Entretien avec le directeur de la photographie Julien Hirsch, AFC, à propos du film "Impardonnables" d’André Téchiné
Adapté du roman éponyme de Philippe Djian, Impardonnables est entièrement tourné à Venise avec Carole Bouquet, André Dussolier, Mélanie Thierry et Adriana Asti.
Pour tourner dans cette ville un peu magique, qu’as-tu choisi comme support ?
Julien Hirsch : De la HD ! La Sony EX 3, très précisément, qui est presque une caméra de touriste ! Sa matière vidéo me permettait de filmer Venise sans que l’on se sente écrasé par la splendeur du décor et évitait le rendu très carte postale de la ville.
D’autant plus que cette histoire s’ancre très profondément dans la vie quotidienne vénitienne, très loin d’une vison touristique. C’est difficile de tourner à Venise pour des questions d’autorisation puisque chaque parcelle de rue appartient soit à l’Eglise, soit aux cafés du coin, soit à un palais privé.
Cette caméra me permettait de filmer sans autorisation, de manière discrète, en pleine ville et contribuait à faire oublier le statut de star d’André Dussolier et de Carole Bouquet. La quasi-totalité du film a été tournée à l’épaule, comme je le fais très souvent avec André depuis que l’on travaille ensemble. Je peux ainsi suivre son inspiration très instinctive et spontanée ! La légèreté d’une caméra est utile pour ça !
L‘Alexa n’existait pas, mais je ne voulais pas partir avec une HD sophistiquée. J’ai testé plusieurs caméras numériques et du Super 16. Mais le Super 16 faisait un peu peur à André, il avait l’impression qu’il allait vouloir tourner beaucoup et le budget n’était pas énorme.
L’image des caméras numériques plus sophistiquées, plus lourdes, comme la RED par exemple, rendait la ville complètement lisse et plastique et j’ai senti que ça n’était pas du tout une bonne direction.
Tu ne voulais pas une image trop léchée…
JH : Non, je voulais que ça reste un peu brut. André aime bien les images très colorées, le contraste de couleur de l’EX3 s’est avéré assez juste, comme ça, sans étalonnage préalable. J’ai préréglé la caméra pour pouvoir filmer dans plusieurs situations sans toucher aux menus, et en essayant d’enlever au maximum le détourage. Ce réglage m’a bien plu, je l’ai gardé pour toutes les configurations de lumière, comme si j’avais une seule pellicule.
Ce n’est pas une caméra forcément simple car elle a peu de latitude entre les hautes et les basses lumières. Très souvent, je me retrouvais avec des contrastes très forts, en extérieur, mais aussi en intérieur car André aime placer les comédiens devant les baies vitrées pour profiter de l’extérieur. Alors j’ai dû éclairer pas mal.
Donc tu passais d’une équipe très légère en extérieur à une grosse équipe en intérieur ?
JH : Oui, exactement ! Mon équipe était aux deux-tiers vénitienne ; elle devait travailler assez vite dans des décors pas très simples. Avec André, après 1h30 de préparation, on sait à peu près dans quels espaces on va tourner mais pas très bien comment ça va se passer… Je devais éclairer toute la maison et il fallait pas mal de monde pour que ça ne prenne pas trop de temps.
Je ne pouvais pas pré-lighter car les plafonds étaient assez bas, je faisais venir la lumière principalement de l’extérieur et, pour rattraper à l’intérieur, j’ai choisi d’utiliser deux, voire trois, projecteurs perchés, des 400 ou des 800 Bug de K5600 avec des Chimera.
Quelles optiques as-tu utilisées ?
JH : Un zoom HD, un Fujinon. Je n’ai utilisé que ce zoom, sauf pour un effet " jumelles ", où j’ai utilisé un autre zoom pour les très longues focales. Il a une définition un peu moins bonne et qui allait plutôt bien avec l’effet " jumelles " que l’on allait appliquer en postproduction.
Tu peux parler un peu de cet effet " jumelles " ?
JH : C’est un effet que l’on a testé avant de tourner pour voir s’il fallait un seul rond ou deux, comme l’effet jumelles à l’ancienne. On a opté pour l’effet à l’ancienne. Pour signifier que ce ne sont pas des jumelles de l’armée ou d’un professionnel, j’ai détérioré l’image. Cet effet est pas mal utilisé dans le film car, souvent, le personnage joué par André Dussolier, qui habite sur une petite île, suit tous les personnages avec lesquels il est confronté dans leurs arrivées et leurs départs en bateau.
