sont les vraies rues, avec des interventions des VFX pour, par exemple, effacer les ampoules des réverbères et les remplacer par une flamme.

Effectivement, il y a encore les allumeurs de réverbère mais c’est le tout début de l’arrivée de l’éclairage public, une scène très romantique illustre parfaitement la magie de cette nouveauté.

AK : Oui, nous sommes à la limite du passage de la flamme à l’électricité, on a donc essayé de jouer avec des mélanges. On considère aujourd’hui la lumière électrique comme une lumière chaude, mais il semblerait qu’à l’époque elle était perçue comme très blanche, éblouissante, donnant l’impression de voir comme en plein jour.
Pour une scène-clé du film, on a filmé les comédiens sur fond vert et les VFX ont recréé le Paris de nuit de cette époque, avec cette avenue éclairée à l’électricité qui effectivement semble très blanche en comparaison avec le reste de Paris éclairé par des réverbères à gaz.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)