Dessinatrice de plateau, un des métiers du cinéma sous le trait de crayon du CNC

Contre-Champ AFC n°314

Parcourant les métiers du cinéma les uns après les autres, le site Internet du CNC a publié, courant octobre, un article intitulé "Dessinatrice de plateau : préserver la mémoire du tournage". Elsie Herberstein y raconte son expérience de dessinatrice, entre carnets de voyage et reportages de presse, sur le plateau du film Sous les étoiles de Paris, réalisé par Claus Drexel et photographié par Philippe Guilbert, AFC, SBC. Extraits...

Comment vous êtes-vous retrouvée à "croquer" Sous les étoiles de Paris, de Claus Drexel ?
J’ai été contactée par Olivier Brunhes, le coscénariste du film. Olivier, qui est dramaturge, metteur en scène et comédien, connaissait le travail d’une de mes amies qui croquait sur le vif pour le théâtre. Il aimait beaucoup cette façon de pouvoir garder une trace d’une aventure artistique. Sous les étoiles de Paris étant sa première expérience d’écriture de long métrage, il a évoqué l’idée de travailler avec une dessinatrice de plateau à Claus Drexel, le réalisateur, qui a lui-même une grande sensibilité pour le dessin. Il a toutefois fallu convaincre les producteurs du film car ce métier de dessinateur de plateau n’est pas très répandu.

Croquer les coulisses du film
En effet, on est plus habitué, au cinéma, aux storyboards et au photographe de plateau qu’aux carnets de tournage. Quelle différence faites-vous entre ces supports ?
Mon travail de dessinatrice de plateau consiste à préserver la mémoire du tournage, à croquer les coulisses du film et mettre en lumière ceux que l’on ne voit pas. Un storyboard sert plutôt à la construction des films. Quant au photographe de plateau, son travail est de porter un regard parallèle à celui de la caméra, à saisir l’essence du film à travers une image fixe. Il est présent à certains moments du film et vient capter des scènes clés. Pour ma part, j’avais une totale liberté sur le plateau. J’ai pu suivre le tournage quasiment dans son intégralité, être présente tous les jours et me balader partout, du repère de Christine (incarnée par Catherine Frot) au sous-sols de livraison à Olympiade où a été reconstituée une partie des scènes sur le tarmac, en passant par la salle de consultation du médecin ou encore les entrepôts de stockage des décors. Cette liberté est assez rare sur un tournage, qui plus est pour quelqu’un qui exerce un métier peu fréquent au cinéma. Comme il s’agissait de ma première expérience sur un long métrage de fiction, j’étais dans une espèce d’euphorie de découverte. Résultat, j’ai réalisé plus de 200 croquis !

Comment travailliez-vous ?
Je dessinais au jour le jour pour restituer l’ambiance du tournage, comme un journal de bord, à travers des images que j’interprétais au gré de mes discussions avec chaque membre de l’équipe. D’ailleurs, toutes les personnes qui travaillaient sur le film étaient surprises que je les dessine autant voire même plus que les comédiens. Elles sont habituées à être un peu les "invisibles" d’un film et mes croquis leur renvoyaient leur image, leurs attitudes et aussi leur importance. Un dessinateur est là pour observer mais tout autant pour écouter. Pendant un tournage, il y a de nombreuses plages d’attente. Peut-être moins pour le noyau dur du réalisateur, chef opérateur, scripte et assistante de réalisation, mais pour tous les autres, c’est le cas. Ils étaient très intrigués et amusés par les dessins, et pendant nos moments d’échanges, beaucoup se sont confiés sur leur métier, leur parcours mais aussi leurs questionnements.

Et puis, sur un tournage, on s’imprègne des sons, des couleurs, des mouvements. On redécouvre parfois même des lieux qui nous semblaient familiers, mais que l’on observe différemment car on prend le temps de regarder et de s’émerveiller. C’est ce que j’aime tant dans mon métier : écouter, recueillir des témoignages, découvrir des histoires et les mettre en dessin. D’ailleurs, bien que j’écrive également, le dessin reste mon premier mode d’expression, il m’est nécessaire.

Croquer sur le vif
Vos dessins semblent assez proches des croquis d’audience qui racontent le déroulement d’un procès. Est-ce parce que nous sommes aussi dans une forme de témoignage et d’immédiateté ?
Tout à fait. Comme pour ces dessins de presse, je croque sur le vif. Il nous faut être à la fois les plus précis, les plus rapides et le plus discrets possibles. De ce fait, il faut savoir où se placer pour choper le meilleur angle et trouver ainsi la bonne façon de dessiner. Sur le plateau, je me mettais derrière le preneur de son, Cyril Moisson, emplacement idéal pour croquer ce qui se passait face caméra. Et puis il faut pouvoir dessiner partout, assise par terre, accroupie ou debout, dehors par des températures proches de zéro - le tournage a eu lieu en mars 2019, et beaucoup de scènes se sont déroulées en extérieur et au petit matin, à la fraîche ! Mes doigts étaient à demi gelés… De ce fait, je dessine à la plume avec des cartouches d’encre indélébiles, au feutre ou au pinceau japonais. Ça permet de dessiner plus rapidement. L’aquarelle aussi est une technique qui prend peu de temps. [...]

En vignette de cet article, un des dessins d’Elsie Herberstein tiré du "Carnet de tournage" de Sous les étoiles de Paris, avec à droite Philippe Guilbert, caméra sur l’épaule.