Entretien avec la directrice de la photographie Claude Garnier, AFC

A propos du film "Orpailleur" de Marc Barrat et des pellicules Fujifilm
Fujifilm France publie sur son site Internet une série d’entretiens avec des directeurs de la photographie de la génération montante.
Nous vous proposons de lire un entretien dans lequel Claude Garnier, AFC, parle de son travail sur le film Orpailleur de Marc Barrat (avec l’aimable autorisation de Fujifilm France).

Directrice de la photo reconnue, Claude Garnier fait partie du nombre grandissant de femmes qui comptent dans le cinéma français. Habituée aux tournages en conditions lumineuses et climatiques difficiles, elle a naturellement trouvé sa place dans une production prévue dans la chaleur et les lumières contrastées de la Guyane.

Claude Garnier, à droite - Sur le tournage d'<i>Orpailleur</i>
Claude Garnier, à droite
Sur le tournage d’Orpailleur


Comment s’est décidé votre collaboration avec Marc Barrat sur Orpailleur  ?

Claude Garnier : Cela vient au départ de la production. J’avais travaillé sur le film de Jean-Claude Barny Neg Maron, un film qui se passait aux Antilles. Jean-Claude et le producteur Richard Magnien ont apprécié mon travail sur ce projet, avec un jeune réalisateur. Orpailleur est le premier long métrage de Marc Barrat, comme c’était le cas de Jean-Claude à l’époque.
Les Antilles et la Guyane sont des pays difficiles pour les tournages, notamment à cause des conditions météo. Je crois aussi qu’ils étaient sensibles à mon intérêt pour ces régions, d’autant qu’il s’agissait à chaque fois de réalisateurs issus du pays. Je crois que je m’étais très bien sortie d’affaire sur un tournage où il fallait travailler vite, avec des problèmes d’exposition très importants… Tourner avec des noirs – la grande majorité des comédiens – et dans des conditions très contrastées. Mon travail a été apprécié la première fois et l’on m’a recommandée à Marc.

Votre contact avec Marc Barrat ?

CG : Avec lui, nous nous sommes assez vite mis d’accord. Même si c’était son premier film, il avait une vision de ce qu’il voulait. Un film plutôt orienté grand public mais loin des clichés qu’on prête aux départements d’Outre mer, avec des images qui aient de la tenue, très proche des comédiens et qui mettent le fleuve et la forêt en valeur… D’où le choix du Super 35 . C’était clair et c’était aussi ce que je voyais à la lecture du scénario. On était tout à fait calé dès le départ.

Qu’est-ce qui vous motive aujourd’hui dans le métier de directrice de la photo ?

CG : Vaste question… La première motivation, c’est la collaboration avec un réalisateur. En tant que directeur photo, on forme un binôme très important – non pas que les autres ne le soient pas. Le son, la déco, le montage sont importants également. Mais c’est vrai que dans la manière dont sont tournés les films aujourd’hui, la part du directeur de la photo dans la réalisation du film est cruciale. On est souvent confronté à des gens qui font appel à nous pour la globalité du film : l’image, l’esthétique mais aussi le tournage, le rapport avec les comédiens…
Ma motivation, c’est d’avancer, de faire des essais, d’arriver de plus en plus à m’approcher de ce que je sens à la lecture du scénario. Et ça, ce n’est jamais fini.

Y a-t-il des types de lumière ou des difficultés particulières qui vont vous intéresser plus spécifiquement ?

CG : Là par exemple, il y avait quelque chose de très spécifique qui m’intéressait. Des conditions de contraste très dures malgré lesquelles il fallait suivre notre projet ; avec des lumières dures par moment et plus subtiles à d’autres.

Y-a-t’il systématiquement, avec la production ou le réalisateur, des discussions préalables détaillées sur le type de lumières souhaitées, sur la façon dont vous allez les traiter ?

CG : Je souhaite pour tous les chefs opérateurs et pour tous les films que les temps de préparation soient allongés. On pense souvent en prenant quelqu’un dont on connaît le travail, que la préparation sera plus rapide. C’est pourtant une étape très importante pendant laquelle on peut définir au plus près ce que veut le réalisateur. Les gens sont de plus en plus sensibilisés à l’image.
Mais souvent pour un réalisateur, définir l’image qu’il veut, ce n’est pas évident. Il faut prendre du temps pour avoir des exemples de ce qu’il souhaite et ne souhaite pas, période pendant laquelle le directeur photo doit pouvoir avoir toutes les opportunités pour faire des propositions.
Pour ce type de film, ce serait intéressant d’aller faire de vrais essais sur place bien avant le tournage, de tester des pellicules, le traitement en postproduction… Il y aurait beaucoup à gagner sur les choix esthétiques et sur le plan économique : sur ce dernier point, on subit pas mal de pression.

