Retour sur la conférence AFC sur le développement de look en cinéma numérique

Par Margot Cavret pour l’AFC


Le jeudi 21 novembre, à Camerimage, Martin Roux, AFC, et Olivier Patron, ADIT, ont présenté leur procédé Diachromie & Diaphanie, un outil de création de look, prenant la forme de plug-ins pour DaVinci Resolve, développés avec le DoP Paul Morin, au cours d’une conférence AFC préparée et modérée par David Ungaro, AFC. (MC)

La conférence a commencé avec une présentation théorique et technique par Olivier Patron, DIT : « Je vais commencer par rappeler certains concepts, permettant de comprendre ce qu’est une image numérique et les processus impliqués de sa capture à sa projection. Une caméra, c’est basiquement un outil de mesure, qui convertit la lumière physique en valeurs numériques. Puis, une étape que nous appellerons l’encodage digital, comprenant entre autre la débayerisation, l’encodage logarithmique, la balance de blancs, etc., est appliquée à toutes ces valeurs numériques. Cependant, ces images ne sont pas encore satisfaisantes pour un visionnage, il faut donc ajouter une étape de développement, qui est notre sujet. »


« Il y a une différence entre percevoir une image et percevoir la réalité. En regardant le monde réel, notre système visuel trie les informations et élimine le superflu. Nous percevons donc une représentation du monde réel, réinterprétée par le cerveau. Mais en regardant une image, nous expérimentons une représentation externe de la réalité, ce qui entraîne une réponse cognitive différente. C’est pourquoi il est impossible de regarder un enregistrement brut de la réalité en obtenant la même expérience visuelle ou émotionnelle.
« Il faut aussi considérer le passage de la dynamique de la scène à celle de l’image. Notre système visuel est capable de s’adapter aux très grandes variations du monde qui nous entoure, afin de se centrer sur ce qui est important. Cependant, même le plus lumineux des écrans ne peut pas afficher la dynamique du monde réel. Nous n’avons, par ailleurs, pas besoin d’un tel affichage, puisque nous désirons simplement une représentation interprétée de ce qu’a été la scène. Il est important de noter que les caméras sont capables de contenir quasiment toute la dynamique du monde réel. Donc les données sont enregistrées. Afin de les adapter aux outils de visionnage, cette dynamique est compressée sur les hautes et les basses lumières, et amplifiée sur les valeurs centrales, où se rencontrent l’exposition correcte de la caméra et l’intérêt de la scène. On obtient une courbe en forme de S.


« Le développement permet de renforcer la hiérarchisation des données, afin de satisfaire à la fois les disparités cognitives évoquées, et les contraintes technologiques des outils de visionnage. Le "color mapping" permet d’obtenir une image proprement regardable. Cependant, afin d’amener l’image à un stade supérieur, de la rendre belle et riche de sens, une seconde étape de développement est nécessaire : le look. Si le color mapping est un processus objectif, le look doit être subjectif. Il véhicule l’unicité artistique et visuelle du projet.
« De nombreuses études psychophysiques ont été menées sur les couleurs, les souvenirs que nous en gardons et nos préférences au sujet de leur reproduction. Toutes ces études indiquent une préférence générale pour des représentations légèrement différentes de la réalité. Il ne s’agit donc pas de faire une copie parfaite du monde réel mais de créer une représentation qui rappelle notre mémoire de celui-ci. Par exemple, nous nous souvenons généralement des couleurs vives comme un peu plus sombres et moins saturées que la réalité. Une meilleure représentation dépend donc de souvenirs subjectifs, et cela nous donne la liberté de poursuivre nos intentions créatives et d’atteindre la vision artistique du projet. »

Olivier Patron - Photo Katarzyna Średnicka
Olivier Patron
Photo Katarzyna Średnicka


« En pellicule, le laboratoire nous offre directement une image entièrement développée, l’inconvénient étant qu’il est ensuite difficile de changer de look, puisque le color mapping et le look sont appliqués ensemble, en une seule étape indivisible. En numérique, on peut décider d’effectuer toutes les étapes à la main, en partant de l’image en log, et en ajustant chaque aspect de contraste et de saturation, en espérant ne rien perdre en chemin. Il est possible d’arriver ainsi à un résultat agréable, que peut-être la pellicule ne nous aurait pas donné la liberté d’atteindre, mais toute l’objectivité du color mapping aura été ignorée. Le color mapping peut être effectué par des opérations mathématiques fixes et reproductibles, et contourner cette méthode pourrait impliquer de nombreux accidents. Nous avons donc besoin d’un workflow avec gestion des couleurs, basé sur le color mapping, afin de nous concentrer ensuite sur la recherche du bon look. Ce travail sera facilement transposé sur d’autres cibles d’affichage et s’appliquera de manière transparente à d’autres types de scènes. »


