Hlynur Pálmason réalise et met en images "L’Amour qu’il nous reste"

"La glace et le feu", par François Reumont pour l’AFC

Avec L’Amour qu’il nous reste (Ástin sem eftir er), le cinéaste et artiste contemporain islandais Hlynur Pálmason propose une histoire très personnelle, tournée sur le long cours, en Islande. Ses propres enfants interprétant les rôles principaux, la plupart des décors étant trouvés dans les environs de chez lui. On y retrouve la grande force visuelle de ses films précédents (Godland, Into the White) mais dans un contexte narratif plus léger, à la limite du rêve, du merveilleux et de l’humour islandais au 3e degré. C’est aussi lui qui signe les images de ce film de famille doux amer tourné en 35 mm, remarqué Salle Debussy dans la section Cannes Première. (FR)

Tendre portrait d’ une année dans la vie d’une famille alors que les parents traversent une séparation. À travers des moments à la fois ludiques et émouvants, le film dépeint l’essence douce-amère d’un amour fané et de souvenirs partagés au fil des saisons.

Est-ce votre film le plus personnel ?

Hlynur Pálmason : Probablement chaque cinéaste vous dira que chacun de ses films est personnel... Mais c’est vrai que celui-ci est le plus proche de ma vie. Mes enfants jouent dedans, les œuvres d’art que fabrique le personnage de la mère en extérieur sont mes propres créations, et les paysages sont ceux que je côtoie quotidiennement. En revanche, cette histoire de séparation que vivent les parents n’a rien à voir avec moi. Je pense qu’il faut plus l’interpréter comme une espèce de peur... C’est donc une œuvre personnelle mais en aucun cas intime ou privée !

Le plan d’ouverture est en tout cas assez inouï...

HP : Ce grand atelier vide, filmé de l’intérieur dont le toit est arraché par des engins de chantier, c’est aussi quelque chose de très personnel ! Ça remonte à 2017, alors que la municipalité avait décidé d’exproprier le studio dans lequel je conçois mes œuvres d’art. Malgré mes tentatives et mes recours pour pouvoir le conserver, je me suis retrouvé face à cette décision qui allait être exécutée. Un peu en panique, je suis allé chercher ma propre caméra (celle avec lequel le film a été tourné), je l’ai installée avant que la grue n’arrache la toiture... et j’ai filmé ce moment particulier.
Vous devez bien comprendre que mon idée de départ n’était pas de saisir forcément une image belle... Car ce moment était bel et bien terrible pour moi... Sur l’instant, je souhaitais juste documenter ce qui se passait. Une sorte de témoignage. Et puis, les négatifs ont été développés en Suède, et j’ai reçu ce plan issu du transfert numérique. C’est là, en découvrant les rushes - bien sûr sans aucun son - que j’ai réalisé la force et la beauté de ce plan. Et j’ai tout de suite pensé que ça ferait une ouverture de film formidable. Un truc très mystérieux, qui vous invite à l’exploration et au rêve. Et vous savez, j’adore les choses mystérieuses ! C’est en quelque sorte ce plan qui a donné naissance au projet. Bien sûr le premier que j’ai tourné pour ce film, qui a pris donc toutes ces années à se faire.

Hlynur Pálmason
Hlynur Pálmason


Le temps est central dans votre travail ?

HP : Je n’aime pas forcer l’arrivée d’un film. Ni une histoire d’ailleurs. Moi, ce qui me plaît, c’est que l’histoire apparaisse d’elle-même, qu’elle prenne forme lentement dans ma tête, sans même forcément que j’y réfléchisse quotidiennement. L’idéal, pour moi, c’est donc d’avoir ma propre caméra et d’être complètement autonome dans la fabrication. Exactement comme je suis autonome dans mon travail d’artiste contemporain. Il se trouve qu’à la fin de chaque film, on se retrouve avec beaucoup de chutes de bobines de films sur les bras. Donc au lieu de les jeter, je les garde précieusement et je m’en sers pour filmer ce qui m’inspire. À l’exemple de ce que je vous racontais pour le plan d’ouverture, je récupère ces petits plans, glanés çà et là, qui vont peu à peu m’aider à écrire telle ou telle scène. Et au moment où on met concrètement le film en production, avec les comédiens, ça fait déjà un ou deux ans que je bricole dans mon coin avec mon Arricam en générant ces petits bouts de plans qui m’amènent à imaginer concrètement mon film.
C’est bien sûr aussi la raison pour laquelle j’ai tourné moi-même L’Amour qu’il nous reste, la production s’étant étalée cette fois-ci sur une si longue période. À moins de demander à ma directrice de la photographie habituelle, Maria Von Hausswolf, de venir vivre près de moi pendant plusieurs années ! Par exemple, le plan du mannequin - Chevalier dans le film - a pris deux ans pour être filmé de manière séquentielle. La caméra étant installée dans une petite maison construite pour l’occasion. Comment voulez-vous faire autrement que par vous-même dans ce genre de situation ? Donc vous apprenez à mesurer la lumière, à charger vous-même les magasins... Mais c’est plus dans une démarche quasi documentaire... de captation de la nature plus que de la direction de la photographie. Comme au sens de mouvements de caméra, par exemple, tels qu’on les trouve souvent au cinéma.

Et le choix de l’argentique participe-t-il à cette surprise ?