La production voulait originellement du numérique et vous les auriez convaincu de travailler en film, pourquoi ?

CG : Ca pour moi, c’était une grande bataille et j’étais totalement décidée. En rentrant dans le bureau du producteur que je connais bien par ailleurs, j’avais dans la tête de tourner en Super 35, ou de ne pas faire le film. Tous les renseignements que j’avais pris, comme les choix arrêtés d’après le scénario me démontraient qu’en numérique, j’allais avoir énormément d’ennuis.
Déjà, en numérique, la plage d’exposition est nettement réduite. Travailler la lumière en forêt ou sur le fleuve aurait été très pénible. Les deux comédiens principaux, un noir et un blanc, sont particulièrement contrastés et ça allait être une vraie difficulté. Ajoutez à cela les problèmes d’humidité et la postproduction en 2K et pas en 4K. L’image allait atteindre une qualité limitée. En partant sur du 35 mm dès le départ, j’étais bien plus tranquille, et j’ai eu raison.

Pour revenir sur les différences techniques entre argentique et numérique, quels sont les avantages du 35 mm ?

CG : Le film est donné pour avoir de 14 à 16 diaph de latitude alors qu’en numérique, on est plutôt sur 8. Dans la forêt, il y a des contrastes encore plus violents et j’étais sûre qu’en numérique, ce serait moche, avec de larges plages crâmées. J’en ai discuté avec des gens qui font beaucoup de HD. Le numérique est un outil formidable mais si on veut la chaîne optimale, elle coûte très cher. C’est ce que les producteurs, souvent, ne comprennent pas.
Le résultat peut être très bien mais en forêt, il faudrait à la limite emmener un ingénieur de la vision pendant tout le tournage. Il faut aussi avoir des gens capables de vérifier la caméra très souvent : elles sont très sensibles à la chaleur et à l’humidité.

La pellicule nécessite aussi des précautions, glacière, draps blancs, parasols, mais c’est tout de même plus simple. Je voulais que l’énergie du film aille vers le tournage, la réalisation, les comédiens, la photo… Et pas vers la maintenance de la caméra.
Bizarrement, comme la HD vient de la vidéo, on peut facilement croire qu’elle permet des tournages souples et rapides. Mais c’est faux. Le numérique est formidable, mais sur ce projet là, ça aurait été une grosse bêtise. Si on a encore 75 % des longs métrages qui se tournent en film, ce n’est pas pour rien.

Il y a un autre problème avec le numérique. C’est le décalage entre le niveau de qualité du tournage, celui de la postproduction et celui de la diffusion. Les deux normes de qualité les plus courantes sont le 2K et le 4K. Le 4K étant le niveau de qualité supérieure. Dans l’avenir, quand les salles de cinéma seront équipées en numérique, la diffusion se fera en 4K. Il y a beaucoup de gens qui tournent actuellement en 2K, ou qui font simplement la postproduction en 2K.
Ces films, une fois diffusés dans des salles en 4K, auront une image de moins bonne qualité ; que ce soit pour les couleurs ou la définition. Alors qu’avec un tournage d’origine en 35mm, on pourra sortir en salle une version numérique qui sera d’une qualité optimale, le 35 mm ayant une définition au moins égale au 4 K. Il continue donc à être très intéressant aujourd’hui de tourner en argentique.

Vous avez utilisé les pellicules Fujifilm suivantes : 64D – 250T – 500T. Pour quelles raisons ?

CG : La 64D, on l’a très peu utilisée. Uniquement pour filmer les délires du personnage principal. Il entre en contact avec un sorcier, un chamane. Il va avoir des hallucinations et pour ces passages, je voulais avoir une image différente, un peu plus dure. Autrement, j’ai tourné en 500T et en 250T. Ce que j’ai trouvé formidable dès que j’ai eu les images positives, c’est que c’était exactement ce que j’avais voulu. Nous avons donc tourné en pellicule tungstène et je n’ai pas mis le filtre de conversion habituel 85 mais un filtre 81 EF + 80 B. C’est une image un peu moins chaude, ce qui correspondait à ce dont nous avions parlé avec le réalisateur.
Et puis j’ai choisi Fuji parce que j’aime beaucoup le velouté sur la peau, les couleurs… Nous avions envie d’inscrire le film de Marc dans quelque chose qui serait un peu plus froid. Ce n’est pas une comédie, le sujet est dur.