Comment s’est passée la postproduction ?
JH : C’est Richard Deusy, chez LTC, qui a étalonné le film sur le Nucoda. Cette console d’étalonnage offre la possibilité d’utiliser un logiciel qui permet de dégrainer et qui est plus fin que celui que l’on trouve sur le Lustre.
Car l’EX3 a beaucoup de " grain ", enfin de bruit ?
JH : En fait, pour lui donner une matière, je l’ai utilisé systématiquement avec 3dB, même en plein jour, et je suis monté de temps en temps à 6 dB. Suivant les endroits de pénombre ou de pleine lumière, le grain changeait de nature ou apparaissait trop fortement. Je suis intervenu, en postproduction, pour unifier l’image complète du film.
Mais pourquoi ajouter du gain ?
JH : J’ai toujours ce problème de matière… À Venise, il y a de la verdure, mais aussi beaucoup de pierres, l’image était assez plate. En rajoutant du gain, j’avais l’impression de retrouver une idée – un peu !... – de Super 16.
Et au niveau du rendu des peaux ?
JH : Oui, là aussi j’ai toujours des problèmes d’aplats sur les peaux ! Et ceci dès qu’on est dans des ambiances orangées, avec un soleil couchant ou dans les intérieurs soir… Mais comme il y a beaucoup d’ambiances différentes, avec des successions de plein jour, aube, tombée de jour, soir, etc., au bout d’une minute, je pense qu’on oublie complètement la nature un peu étrange de cette carnation.
Depuis, j’ai travaillé avec l’Alexa et je n’ai pas rencontré ce problème. C’est pour cela que j’aime beaucoup cette caméra HD. J’ai toujours été très surpris, et je n’en comprends toujours pas bien la raison, par ces aplats de couleur sur les peaux et surtout par l’absence de carnation. Ce côté un peu lisse, un peu cireux. Le grain aide à retrouver de la matière.
Si, comme tu le dis, cette caméra n’a pas beaucoup de latitude, c’était difficile pour les hautes lumières ?
JH : Je ne posais que pour les hautes lumières. C’est pour cette raison qu’en intérieur la pénombre est assez prononcée. André Téchiné aime les passages intérieur/extérieur ; je posais systématiquement pour les hautes lumières, sinon, ça n’est pas rattrapable avec l’EX3.
Du coup, tu faisais des changements de diaphragme pendant la prise ?
JH : Oui, oui, pas trop fort mais oui ! Et, du coup, je me retrouvais en pénombre en intérieur et bien posé pour les extérieurs. Ça marche bien parce que c’est comme ça que vivent les Vénitiens, dans ces villes du Sud où l’on se protège du soleil, les intérieurs sont toujours sombres. Ça correspondait donc à une réalité.
Avez-vous parlé de l’image du film, André Téchiné et toi, avant le tournage ?
JH : La grande terreur d’André, c’était Venise et la carte postale. Quand on a repéré – lui connaissant très bien Venise –, j’ai assez vite compris que comme tout est effectivement très beau, ça allait un peu écraser l’histoire. André avait une autre obsession, c’était que les personnages aient l’air de vivre à Venise de manière quotidienne. Quand la production a plutôt opté pour la HD pour des questions financières, il n’a pas été effrayé par l’idée qu’on parte avec une caméra pas trop sophistiquée et légère. J’ai anticipé sur le fait qu’il ne voyait pas très bien ce que cela pouvait donner et je suis donc retourné à Venise. J’ai fait des essais avec la RED et l’EX3 sans aucun éclairage.
Pendant deux jours, j’ai filmé Venise dans toutes les ambiances de lumières et quand on a regardé ces essais ensemble, il a opté très nettement pour l’EX3. Nous étions en salle d’étalonnage, on aurait pu travailler cette image mais c’est le côté brut qui lui plaisait. S’il avait rejeté cette image, on aurait filmé en Super 16. Je comptais un peu sur son refus de l’image vidéo pour demander à la production de tourner en pellicule !
C’était un tournage vraiment exceptionnel, deux mois et demi de tournage à Venise en ne se déplaçant qu’à pied ou en bateau… Tout était transporté par des péniches qui n’arrivaient pas forcément là où l’on tournait, à marée haute ça ne passe plus sous les petits ponts !
La plupart du temps, les décors étaient assez loin, on ne pouvait les atteindre qu’à pied !. Des porteurs, associés aux péniches, avaient des brouettes qui permettaient de passer les escaliers. Mais il ne fallait rien oublier dans les péniches !
(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)