"La caméra, comme sur une vague, flotte et ondule"

Par Kees van Oostrum, président de l’ASC

La Lettre AFC n°285


Dans son éditorial du numéro de mars de l’American Cinematographer, Kees van Oostrum, président de l’ASC, interroge les concepts de nouveauté stylistique de cadrage et propose de retourner à leurs sources, qu’il trouve dans la Nouvelle Vague et le travail du directeur de la photographie Raoul Coutard, à qui il rend hommage.
Kees van Oostrum, ASC - Photo Jacek Laskus, PSC, ASC
Kees van Oostrum, ASC
Photo Jacek Laskus, PSC, ASC


La caméra flotte, ondule, roule et tangue. Le plan est sale, décalé, inattendu, imprévisible. Pas de friction, « casser les règles ».
Ce sont quelques-unes des expressions fréquemment utilisées pour décrire le travail des directeurs de la photographie et les styles de caméra portée et de cadrage qui enrichissent, depuis environ deux ans, la palette de l’opérateur. Vraiment ? Je pense sincèrement que rien n’est jamais vraiment nouveau. Il est dans la nature humaine d’expérimenter en permanence, et à travers nos expériences, nous redécouvrons sans cesse ce qui était déjà connu. Les tendances émergent involontairement d’un désir irrépressible de faire autrement, de raconter une histoire d’une nouvelle façon.

Considérant ce soi-disant "nouveau" style de caméra mouvante, je suis retourné aux films de la Nouvelle Vague française. À mon avis, le style issu des films de la Nouvelle Vague est l’un des plus influents de l’histoire du cinéma.

À la fin des années 1950, un petit groupe de critiques écrivant pour les Cahiers du Cinéma a commencé à faire ses propres films pour s’inscrire contre le style traditionnel et impersonnel, devenu endémique, du cinéma français. Leurs idées remontent au manifeste de 1948 d’Alexandre Astruc, "Naissance d’une nouvelle avant-garde : la Caméra-Stylo". L’essai d’Astruc énonce plusieurs principes qui seront ensuite interprétés par les critiques des Cahiers du Cinéma, dont François Truffaut, Jean-Luc Godard et Claude Chabrol - qui figuraient parmi les membres les plus importants de la Nouvelle Vague - par la réalisation de films comme Les Quatre-cents coups, À bout de souffle et Le Beau Serge, respectivement.

Jean-Luc Godard, Raoul Coutard, Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo sur "A bout de souffle" - Photo Raymond Cauchetier
Jean-Luc Godard, Raoul Coutard, Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo sur "A bout de souffle"
Photo Raymond Cauchetier

Henri Decaë était peut-être l’opérateur le plus en vue au début de la Nouvelle Vague, mais Jean-Luc Godard a rapidement imposé un directeur de la photographie qui, jusque-là, avait principalement travaillé comme photographe de guerre et photojournaliste. C’était Raoul Coutard, qui est venu incarner le style cinématographique de la Nouvelle Vague.

Raoul Coutard
Raoul Coutard


Son style de cadrage trouve ses origines dans son approche de la réalité documentaire. La plupart de son travail était cadré à l’épaule. Il parlait d’une caméra en quête constante d’honnêteté visuelle. Et oui, elle flottait, tremblait, se déplaçait impulsivement, et faisait généralement tout ce qui allait à l’encontre de la "perfection" stylisée de l’industrie cinématographique française de l’époque, représentée par de grands directeurs de la photographie comme Henri Alekan (Anna Karénine) ou Sacha Vierny (L’Année dernière à Marienbad).

L’éclairage simplifié de Raoul Coutard était d’abord motivé par le manque de budget. Ses premiers films étaient principalement tournés en lumière naturelle. À certaines occasions, il remplaçait les ampoules existantes. Puis il commença à travailler avec des ampoules "flood" en réflexion sur des matériaux blancs ou argentés, installés au plafond, créant une lumière douce et uniforme sur le décor. Bien qu’il ne fût pas très sophistiqué, cet éclairage était parfaitement en phase avec les principes de la Nouvelle Vague. Bien sûr, la Nouvelle Vague n’était pas vraiment définie par des règles, mais plutôt par le rejet de toutes les règles qui étaient considérées comme ennuyeuses et restrictives.

La caméra flottante d’aujourd’hui et le style "Tirez sur tout ce qui bouge" déconstruit la photographie de cinéma de la même façon. C’est peut-être annonciateur d’une deuxième Nouvelle Vague. Mais, malheureusement, ce n’est pas aussi inventif ou stimulant. Ce que la Nouvelle Vague nous a enseigné - et ce que nous rappelle la caméra qui bouge - c’est que nous ne devrions pas être esclaves du médium. Vous n’êtes pas obligé de tourner une scène d’une certaine façon juste parce que ça semble "pertinent". Finalement, seul votre regard importe.

Raoul Coutard mesurant la lumière sur Anouk Aimée sur le plateau de "Lola", de Jacques Demy (1961).
Raoul Coutard mesurant la lumière sur Anouk Aimée sur le plateau de "Lola", de Jacques Demy (1961).


Raoul Coutard est décédé il y a un peu plus d’un an. Il a travaillé comme directeur de la photographie sur plus de quatre-vingt films, mais c’est son travail avec les réalisateurs de la Nouvelle Vague française qui constitue son héritage le plus durable. C’est une période dont il se rappelait avec tendresse et plaisir.

« Au début de la Nouvelle Vague, ils pensaient pouvoir faire ce qu’ils voulaient, parce qu’ils ne connaissaient rien à la technique cinématographique », a déclaré Coutard dans une interview à Post Script en 2010. « C’est ce qui a servi la dramaturgie, ils ne pensaient pas qu’il y avait des limites à ce qu’ils pouvaient faire. J’ai mis en place un système pour rendre cette approche opérationnelle. »

(Traduit de l’américain par Laurent Andrieux pour l’AFC)