Si le soleil sur place n’avait pas été aussi fort, j’aurais pu tout faire en 500T, parce que je la trouve formidable et que dans les conditions de contraste où l’on était, elle ne m’a pas déçue. Le rendu est très beau. La transpiration des acteurs ne pose pas de problème, au contraire ; ce qui est pourtant un souci en HD : pour les zones très brillantes, ça peut faire des zones d’irisation très moches.

J’avais déjà utilisé la 250T dans des lumières d’été très dures, sur Le Temps des portes plumes, le film que j’ai fait avec Daniel Duval, avec d’excellents résultats.

Depuis quand travaillez-vous en Fuji ?

CG : Depuis sept ou huit ans. Ce qui est très important pour moi c’est de continuer à avoir une gamme très ouverte de pellicule,qui me permette de prendre dés le départ des options d’images précises,pour coller au projet esthétique de chaque film. Le rôle de directeur de la photo est formidable dans la fabrication d’un film mais nous subissons parfois de fortes pressions économiques. C’est important de pouvoir continuer à choisir la pellicule, le support sur lequel on va travailler.
De même les choix de postproduction sont très importants : quel laboratoire ? Etalonnage numérique ou pas ? Plus on a la possibilité du choix, plus on peut répondre à ce qu’on nous demande.
Il y a par ailleurs quelque chose que je trouve très contrariant. Fuji est très bien implanté au niveau des négatifs tournages. Par contre on n’a pas souvent le choix au labo de la pellicule de tirage. Je trouve ça dommage : c’est une liberté en moins.

Avez-vous pu voir le film Orpailleur terminé ?

CG : Nous en sommes quasiment à la dernière étape de la post-production et je suis super contente. Ça s’est très bien passé pour le rendu des peaux comme pour la gestion des hautes lumières. J’aime beaucoup la couleur. J’ai retrouvé la douceur, la brillance et le contraste que je voulais.

Sur une production comme celle-ci, que ce soit pour les lumières ou pour le cadre, avez-vous le sentiment de bénéficier d’une réelle liberté créatrice ?

CG : C’est un peu paradoxal… Il y a une grande part de collaboration avec le réalisateur. Il faut qu’on se comprenne et bien sûr quand la confiance est là mes idées, ma sensibilité sont les bienvenues. Mais cette liberté est souvent contrainte, puisqu’elle est liée à un temps de tournage souvent trop court. Ça peut parfois sembler autoritaire mais il m’arrive aussi selon les urgences d’imposer mon point de vue. C’est une forme de liberté. Mais je l’échangerais volontiers contre plus de temps de tournage, et plus de concertation avec le réalisateur. La technique devient souveraine quand le temps est trop court.

Le dialogue avec le réalisateur se fait-il aussi au niveau du cadrage ?

CG : Il y a évidemment un échange là-dessus. Le réalisateur a un écran de contrôle et s’il y a une chose qu’il voit, c’est le cadre. Même sur ce tournage aux conditions un peu difficiles, il a toujours vu les images que j’ai faites. J’aime le fait que le réalisateur soit proche de moi et puisse voir comme moi le jeu des comédiens. Mais le style de collaboration autour du cadre varie évidemment d’un réalisateur à un autre.

Maintenant que vous avez un nom dans ce métier, n’y a-t-il pas un risque de voir des productions venir vous chercher pour faire ce que vous avez déjà fait ?

CG : Pour moi, la seule façon de faire ce métier, c’est de travailler différemment selon les histoires, les ambiances et les objectifs. Quand on débute, on va sûrement vers ce que l’on fait de mieux. Après, pour chaque film il y a un pari. J’ai envie de faire des choses différentes, mais il faut toujours qu’il y ait dans la collaboration un relationnel de qualité.

Le cinéma reste-t-il un milieu professionnel fermé aux femmes, notamment pour la partie technique ?

CG : C’est évident : le cinéma reste un milieu professionnel majoritairement masculin. Les choses évoluent, notamment pour la production où l’on voit de plus en plus de productrices. On commence aussi à voir des femmes chef déco, ce qui n’existait pas avant.
Je viens de faire partie du jury du Festival International de Film de Femmes de Créteil et les chiffres sont parlants : en France, 12 à 15 % des films sont faits par des femmes. Dans le monde et notamment aux USA seulement 2 ou 3 %.

Ces dernières années au niveau technique, les femmes n’ont pas été particulièrement discriminées. C’est tellement spécial d’être une femme dans ce travail que si vous le faites bien, vous êtes un peu comme un ovni. Quand j’ai commencé à être assistante, le fait d’être une femme m’a plutôt aidé. Mais malgré tout, ça garde un côté rare. Pour ce qui est des chefs opérateurs, nous restons très minoritaires. A long terme, ça pourrait changer. Espérons que cela ne prenne pas trop de temps…