HP : Comme je l’évoquais tout à l’heure, j’adore le mystère. J’aime ne pas tout comprendre, et la vie c’est exactement comme ça ! C’est pour cela, quand je tourne un film, je n’aime pas voir le résultat en direct. Les écrans vidéo ne m’intéressent pas. Je préfère regarder dans l’œilleton de la caméra. C’est ma manière de me concentrer sur quelque chose de spécifique. Cet acte de se pencher et de placer son œil à la caméra, de ne pas juste regarder un écran signifie beaucoup pour moi. Et puis il y a aussi l’élément temporel. Le temps passe si vite... et je n’ai vraiment pas l’envie de tout filmer, de multiplier les plans, les prises. La perspective d’être équipé d’une caméra numérique avec laquelle je filmerais en permanence m’épuise à l’idée d’avoir à exploiter une telle quantité de rushes... Ce serait tout simplement impossible pour moi. Donc le film argentique a vraiment cette fonction très pratique dans mon processus de création.


Prenez-vous garde parfois à la trop grande beauté des paysages de votre île ?

HP : Moi, j’aime bien les décors qui sont un peu dans l’entre-deux... L’Islande est un pays très vaste... et bien sûr beaucoup de publicités sont tournées près de l’endroit où j’habite. Mais à chaque fois, c’est toujours dans les endroits les plus connus, les plus spectaculaires et rarement dans ces décors d’entre-deux. Ce sont pourtant des paysages tout aussi puissants et qui racontent tout autant de choses. L’Amour qui nous reste a donc été tourné dans ces lieux familiers, et où avec ma famille on va se balader à peu près chaque année. Et là encore, c’est avec le temps, en y retournant encore et encore cueillir des champignons ou ramasser des myrtilles que les idées me viennent.

A la fin du film, il y a tout de même une scène d’intérieur nuit, plus propice à une vraie mise en scène "cinématographique". Comment abordez-vous la lumière dans ce cas-là... On s’éloigne de la captation de la nature, n’est-ce-pas ?

HP : Sur ce film, je ne voulais absolument pas tricher à la caméra, par exemple pas de mouvements d’appareil qui rajouteraient de la tension dramatique, tout est tourné sur pied, sans dolly, sans grue ou quoi que ce soit. La caméra est sur sa tête, soit fixe, soit avec un simple panoramique. C’est à la fois une simplification de la narration mais aussi parfois un vrai casse-tête au tournage.
Quand on se lance dans une longue scène avec des dialogues, une sorte de chorégraphie avec les comédiens, et que vous ne filmez que d’un point de vue, sur pied, vous ne pouvez rien cacher.
Aucune erreur n’est possible car c’est un peu la vérité nue que vous captez. C’est pour ça que le film est quasiment entièrement tourné en lumière naturelle, que ce soit la lumière du soleil ou des sources de figuration installées dans le champ. Comme cette séquence que vous citez de nuit, dans la maison... Je l’imaginais d’ailleurs vraiment très sombre. Ce baiser devait rester pour moi un peu incertain... Là encore, ne pas tout montrer… Suggérer.

Aviez-vous des images en tête, des références tout de même ?

HP : Moi j’aime bien créer mon propre monde à chaque film et celui-là n’échappe pas à la règle...
La grande différence avec le précédent, c’est bien sûr que l’on est dans une histoire contemporaine. Mais je n’aime pas déterminer précisément quand se passe telle ou telle scène. Dans ma tête, c’est un peu comme si tout se passait demain. C’est maintenant... mais c’est aussi demain ! Et je crois que cette espèce de concept nous a accompagnés sur tout le film. Et les inspirations sont venues de choses très différentes. Par exemple, ce qui se passe autour du poulailler, c’est inspiré d’une série télévisée scandinave pour les tout petits avec un ours et un poulet qui habitent dans une petite cabane au fond des bois. L’ours, c’est celui qui est toujours déprimé. Et le poulet, lui, beaucoup plus dynamique et positif, lui remonte le moral régulièrement ! Et quand mes enfants ont découvert ce petit poulailler qu’on avait construit pour le film, ils m’ont tout de suite dit qu’ils se croyaient dans cette série !


C’est votre première comédie ? On rigole quand même pas mal dans la scène de la flèche...

HP : En réalité, je trouve toujours un aspect comique à mes films... Même si certains critiques ont par exemple décrit Godland comme envahi par la tristesse et un côté extrêmement sombre, moi j’y vois quand même quelques côtés assez marrants... Mais vous avez raison, que L’Amour qui nous reste est bien une comédie. En tout cas, c’est un film sur ce thème grave de la séparation, mais qui est en même temps joyeux, ludique. C’est un film sur la vie, où les saisons marquent le ton de la narration, alternant la froideur sombre de l’hiver et l’espérance et la chaleur de l’été. C’est pour moi aussi l’opportunité de montrer la réalité d’un couple. Qu’on peut très bien aimer profondément une personne, et pourtant la détester la seconde suivante. C’est ça le cœur de ce film, la chaleur et le froid, mais sans tomber dans quelque chose de cynique, d’une blague. C’est un film très sérieux pour moi, avec une énergie brute, simple et souvent gaie. Certainement très différente de ce que j’avais pu expérimenter sur Godland.

C’est quoi un bon film pour vous ?

HP : En fait, je me rends compte que je sais exactement ce que je n’aime pas. Et croyez moi, il y a vraiment un paquet de choses dans cette catégorie ! Peut-être que ma seule vraie qualité en tant que cinéaste, c’est de savoir faire cette part des choses... De reconnaître ce qui m’ennuie, ce que je déteste au cinéma, et de ne pas les imposer à mes spectateurs. C’est une simple question de respect au fond ! Et si moi-même je ne suis pas surpris au cours du processus de fabrication du film, si les rushes ne me prennent pas au dépourvu, je pense que le spectateur lui-même ne sera pas surpris par la suite. Tout repose sur cette espèce d’espace sensitif à construire, où chacun pourra se faire sa propre opinion, sans gavage narratif. Un film à partir duquel chacun pourra construire son propre rêve, dans l’entre deux.


(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)