Pauline Doméjean parle de son travail à l’image sur "No Skate !", court métrage de Guil Sela
Paris, Jeux Olympiques 2024. Isaac est homme-sandwich. Cléo est femme-sandwich. Un jour, Isaac voit Cléo jeter une planche de skate dans l’eau.
Il s’agit de notre deuxième collaboration avec Guil Sela. Nous avons fait un court métrage ensemble, Santa Maria Kyoko, tourné en Corse en 2023 et coréalisé par Félix Loizillon. Guil aime travailler en petite équipe et écrit ses scénarios en pensant la logistique du tournage.
Comme pour notre précédente collaboration, je savais que j’allais être accompagnée d’une seule personne à la caméra, qui m’aiderait aussi pour la machinerie et la lumière. J’ai proposé à Louis Sciara de m’accompagner, avec qui j’avais déjà travaillé sur le précédent film de Guil. Nous avions une cinéphilie commune et Guil m’avait déjà partagé ses goûts et désirs de cinéma.
Pour ce film, contrairement au précédent, il voulait essayer d’aller vers une caméra plus libre, que l’on puisse se laisser guider par les propositions de jeu de Michaël Zindel et Raïka Hazanavicius, et il voulait aussi essayer une caméra à l’épaule, ce qu’il n’avait encore jamais fait dans ses films.
Les références principales étaient les premiers films des frères Safdie, dans le rapport des personnages à la ville, de la caméra à ces personnages, du mouvement, du rythme.
Nous savions que nous voulions tourner quasi exclusivement en longue focale, voire très longue focale. Nous sommes donc partis en repérages afin de trouver des décors qui nous permettaient de voir les acteurs et actrices de très loin, et de suivre leurs mouvements. Pour chaque plan nous avons ainsi déterminé ensemble l’endroit précis de la caméra. Pour les plans en très longue focale dans lesquels je devais suivre les personnages en panotant, j’ai décidé de me mettre sur pied, les mouvements des panos étant déjà suffisamment énergiques. Dès que la focale me semblait suffisamment courte et que je n’avais pas à faire de suivis de mouvements, je passais à l’épaule, y compris pour les plans fixes, afin qu’il en émane une forme de vivacité.

L’enjeu principal du découpage était de trouver comment se renouveler tout au long du film pour filmer ces déambulations et ces longs dialogues en mouvement, tout en restant sur une caméra sur pied où sur épaule fixe, avec des panos. On s’est fixé comme règle qu’il y ait toujours une forme de vie ou de mouvement, que ce soit dans les panos, la caméra à l’épaule ou les zooms.
Guil ayant déjà fait deux films en 16 mm, il souhaitait que l’on s’approche de sa dynamique, sa texture, son rendu des couleurs et sa grande profondeur de champ. Un tournage en 16 mm n’était pas envisageable étant donné le budget et la volonté de faire de longues prises improvisées.
Nous avons fait des tests chez TSF avec l’Alexa 35 ainsi que l’Alexa Mini. Nous avons essayé les modes de capteur Super 16 sur ces deux caméras et fait des tests d’exposition de jour avec le diaphragme très fermé et en très basses lumières. L’Alexa 35 nous permettait beaucoup plus de flexibilité étant donné sa double sensibilité ISO.
Une grande partie du film étant de nuit, sans possibilité d’éclairer, il était indispensable de partir avec une caméra sensible, qui ne crée pas trop de bruit numérique en basse lumière. Et comme nous n’utilisions qu’une partie du capteur avec le mode Super 16, j’avais peur de ce bruit. Donc nous avons déterminé un ISO à ne pas dépasser en basse lumière.

J’ai tourné toutes les séquences de jour à 1 600 ISO (en mode de sensibilité 800 ISO) et au diaph 22 ou 16, afin d’avoir le plus de profondeur de champ possible (ce qui allait avec le fait de tourner avec le capteur en S16). La nuit, je restais à 1 600 ISO mais avec le mode de sensibilité à 3 200 ISO, et j’ouvrais le moins possible. La belle surprise a été les bokehs en étoiles provoqués par la fermeture du diaph. On les voit bien lors d’un moment avec des reflets dans l’eau et sur la séquence de fin dans les phares des voitures.
Les essais nous ont aussi permis de faire des LUTs pour le tournage avec l’étalonneur Elie Akoka. Nous avons ensuite continué dans cette direction avec l’étalonneur du film, Emmanuel Fraisse. Nous cherchions beaucoup de contraste et de la densité dans les couleurs. J’avais un peu sous-exposé tout le film afin de récupérer des couleurs prononcées, dans les peaux, dans les ciels et dans les costumes.
Nous avons tourné tout le film avec le zoom Super 16 Canon 11,5-165 mm derrière lequel nous mettions parfois un doubleur de focale. J’aime beaucoup ses aberrations chromatiques et sa douceur. Pour les séquences d’extérieur nuit, il fallait un zoom qui ait une belle ouverture.

J’ai très peu éclairé pendant le tournage, seulement la séquence de nuit chez Cléo. Nous choisissions les décors pour leur lumière, et tournions aux heures où la direction du soleil nous intéressait.
Étant souvent très loin de la scène avec la caméra, Guil choisissait de rester du côté des acteurs et actrices, et du son. Il avait un retour avec lui mais parfois nous étions trop loin alors nous lui envoyions des photos du cadre et communiquions par talkies. Il réécoutait les prises mais ne les revisionnait pas forcément sauf si j’avais un doute et que j’avais envie qu’il les revoit. J’avais un retour son et je cadrais avec le jeu. À la fin de chaque prise nous nous concertions avec Lucas Doméjean, l’ingénieur du son, et Guil, il n’y avait pas de scripte sur le plateau.
Nous souhaitions filmer Paris en août pendant les Jeux Olympiques sans aller sur les lieux des Jeux. Ce qui nous intéressait était l’impact sur le quotidien des quartiers que nous connaissons.
Finalement il s’est avéré que le quotidien n’était pas si troublé que ça. Les JO sont seulement présents dans le film par quelques affiches, infrastructures. À la fin du film, on voit un feu d’artifice au loin, on a terminé le jour de la clôture des JO, on peut imaginer que ce sont les feux de la soirée, et les personnages leur tournent le dos. En résumé les JO sont là mais on ne les regarde pas, ce n’est pas ça qui intéresse le film.

Guil souhaitait filmer les quartiers de Paris qui nous étaient familiers, et révéler le romantisme qui pouvait émaner de ces déambulations quotidiennes. Nous avons fait beaucoup de repérages pour trouver les bons décors pour chaque scène ainsi que la bonne lumière. Il ne fallait pas en faire trop non plus, alors parfois on trouve des manières de prendre le contrepied.
Cela nous amusait, par exemple, d’aller filmer en haut du parc de Belleville, là où on a une très belle vue de Paris, et de ne pas filmer les personnages regarder la vue. On les a laissés dos au paysage, dos aux feux d’artifices, dans un endroit sombre, où ils n’étaient pas éclairés par des lampadaires, ainsi leurs visages disparaissent dans la pénombre.