De la guerre

de Bertrand Bonello, photographié par Josée Deshaies

Josée Deshaies est québécoise. Après des études d’histoire de l’art en Italie, elle attaque une formation classique à Montréal en tant que deuxième assistante opératrice, puis passe à la direction de la photo sur documentaires, et court métrages.
C’est sa rencontre avec Bertrand Bonello qui lui permet de passer au long métrage sur Quelque chose d’organique en 1998.
Depuis elle a signé l’image de films comme Les Invisibles de Thierry Jousse ou La Question humaine de Nicolas Klotz.
Après Tiresia et Le Pornographe, elle retrouve cette année avec De la guerre le réalisateur Bertrand Bonello, un habitué de la Croisette.
Josée Deshaies à la caméra - sur le tournage de <i>De la guerre</i> de Bertrand Bonello
Josée Deshaies à la caméra
sur le tournage de De la guerre de Bertrand Bonello


Que représente pour vous ce nouveau film aux cotés de Bertrand Bonello ?

C’est avant tout un film sur le questionnement. Celui d’un homme qui prépare un film et qui se pose toute une série de questions sur la vie. Et ce n’est pas anodin si le personnage principal interprété par Mathieu Amalric s’appelle dans le film Bertrand Bonello.
De mon point de vue, ce film a été aussi l’occasion de remettre un peu tout à plat en matière d’image. Comment filmer ? En lumière naturelle, avec des effets, les visages, le décor… Toute une série de questions que, à mon avis, chaque opérateur se pose un moment ou un autre dans son parcours…

Comment avez-vous construit l’image du film ?

Le film se sépare essentiellement en deux lieux. D’abord la ville, Paris, traitée comme un lieu abrutissant, agressif… Cette partie a été filmée presque entièrement avec un seul objectif, le 50 mm de la série Zeiss GO, une pellicule 500 Kodak et très peu de lumière. Un esprit donc très documentaire et une équipe extrêmement réduite.
J’ai aussi essayé d’enrichir l’image en créant de la profondeur, en utilisant des décors vitrés et jouer ainsi sur les reflets. C’est intéressant de filmer les réflexions, vraiment, même si c’est un cauchemar pour cacher les projecteurs et surtout la perche. En mettant les personnages derrière des vitrines, on crée en quelque sorte du hors champs visible et en les mettant devant un effet miroir, un double.

Ensuite il y a " le royaume ", une communauté installée dans un château à la campagne, où d’une certaine manière on n’a plus besoin de rien. Avec à sa tête, Uma (Asia Argento), qui se définit elle-même comme une sorte de guerrière pour le droit au plaisir.
Pour la représenter en image, comme une sorte d’icône, j’ai eu le plaisir de ressortir mon vieux Nikon 24x36 et de la photographier avec de la 3 200 ISO N&B. Un cliché qu’on a ensuite tiré en grand format pour retrouver une image très granuleuse des années 1960, inspiré de l’affiche de Don’t Look Back, un film de D.A. Pennebaker avec Bob Dylan.

Pour représenter le royaume à l’écran, on a travaillé de manière plus " fictionnelle ", avec des travellings, et une image plus douce, donnée par une série Cooke S3. Bizarrement, on avait prévu au départ de faire des choses beaucoup plus expérimentales à l’image sur cette deuxième partie. En fait, on a abouti à un résultat beaucoup plus " sage ", comme un contrepoint au ton très " barré " de l’histoire.

Aviez vous des références visuelles précises ?

A la fin du film, comme un aboutissement à sa démarche guerrière, le réalisateur se met à revivre certaines scènes inspirées d’Apocalypse Now. On a donc repris quelques plans tels quels du film de Coppola, quand Mathieu Amalric marche seul dans la forêt. Pour la séquence centrale de la cérémonie, on s’est inspiré des documentaires de Raymonde Carasco sur la tribu mexicaine des Tarahumaras. Des films qui se situent à la frontière entre l’anthropologie et le cinéma expérimental, dans lesquels on a pu voir comment se déroulent certaines cérémonies, dont notamment celles de la prise du Peyotl (le cactus hallucinogène des tribus indiennes du Nouveau-Mexique).

C’est un de mes meilleurs souvenirs du tournage. On a tout fait en une seule journée, avec une soixantaine de personnes qui dansaient sans arrêt, avec d’énormes enceintes… Un vrai truc ! Comme on savait pertinemment qu’il serait impossible en si peu de temps d’assurer un quelconque raccord, on a vraiment joué la carte des faux raccords permanents, captant un maximum de choses du jour à la nuit, parfois sous la pluie, avec ou sans lumière rajoutée… Le montage s’occupant par la suite d’aller chercher les meilleurs moments et de jouer ou pas le raccord à l’image.
Dans le film, on a une alternance permanente entre le jour et la nuit, ce qui fait qu’on ne sait plus du tout où on est, à l’image des personnages pris dans leur transe hallucinogène.

Avez-vous employé des techniques particulières ?

Comment à notre habitude avec Bertrand Bonello, nous continuons à faire sur ses films des fondus au noir entièrement réalisés à la prise de vues. Pour cela, on place un diaphragme mécanique supplémentaire devant l’objectif, en complément de celui intégré dans l’optique. Toute la difficulté réside dans la synchronisation entre les deux. Un tour de main qui consiste à fermer d’abord le diaph de l’objectif, puis immédiatement après en synchronisme décalé celui externe. Le diaph externe nous permettant d’aboutir à un noir complet sur la pellicule, chose impossible avec les optiques ciné habituelles (qui ne ferment pas complètement et s’arrêtent en général à 22 ou à 16).

Quelle a été la chaîne de postproduction ?

On a tourné en 35 mm 3P, format 1:1,85 avec postproduction argentique et tirage optique chez Arane. Ce choix du 3P s’est fait pour des raisons d’économies. Non pas que Bertrand Bonello tourne énormément, mais simplement pour économiser sur un budget qui était déjà très serré. Et on sait très bien que, sur les petits films, il n’y a pas de petites économies.
En outre il était hors de question, pour lui comme pour moi, d’abandonner le 35 mm, vu le nombre de séquences en forêt qui demandent de la définition à l’image. Pour arriver au résultat final, on a pas mal fait de recherche avec le concours d’Arane. On a abouti à un sous-développement de l’internégatif, pour retrouver un peu de douceur à l’écran.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

Josée Deshaies - sur le tournage de <i>De la guerre</i> de Bertrand Bonello
Josée Deshaies
sur le tournage de De la guerre de Bertrand Bonello
Josée Deshaies - sur le tournage de <i>De la guerre</i> de Bertrand Bonello
Josée Deshaies
sur le tournage de De la guerre de Bertrand Bonello