FilmLight et "Paris, etc." : apporter l’esthétique du cinéma à la télévision

par FilmLight La Lettre AFC n°284

"Paris, etc." est une série en douze épisodes diffusée en décembre dernier, produite par Canal+, réalisée par Zabou Breitman et écrite par Maïwenn et Anne Berest. Développer un contenu créatif et de haute qualité attendue par le public, tout en respectant les délais typiques des productions télévisuelles, a été un défi que le directeur de la photographie Antoine Roch, AFC, le DIT Nejib Boubaker, ADIT, et l’étalonneur Fabien Napoli (Le Labo Paris) ont tous relevés.

« Sur ce projet, la postproduction allait s’étaler sur une période courte, juste quelques mois entre la fin du tournage et la diffusion », explique Nejib Boubaker. « Alors le directeur de la photographie, Antoine Roch, a décidé de commencer l’étalonnage sur le plateau. Il m’a contacté et a mentionné que l’étalonnage final aurait lieu au Labo, sur leurs stations d’étalonnage Baselight. »
Pour assurer la continuité colorimétrique et économiser du temps, Nejib a suggéré d’utiliser Prelight pendant le tournage. Prelight est un logiciel de visualisation et d’étalonnage sur le plateau, développé par FilmLight. Il offre les mêmes outils de gestion d’espace colorimétrique que le Baselight, et est aussi compatible avec le standard Baselight Linked Grade (BLG).
Le fichier caméra RAW demeure inchangé lors de son traitement par Prelight, Daylight – le logiciel de gestion de rushes conçu par FilmLight – et Baselight. L’étalonnage, développé et ajusté dans chaque outil, se retrouve sauvegardé dans le fichier BLG. Le BLG est alors transféré au prochain logiciel de la chaîne. Ce processus est complètement non-destructif.
« Nous avions la garantie que l’image visualisée sur le plateau avec son étalonnage serait identique à celle projetée dans la salle d’étalonnage », explique Nejib. « L’étalonneur utilisait le même "Working Colour Space" que nous. Il pouvait modifier ou supprimer n’importe quelle valeur colorimétrique que nous avions appliquée sur le plateau, y compris les shapes et les keyers. Je pouvais accommoder n’importe quelle requête du directeur de la photographie, en sachant que ce travail serait utilisable par l’étalonneur plus tard. »

S’éloigner des clichés éculés sur Paris
« Nous voulions apporter l’esthétique du cinéma à une série télévisuelle, où le rythme de tournage est frénétique », note Antoine Roch, le directeur de la photographie. « La série a un thème très déambulatoire de cinq femmes qui se croisent et se recroisent sans forcément se connaître, mais qui partagent la même ville, Paris. Je voulais créer une image qui ait une densité et une identité picturale. »
Bien que "Paris, etc." soit une série contemporaine située à Paris, la réalisatrice Zabou Breitman voulait absolument s’éloigner des clichés touristiques.
« Avec la réalisatrice, j’ai établi un "mood board", avec des images de tous bords mais donnant la direction de la teinte, du contraste, du style et du traitement visuel qui allait unifier les épisodes », poursuit Antoine Roch. « À l’exception des scènes de nuit, j’ai décidé d’utiliser au tournage des filtres en couleur assez chauds et de les neutraliser en partie à l’étalonnage. Cela donne une image qui est réaliste mais décalée et non pas juste fidèle et réelle. On garde dans les hautes et les basses lumières des traces de ce virage couleur. Pour éviter que ce soit trop volontariste, voire étouffant, nous avons travaillé de concert avec la décoration et les costumes pour éliminer les couleurs et les teintes qui s’éloignaient de notre charte couleur et qui fonctionnaient moins bien avec ce virage couleur. Nous avons cherché à mettre beaucoup de bleu et de vert dans les décors et les costumes, et aussi de la couleur et de la brillance », rapporte Antoine.

DoP, DIT et étalonneur : créer la couleur de manière collaborative
Fabien Napoli, l’étalonneur, avait déjà travaillé avec Antoine Roch et la réalisatrice Zabou Breitman, en tant qu’étalonneur rushes. Ayant désormais rejoint l’équipe du Labo Paris, son expérience s’est avérée essentielle dans ce processus créatif.
« Les essais caméras nous ont permis d’expérimenter différents filtres », se rappelle Fabien. « Antoine a utilisé de nombreux filtres et nous avons neutralisé leur teinte pour ne conserver que les distorsions. » Antoine a principalement utilisé des filtres chauds, des Maui Brown ou Glimmer Bronze, par exemple.
« Nejib neutralisait les filtres sur le plateau avec l’étalonnage. Ce fut un gain de temps conséquent, car j’ai pu réutiliser cette première passe d’étalonnage. » L’outil Hue Shift permet de modifier la saturation et la teinte par plage de couleurs, sans utiliser de keyer ou de shape.

