La directrice de la photographie Maria von Hausswolff parle de son travail sur "A White, White Day", de Hlynur Pálmason

Höfn, entre les vivants et les morts

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Après Winter Brothers, qui lui avait valu le prix du Premier long métrage à la photographie à Camerimage en 2017, la jeune directrice de la photo suédoise Maria von Hausswolff refait équipe avec le réalisateur islandais Hlynur Pálmason. Un drame qui met en scène un ex-policier endeuillé par la mort de sa femme et qui entraîne sa petite fille dans une quête incertaine du passé. Aux cotés de l’impressionnant Ingvar Sigurðsson (pour lequel le film a été écrit), la fillette (la propre fille de Hlynur Pálmason), et surtout un dégradé entre brume et pluie autour de la ville côtière de Höfn (qui se traduit simplement par "port" en islandais) dans le sud-ouest de l’île. (FR)

Il y a beaucoup de passerelles, notamment sur la tonalité blanche, entre Winter Brothers et A White White Day...

Maria von Hausswolff : Visuellement, Winter Brothers était un film plus espiègle, naïf et expressionniste. A White White Day est sans doute aussi joueur mais d’une manière plus mature et subtile. Le rythme et la narration alternent entre de longues scènes presque méditatives et d’autres très intenses. Sur ce nouveau film, nous avons également beaucoup travaillé sur la chorégraphie de la caméra et des comédiens.
Par contre, au sujet de la couleur blanche, je ne pense pas qu’il y ait de rapport direct. Dans Winter Brothers, par exemple, la météo n’avait aucune répercussion sur l’histoire et les personnages. L’inspiration pour ce film est venue d’une série de clichés photo que Hlynur avait réalisés il y a déjà plusieurs années autour de Höfn, sa ville natale en Islande. Une série qui s’appelait déjà A white white day et qui a donné vie au film. Ce terme s’illustre bien à travers ce brouillard islandais qui unit la terre et le ciel et qui donne lieu à une croyance locale selon laquelle les morts peuvent soudain communiquer avec les vivants.... Une histoire de deuil qui montre aussi combien l’amour peut être complexe.

Maria von Hausswolff à Cannes - Photo Hypergonar
Maria von Hausswolff à Cannes
Photo Hypergonar

Comme on travaille ensemble depuis nos études et qu’on a déjà collaboré sur plusieurs formes d’art autres que le cinéma, je peux dire que je m’étais familiarisée avec le projet depuis 2013-2014. Pendant tout ce temps, il m’a envoyé un carnet de notes visuelles, des clips de musique, et surtout il avait déjà en tête le casting, dès le début. C’est génial de pouvoir participer à un projet depuis le début. Ça vous permet de fouiller, de collectionner et de digérer un langage visuel commun. Du coup, notre communication est devenue très intuitive et, parfois, presque télépathique sur le plateau.

Comment avez-vous fabriqué le film ?

MvH : La scène d’ouverture avec la maison et le plan séquentiel, avec les saisons qui changent, ont été tournés deux ans avant même le début de la production. Tout le reste a été tourné en huit semaines, à la fin de l’été, entre août et octobre 2018. C’est à cette période que le temps change en Islande et qu’il commence à devenir très dramatique. Une météo qui joue un rôle très important dans le film et qui peut être imprévisible. C’était particulièrement excitant et difficile de filmer ces séquences de brouillard réel...

Pourquoi le 35 mm ?

MvH : Les plans d’ouverture de la maison avaient déjà été tournés en 35 mm deux ans avant le début du tournage... Ces plans étaient de toute beauté et ç’aurait été un crève-cœur pour nous de passer en numérique pour le reste du film. Bien que ces plans aient été en vrai Scope avec une optique Kowa, le reste du film a été fait en TechniScope 2 perfs sur une ArriCam ST. Cette décision était à la fois économique, pratique et esthétique. En effet, outre la plus grande autonomie des magasins qui pouvait atteindre dix minutes avec seulement 120 mètres pour nos longs plans-séquences, l’encombrement pour les scènes de voiture étant aussi un aspect important. Enfin, choisissant de faire des mouvements de caméra et d’acteurs avec des panoramiques parfois dans des lieux étroits, les distorsions créées par l’anamorphose, notamment sur les bords de l’image, n’auraient pas convenu à ce projet. Notre choix s’est finalement porté sur une série sphérique Cooke S4, qui m’a permis de donner une petite touche de chaleur sur les plans.

Comme la maison, le décor du poste de police est très ouvert sur l’extérieur.

MvH : Oui, le paysage a une importance capitale, même dans les intérieurs. Que ce soit la maison ou le poste de police, on souhaitait tourner majoritairement avec les entrées de lumière naturelle par les fenêtres mais il me fallait absolument conserver suffisamment de détails dans les découvertes à travers les fenêtres, sans placer les comédiens en silhouette face à ce contre-jour. J’ai par conséquent eu recours à de simples tubes fluos au plafond, une solution très simple qui convenait bien aux mouvements et aux panoramiques de caméra sur 365° qu’avait prévu le metteur en scène.
Ce poste de police avait des fenêtres sur presque tous les murs, c’était particulièrement délicat de ré-éclairer à la face sans risquer de voir des reflets dans ces vitres... Dans la maison, on a eu plusieurs types de mises en place pour les plans, mais j’ai majoritairement travaillé en intérieur avec un HMI en réflexion sur un cadre en tissu blanc ou sur polystyrène. Ou parfois placé à l’extérieur à travers une fenêtre hors champ.

La voiture, autre élément-clé du film...

MvH : Oh oui ! Les voitures ont presque été castées avant les comédiens ! La voiture rouge du personnage principal avait même été rebaptisée à son nom, Igimundur. C’était très important de trouver le bon modèle et d’avoir suffisamment de place à l’intérieur pour mettre la caméra et envisager toutes les scènes avec sérénité.

Parlez-nous de la séquence finale du tunnel…

MvH : Ce tunnel est situé à côté de Höfn et je pense que c’est l’un des lieux qui a inspiré le film. Je me souviens avoir reçu de la part d’Hlynur un petit repérage vidéo fait là-bas en 2014 ! Un endroit mystique, comme beaucoup d’autres en Islande, où les habitants pensent que les vivants et les morts se croisent. Il est désormais désaffecté car une nouvelle route est en train d’être construite, et c’est pour cela qu’on a ce monticule de terre devant l’entrée. Pour tourner ce très long plan en travelling arrière, on a utilisé une simple western dolly à roues gonflables, avec la dolly Fisher placée dessus. Cette dernière équipée d’une petite Chimera en déport top-light au-dessus des comédiens. Impossible de ré-éclairer le tunnel ou d’utiliser la lumière existante trop plate. C’est mon chef électro qui s’occupait de faire monter et descendre la luminosité de la lampe sur variateur, au fur et à mesure que l’acteur avançait. Vous remarquerez que le plan n’est pas parfait, comme quand on utilise un stabilisateur par exemple, mais on trouvait, tous les deux avec Hlynur, que ces petites imperfections allaient exactement dans le sens du film. Avec également le côté brut et organique du lieu. C’est aussi une manière pour moi de traduire à l’écran que rien, ni personne, n’est parfait, en association avec la texture du film argentique et les petites traces de poussière issues du scan qu’on a même décidé de conserver dans la copie. Les personnages de ce film et la météo marchent main dans la main... Jamais parfaits.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)