Paradise Now

Paru le La Lettre AFC n°146 Autres formats

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Fin mars 2004, alors que je partais pour Naplouse tourner Paradise Now, je me souviens d’avoir lu sur le trottoir de ma rue, un joli tag peint au pochoir : “ Où sont nos rêves ? ” (...)

Cette interpellation surgie à mes pieds venait apaiser les sentiments contradictoires qui me traversaient encore le jour de mon départ pour la Palestine. Je partais exercer mon métier pour une des raisons essentielles qui me l’ont fait choisir : partir à la rencontre des autres, et partager une aventure commune.
J’étais heureux de pouvoir me répondre : “ Devant moi ! ”

En mars 2004, il y avait bien huit mois que j’avais lu le scénario d’Hany Abou Assad et Bero Beyer. Il m’avait enthousiasmé, mais je n’avais plus de raisons d’espérer : Denis Lenoir, qui avait rencontré Hany en résidence à Sundance, voulait faire le film. Hany en était ravi.

Et puis trois semaines avant le tournage, Denis a du lâcher l’histoire pour des raisons personnelles et Hany m’a rappelé.

Savoir qu’un peuple vit occupé est une chose, vivre au quotidien cette occupation donne toute la mesure d’une réalité insupportable.
Pour ce qui est de notre préparation, les difficultés commencent très vite. Entre les listes de matériel demandées par Denis et les possibilités de rassembler ce matériel dans les territoires occupés, nous allons de désillusion en désillusion.
Le film est coproduit par les Pays-Bas, la France, Israël (mais pas financièrement), et surtout l’Allemagne. Initialement, Arriflex devait nous envoyer un container avec la lumière, la machinerie, deux Arricams, etc. Mais, leur assureur refuse de s’engager sur une destination comme la nôtre. Dix jours avant le tournage, nous devons faire notre marché à droite et gauche pour rassembler de quoi tourner. Amir Harel, producteur de Lama Productions à Tel-Aviv, nous aide à convaincre des loueurs qu’il connaît pour la machinerie et la lumière.
Pour les caméras, nous tournons en Super 35 sur 3 perfos, ce qui rend difficile de rassembler deux corps de caméras en si peu de temps.
Nous trouvons finalement une Arri 535 et une Aaton 35 à Amsterdam, chez Holland Equipment, seul loueur à bien vouloir prendre le risque d’envoyer ses caméras jusqu’à nous. Ehab Assal, mon premier assistant palestinien de Nazareth et Ahmed Tan, mon second assistant allemand, partent illico faire les essais. Ils reviennent une semaine plus tard, copains comme cochons, avec les caméras, une série Zeiss Ultra Prime, complétée par une longue focale, un doubleur, et un zoom 25-250 Cooke. Tout le monde commence à y croire.
Sur la quarantaine de personnes qui composent notre équipe à Naplouse, une quinzaine sont de la ville, pour la plupart des étudiants qui n’ont jamais fait de cinéma mais qui ont un tel désir de faire et d’apprendre, que très vite ils trouvent leur place. Cinq Palestiniens d’Israël ayant un peu d’expérience et une autorisation pour travailler en zone occupée nous rejoignent. Nous sommes deux Français dans la bande : Olivier Meidinger notre chef décorateur, et moi-même.
Ma première équipe d’électriciens et de machinistes est allemande, très compétente, mais elle nous lâchera avec la première assistante à la réalisation quand les difficultés surviendront : un soir de notre sixième semaine de tournage, deux hommes armés et masqués surgissent dans le bureau de production. A cette période, Tsahal intervient quasiment quotidiennement dans la ville, et des gens proches du tournage sont tués. Les différents groupes de résistants palestiniens s’intéressent de plus en plus à nous, au scénario. C’est le début des embrouilles et des négociations intenses et éprouvantes pour Hany qui sort peu à peu du tournage de son film pour le sauver. Il passe toute son énergie en acrobaties diplomatiques. Les représentants de différents groupes (FATH, FPLP, HAMAS, etc.) défilent au bureau, mais un groupuscule incontrôlable s’oppose systématiquement à toute décision politique et négociée. Les arguments politiques cachent mal un chantage pour obtenir de l’argent. Pendant ces 15 jours sans tourner, nous partons trois jours à Nazareth pour y repérer des décors possibles, et organiser un plan B. Avec Olivier et Hany, nous convainquons les producteurs de rester une semaine de plus à Naplouse pour tourner l’indispensable, c’est-à-dire les décors raccords dans les séquences qui nous restent à tourner.
Constamment sous pression entre les incursions israéliennes dans la ville et les " interdictions " de dernières minutes de groupes résistants " anonymes ", nous ne restons finalement que 4 jours de plus, et nous abandonnons notre chère équipe de Naplouse pour finir le tournage à Nazareth. La tristesse est immense. Nous laissons nos amis prisonniers dans leur ville après deux mois de travail intense tous ensemble. Ils n’achèveront pas ce film dans lequel ils ont mis tant d’énergie.
A Nazareth, nous sommes dans un tout autre pays et Olivier - notre chef décorateur - n’a que deux jours d’avance sur nous pour préparer les décors, parfois reconstruire un angle de rue à l’identique du camp de réfugiés où nous avons tourné à Naplouse. Nous repérons en fin de journée pour tourner le surlendemain, mais nous arrivons à finir " seulement " quinze jours plus tard que prévu.

Artistiquement, Hany m’a très peu parlé des choix établis avec Denis Lenoir. Je ne sais pas s’ils ont pu avancer la préparation aussi loin qu’ils auraient voulu.
Avant tout, il voulait tourner sur les lieux mêmes de l’occupation, et avec la participation des gens de Cisjordanie, c’est-à-dire avec son peuple. Dès mon arrivée, nous avons beaucoup marché ensemble à travers la ville. Nous sommes allés sur les marchés, dans les camps de réfugiés, dans les maisons et les cafés, le jour et la nuit quand l’armée n’y était pas. Nous avons beaucoup parlé de la vie des gens, de la difficulté du sujet totalement inscrit dans l’actualité.
Hany voulait avant tout un film résolument inscrit dans la fiction, un film de " spectacle ", mais proche des histoires authentiques et singulières qui transparaissent derrière celles de ses personnages. Il voulait donc tourner au format 2,35 évoquant le western, avec parfois de très gros plans et des mouvements d’appareil, tout en gardant la distance juste sur l’ensemble de l’histoire et ne pas forcer l’émotion. Il n’y a d’ailleurs aucune musique dans le film. Quant à la lumière, nous n’avons eu ni le temps de faire des essais, ni les sources d’images nécessaires pour confronter nos imaginaires autant que nous l’aurions voulu. Hany avait du mal à définir une texture d’image alors qu’il savait parfaitement définir un cadre. Je me suis appliqué à retranscrire ses indications maîtresses au sujet du cadre comme des principes de base pour la lumière : pas de " naturalisme " qui nous éloignerait de la fiction, mais pas non plus une lumière spectaculaire qui transfigurerait les décors naturels.

Technique

Pellicules Kodak 5212 et 5218 développés chez Geyer à Münich. Pas de traitement particulier si ce n’est un léger sous-développement de l’internégatif 4 perfos chez Arane-Gulliver pour le tirage des copies positives faites chez LTC.