« C’est une fonction d’une grande finesse », commente Nejib. « Il y a des séquences extérieures où je retouchais les feuilles d’arbres dans le cadre, et Fabien pouvait accéder à ces modifications dans le Baselight. »
Antoine Roch est très positif sur le rôle d’un DIT sur un tournage aujourd’hui. « Ce qui est important pour moi, c’est que le DIT m’aide à confirmer mes intentions. Il peut affiner mon travail sur le plateau. C’est un peu comme visionner les rushs pour un tournage pellicule, mais c’est immédiat. Il n’y a plus aucun temps d’attente. En pré-étalonnant les rushes, le DIT est devenu un associé indispensable à mon travail créatif. Je me sens plus libre dans mes décisions – c’est un bénéfice artistique incontestable. »

Le Labo : l’étalonnage final
Pour l’étalonneur, cette relation étroite établie entre le directeur de la photographie et le DIT leur a offert beaucoup d’autonomie. « Antoine est le directeur de la photographie et il savait exactement ce qu’il voulait », explique Fabien. « Nejib travaillait dans ce sens. L’avantage du fichier BLG, d’un point de vue créatif, est qu’il peut contenir tous les retours du directeur de la photographie et du réalisateur sur le plateau. Pour chaque épisode, l’esthétique était déjà très bien définie au moment où l’étalonnage final sur le Baselight a commencé au Labo Paris. Le point de départ était les valeurs du tournage, pour que nous puissions projeter une image identique à celle du plateau. Toutes les valeurs venant du Prelight étaient sur la même couche, je pouvais en modifier chaque paramètre ou l’enlever complètement. J’ai ajouté des couches supplémentaires pendant mon étalonnage, je pouvais aussi toujours comparer facilement mon travail avec la visualisation du plateau.
Nous avions seulement deux jours d’étalonnage par épisode, ce qui est habituel pour des séries télévisées. Nous devions faire des choix, de ce que nous voulions travailler à l’étalonnage. Mais comme notre image de départ était identique à celle du plateau et à celle du montage, nos discussions étaient claires et concises. Cela m’a donné plus de temps pour étalonner. »

Retouche d’images durant l’étalonnage
Fabien expose une problématique nouvelle, associée aux postproductions limitées par le temps : les plans qui avaient traditionnellement besoin de partir aux effets visuels – nettoyage de peau, d’éléments techniques dans le cadre… – sont souvent une distraction. Les réalisateurs et directeurs de la photographie s’attendent à une image nettoyée avant le début de l’étalonnage, ou pendant celui-ci.
« Une partie de ce qui était envoyé automatiquement aux effets visuels peut maintenant être fait directement dans le Baselight, avec les nouveaux outils "Paint" ou "Grid Wrap". Nous avons besoin de définir rapidement ce qui est faisable dans le Baselight, ou ce qui doit partir aux effets. Nous remarquons une diminution constante du temps de projection disponible pour l’étalonnage. Nous devons optimiser le temps de travail de l’image et les séances d’étalonnage autrement. Les outils évoluent et deviennent plus productifs – les demandes et attentes en font de même. C’est une évolution naturelle, et quotidienne. »

Ce qui est marquant sur ce projet, est la relation à la fois proche mais structurée entre le directeur de la photographie, le DIT et l’étalonneur. Il est clair que chacun était perçu comme un créatif et pas uniquement comme un technicien.
« J’ai la même discussion avec le DIT qu’avec l’étalonneur », explique Antoine Roch. « Nous parlons d’image, encore d’image et toujours d’image. L’étalonnage final devient un complément du travail commencé avec le DIT sur le plateau avec Prelight, pour obtenir ce lien transparent entre le plateau et la salle d’étalonnage. L’un des avantages est d’économiser la quasi-totalité du temps de pré-étalonnage qui se passe traditionnellement les premiers jours des séances. Nous commençons directement sur la seconde passe, avec les retouches secondaires sur chaque plan. Avec une série pré-étalonnée sur le plateau, c’est l’ensemble de l’étalonnage qui s’affine. »

Dans le portfolio ci-dessous, quelques images des outils de travail utilisés.