Entretien avec le directeur de la photographie Christophe Beaucarne, AFC, SBC, à propos du film "Hors-la-loi" de Rachid Bouchareb

En Sélection officielle du Festival de Cannes 2010, Compétition

par Christophe Beaucarne

Hors-la-loi  : Rachid Bouchareb et Christophe Beaucarne remontent aux sources de la guerre d’Algérie
D’origine belge, Christophe Beaucarne a fait ses études à l’Insas. Il travaille depuis 1995 en tant qu’opérateur et a signé une vingtaine de longs métrages tout en conservant une activité régulière dans le domaine du film publicitaire. Parmi ses derniers films on peut citer
Le Parfum de la dame en noir de Bruno Podalydés, Paris de Cedric Klapisch, Irina Palm de Sam Gabarski ou Mr Nobody de Jacko van Dormael.

Même casting, même sélection cannoise, Hors-la-loi est-il la suite d’Indigènes en terme d’image ?

Christophe Beaucarne : Non, pas vraiment. Hors-la-loi n’est pas un film de guerre comme l’était Indigènes. C’est une histoire qui se déroule dans le milieu civil… Le film commence en 1934, quand trois frères se font expulser de leur ferme en Algérie par un colon. Après la guerre, ces trois personnages se retrouvent en France et vont s’impliquer dans la lutte armée pour l’indépendance de leur pays…
C’est donc plus un film de gangsters, sur fond politique. Nos références étaient dans le cinéma américain des années 1950, le film noir, et aussi les films de boxe car une partie de l’intrigue se déroule dans le milieu de ce sport. Seule l’ouverture algérienne du film, qui a été tournée en 2e équipe par Robert Alazraki peut plus évoquer les codes du western. On y retrouve le soleil écrasant, les extérieurs grandioses en Cinémascope, la narration qui s’appuie sur les regards... En plus, ça démarre sur cette injustice qui va tout déclencher et lancer comme dans beaucoup de westerns l’histoire de vengeance qui suit…

Avez-vous fait des recherches historiques sur le style de l’image ?

CB : J’ai fait des essais assez poussés avant le film pour mettre au point un style, notamment sur les fausses images d’archives qui devaient illustrer les événements de Setif le 8 mai 1945, au milieu du film. Au contraire d’Indigènes, où le noir et blanc venait en rupture pour ce type d’image, j’ai préféré essayer de rester dans la fiction tout en générant un " look " d’image d’archives en triturant en étalonnage.
A partir d’essais de pellicules passés à travers la chaîne numérique avec Fabien Pascal chez LTC, j’ai proposé plusieurs options à Rachid Bouchareb. Et on a finalement retenu un style inspiré des couleurs de une du magazine Life. Le résultat est une image avec un peu de désaturation, mais en conservant certaines couleurs assez vives (le rouge du drapeau, le bleu du ciel). Le tout avec un traitement de contour qui donne comme un coup de crayon autour des personnages. A la fin, on obtient une image assez douce, dans les tons de moutarde, mais renforcée par cet effet de contour et aussi le contraste des conditions de lumière.

Quelles négatives avez-vous choisies ?

CB : Lors de mes tests, je me suis aperçu que l’effet de contour va assez mal avec la présence de grain à l’image. C’est pour cela que toute la partie algérienne du film est filmée en 5212 (Kodak 50D), ce qui, en 35 Scope, ne donne absolument aucun grain. Ensuite je suis passé à une combinaison de 5219 (Vision 500T) et 5217 (Vision 200T) pour la partie parisienne et les nuits.
Lors des tests de pellicules passés au scan en 2K+ et rattrapés en étalonnage, c’est la 5219 qui m’offrait la plus grande latitude dans les ombres de toutes les 500 ISO. Je pouvais aller sans problème jusqu’à - 2 diaphs et demi et récupérer de l’information, et je me suis vraiment calé en exposition sur ce que le scan était capable de ressortir. En effet, cette chaîne n’a pas la même latitude d’exploitation de l’image que celle du télécinéma… Il faut faire attention, sinon on peut se retrouver battu.

Avez-vous utilisé des méthodes d’éclairages un peu rétro ?

CB : Pour la fusillade dans l’ancienne mine de charbon (qui a été tournée en 5 nuits), j’ai éclairé très contraste en utilisant des 20 kW tungstène en contre, tout en rattrapant les avant-plans avec des boules chinoises. Quelque chose qui n’est pas dans mes habitudes puisque je préfère des effets nuits plus doux, à base de ballons à hélium. Les contre-jours étaient assez forts, posés au keylight, voire + 1, de manière à voir à l’image les très nombreux impacts de balle et les fumées installés par les effets spéciaux.
Ensuite, j’ai redescendu l’ensemble à l’étalonnage, avec une marge de travail incroyable qui m’a permis de conserver telle brillance par-ci ou telle fumée par-là… Le rendu final est assez monochrome, dans les tons marron, sans aucune présence de bleu. Un mélange de technique entre le coté traditionnel des Fresnel et les possibilités de l’étalonnage numérique…

Quel était votre " package " caméra ?

CB : J’ai tout tourné avec deux Arricam, une version Studio et une version Lite. En fait, 30 % du film a même été tourné à l’épaule, Rachid voulant s’affranchir du coté un peu statique du Scope. En fait, j’ai commencé vraiment à filmer à l’épaule en anamorphique sur Coco avant Chanel où j’avais pu obtenir la nouvelle série G de Panavision. Mais ce sont des optiques rares et très demandées…
Sur Hors-la-loi, j’ai utilisé deux séries Hawk, une série V Lite compacte, très utile à l’épaule, et une série V+ pour les plans un peu compliqués qui demandent un certain minimum de point. Une Arricam Lite équipée d’un 80 V Lite, c’est vraiment super à l’épaule… En terme de poids, on ne sent pas la différence avec le Super 35. En comparaison pure, seuls les Panavision G ont un meilleur minimum de point que les V Lite, en étant encore un peu plus légers. En pur terme d’image, ils me semblent un peu plus beau à pleine ouverture que les Hawk, mais en revanche ils " flarent " un peu plus.

Où avez-vous tourné ?

CB : On a tourné principalement en studio à Tunis. On a réutilisé un décor de rues siciliennes construit par Giuseppe Tornatore sur son dernier film Baaria. Yan Arlaud, le chef déco, l’a transformée en rue algérienne (pour la partie à Sétif) en l’allongeant sur certains plans avec l’aide de " matte paintings " faits par Mikros. Une autre rue a été reconvertie en rue parisienne. Sur cette dernière, on a alterné les ambiances sombres (nuit, pluie…) et en évitant le soleil tunisien au maximum pour ne pas révéler la tricherie.
Les intérieurs étant souvent recréés dans des hangars, plus dans des conditions de décors naturels aménagés que du studio. En plus de certaines vraies scènes tournées à Paris (comme celle des Algériens jetés à la Seine), nous avons aussi tourné quelques jours en Belgique pour les scènes de l’usine et celles du match de boxe à la fin du film.
En tout 18 semaines de tournage.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)