"Dégradés chocolat et Tronçonneuses", par François Reumont pour l’AFC

Le directeur de la photographie Benjamin Loeb parle de son travail sur "Mandy", de Panos Cosmatos

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Bien que d’origine norvégienne, Benjamin Loeb est basé à Vancouver depuis plusieurs années, travaillant aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe. Depuis 2007, il a signé l’image de plusieurs longs métrages (Hello Destroyer, Wintermarchen), ainsi que de nombreux clips, courts métrages et publicités. Il est aujourd’hui sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs avec Mandy, un film étrange de vengeance signé Panos Cosmatos. (FR)

Ayant en commun plusieurs amis avec Panos Cosmatos à Vancouver, c’est le hasard qui le fait arriver sur le tournage de Mandy à l’été 2017 : « Nicolas Cage venait de se blesser à la cheville quelques semaines auparavant, forçant Panos à retarder le tournage de son film. Suite à cet imprévu, il m’a proposé de venir participer au film, en remplacement d’un collègue qui ne pouvait plus le faire. J’ai donc eu à peine trois semaines entre son premier coup de fil et le début du tournage en Belgique. Il m’a fallu tout de suite rentrer dans le vif du sujet ! »
Fils du cinéaste Georges Pan Cosmatos (Rambo II, Cobra, Tombstone), Panos Cosmatos voulait, avec Mandy, s’inscrire dans une certaine lignée héréditaire du cinéma d’action vintage.

« Quand on a commencé à parler du film, je me suis aperçu que Panos avait une idée très précise de son film et beaucoup de références pêchées dans le cinéma d’action des années 1980 », explique Benjamin Loeb. « De Hitcher à Black Rain, en passant par Cobra ou Days of Thunder... autant de films que j’avoue n’avoir jamais vraiment imaginé imiter ou refaire. Dans un style et dans des thématiques qui sont à l’origine assez éloignés de ce que j’ai pu faire auparavant ! »

Intrigué par la situation, le chef opérateur se lance dans l’aventure et se met à faire une série d’essais en tirant parti des quelques jours qui le séparent du début du tournage. « Quand j’ai découvert le script, une chose assez amusante fut que sur la première page on pouvait lire "ce film est présenté en 16 mm anamorphique !". Une blague qui donnait tout de suite cette tonalité de film "bis" ou de série B, et cette relation spéciale avec le film argentique à laquelle Panos tenait. Malheureusement, le budget et l’état d’avancement de préparation du film avaient déjà conclu à un tournage numérique. Il n’était pas possible de revenir sur ce genre de décision, et nous avons dû filmer de manière assez standard en Alexa malgré cette déclaration d’amour initiale à la pellicule. C’est surtout en travaillant avec des optiques Panavision Primo anamorphiques, très lourdes et très encombrantes, qu’on a redressé la barre vers le look des années 1980, en redonnant de la texture, et avec une passe d’étalonnage en fin de chaîne avec Peter Bernaers, le coloriste. »

Co-produit avec des fonds venus de Belgique, Mandy est donc tourné durant l’été 2017 sur vingt-neuf jours dans des forêts de Wallonie. « La plus grande partie du film est nocturne, ce qui a donné un plan de travail avec dix-neuf nuits qui s’enchaînaient. La nuit tombant à 22h30, on attaquait à 21h pour être prêt à tourner à la nuit tombée et couper à 5h30 du matin tous les jours. Un rythme pas toujours facile à prendre, avec pas mal de pluie et des séquences de cascades, comme celle du combat à la tronçonneuse, qu’on a dû mettre en boîte en seulement deux jours. »

Un dispositif d’éclairage souvent minimaliste accompagnait fréquemment l’opérateur : « Vu le budget de 5,5 millions d’euros et l’équipe réduite, on avait décidé, d’un commun accord avec Panos, de laisser tomber les nuits au clair de lune ou les Soft Boxes immenses placées très haut... La plupart des ambiances sont construites à partir des sources de figuration, comme les phares de voiture en extérieur. C’est aussi pour ça que le film est très sombre ! »

Préférant filmer la plupart du temps d’un seul point de vue, Benjamin Loeb a dû quand même faire appel à une deuxième Alexa au cœur du film : « En fait, ce deuxième corps caméra était équipé à l’origine pour les séquences de voitures et nous a servi sur les séquences d’action. Il faut dire que les choses étaient déjà tellement compliquées en termes de chorégraphie, de contraintes météorologiques et de cascades, que j’essayais de faire le plus simple possible à chaque fois. »

En matière d’optiques, si la plus grande partie du film est tournée au 75 mm et au 50 mm Primo, ainsi qu’avec le zoom court Primo anamorphique, Benjamin Loeb confie une utilisation non négligeable des téléobjectifs, « comme un zoom 25-250 mm Angénieux converti en 50-500 mm. Le film s’enfonçant peu à peu dans la claustrophobie avec le personnage, les longs foyers nous ont permis de renforcer cet effet. »

Nicolas Cage interprète le rôle de Red. Et ce n’est pas une coïncidence si la couleur rouge traverse le film comme un leitmotiv. « On a vraiment envisagé de développer cet univers un peu cauchemardesque autour de la couleur rouge. C’est pour ça qu’elle revient assez régulièrement dans le film, que ce soit dans la direction artistique mais aussi dans les éclairages, en jouant les effets à partir d’éclairages LED assez ponctuels ou de SkyPanels pour les champs plus vastes.

Une autre constante a été celle de l’utilisation des filtres. En effet, dès les tests caméra et optiques qu’on a pu faire lors de la très courte préparation, Panos a insisté pour qu’on prenne avec nous des filtres chocolat, tabac, rouge, orange, en dégradés de toutes natures... Exactement comme ceux que n’hésitaient pas à utiliser les chefs opérateurs dans les années 1980. Sur le plateau, il n’était pas rare que je me retrouve avec un ND9, un corail et un dégradé neutre 1,2 Hard à la fois sur le même plan, créant parfois des embouteillages dans le pare-soleil ! »
Timide au début, le chef opérateur est vite encouragé par le réalisateur à baisser progressivement la ligne d’horizon du dégradé jusqu’à presque atteindre les yeux des comédiens !

« Je pense que je n’aurais jamais osé par moi-même aller dans ce genre de directions photographiques », confie Benjamin Loeb. « Mais, accompagné par Panos, je me suis senti très en confiance et capable d’à peu près n’importe quoi ! »

Un script un peu fou, un réalisateur absolument pas conventionnel et un résultat final quelque peu bizarre pour cette histoire de vengeance entraînée par un Nicolas Cage complètement investi (qui est allé pour les besoins du film jusqu’à rester attaché pendant deux nuits en slip à une clôture au milieu de la forêt belge).

En 1983, Red Miller vit avec Mandy, sa petite amie artiste, dans les bois d’une montagne sauvage américaine, isolée du monde. Un jour, elle est attirée par Jeremiah Sand, un chanteur folk devenu le gourou d’une secte. Avec l’aide d’une bande de bikers, les Black Skulls, Sand la kidnappe mais Mandy, après s’être moquée de lui, est brûlée vive sous les yeux d’un Red impuissant. Ivre de vengeance, Red assemble un arsenal d’armes improbables pour se venger de Sand et de ses admirateurs. Mais, peu à peu, le monde se modifie et ressemble à une peinture de sa fiancée défunte... Aux frontières du réel, rien ne l’arrêtera pour mener sa vendetta.