« Un workflow avec gestion des couleurs est un système qui nous permet d’appliquer un ensemble d’opérations mathématiques simples qui aligneront les données dans un espace colorimétrique de travail partagé, où nous effectuerons l’étalonnage et où nous appliquerons le look. Le color mapping se chargera de l’adaptation aux différentes technologies d’affichage. Nous avons affiné nos outils avec le color mapping ACES 1.3, car il est largement utilisé et indépendant des logiciels. »


« L’application du look implique des déformations qui manipuleront la représentation géométrique d’un volume de couleur. Cela nous permet de resserrer certaines zones tout en en élargissant d’autres et, au final, d’obtenir une réduction expressive de la palette de couleurs. Les fonctions mathématiques impliquées doivent être robustes, pour ne pas introduire de cassures dans le volume. Elles doivent également être paramétrables, afin de pouvoir ajuster le résultat à nos besoins créatifs. Enfin, elles doivent être globales, continues et non destructives. A l’inverse, une LUT est constituée de couleurs échantillonnées fixes et immuables. Ce n’est pas satisfaisant pour nos ambitions créatives. Un look peut être divisé en trois parties : la courbe de contraste, les courbes de couleurs et des directives de couleur spécifiques qui modifieront les couleurs en fonction de diverses propriétés : changements de teinte en fonction de la zone de volume considérée, modifications de densité en fonction de la saturation, etc.
Sur DaVinci Resolve on peut créer un look avec l’étalonnage. Mais les logiciels d’étalonnage sont censés ajuster l’image que nous regardons actuellement, et non pas être des opérateurs globaux. Sur la sixième version de Baselight apparaît Chromogen, conçu pour la création de look. Il est très puissant, mais concerne uniquement les produits FilmLight. Nous allons donc vous présenter le résultat de nos recherches de ces dernières années, qui nous ont conduits à la création de deux outils : Diachromie, qui se concentre sur l’aspect colorimétrique du développement de look, et Diaphanie, qui concerne la texture. Ces outils sont aujourd’hui des plug-in OFX pour DaVinci Resolve. »


Martin Roux a ensuite pris la parole pour présenter ces outils dans le cadre de l’exemple pratique de son long métrage La Morsure : « Ce film est réalisé par Romain de Saint-Blanquat, et se déroule en France à la fin des années 1960. La signature visuelle du film devait témoigner à la fois de la réalité très concrète de l’adolescence, et de la magie d’une ambiance fantastique. Pour avoir le plus de possibilités en lumière de nuit, nous voulions tourner en numérique. Tourner en pellicule était tentant pour un scénario aussi plastique, mais était difficilement applicable en pratique. Je devais donc m’appuyer sur une création artificielle de la texture et des couleurs.
Diachromie et Diaphanie sont des outils paramétriques, avec de nombreux sliders, opérant chacun une variable mathématique, ajustant chacun un petit détail esthétique, sans passer par des filtres imposés ni LUTs fixes. Nous avons décomposé la vaste et complexe question du look en un certain nombre de petites pièces. Diachromie est composé de trois parties : contraste, courbes de teintes et transformations 3D. Nous avons créé une timeline rassemblant des images de différentes caméras, qui peuvent être manipulées ensemble grâce à l’espace de travail ACES. Nous cherchons à créer un look global, et non à simplement étalonner quelques plans. Ainsi, notre timeline doit rassembler le plus d’images différentes possible, afin de vérifier que notre look fonctionne dans n’importe quelle situation, à l’inverse de l’étalonnage, qui consiste à optimiser chaque plan dans la continuité narrative. Le look reste entièrement éditable car tous les sliders peuvent toujours être modifiés. »

Martin Roux - Photo Katarzyna Średnicka
Martin Roux
Photo Katarzyna Średnicka


« Pour pouvoir créer un look, il faut pouvoir nommer le phénomène que l’on souhaite produire. Les possibilités sont immenses, il est donc difficile de travailler à l’instinct, et il faut être capable de conceptualiser le rendu souhaité. Parmi les références du réalisateur, il y avait plusieurs films tournés en pellicule à la fin des années 1960 qui partageaient les mêmes propriétés esthétiques (du magenta dans les teintes chair, une dominante verte dans les hautes lumières, etc.). Laurent Ripoll, l’étalonneur du film, m’a également montré des images d’essais fait pour Playtime, de Jacques Tati, et nous nous sommes beaucoup inspirés des déformations de couleurs qu’on pouvait y trouver pour créer notre look. »
« Dans l’interface de Diachromie, dans l’onglet "contraste", chaque slider est comme répondre à une petite question, afin d’ajuster la courbe de contraste. On modifie la courbe autour du point de pivot correspondant au gris neutre, afin de ne pas modifier l’exposition. On peut aussi ajuster finement le pied de courbe et l’épaule. En ajustant ces quelques paramètres mathématiques, on obtient une courbe dont la complexité excède ce qui est possible avec des outils d’étalonnage classiques comme lift/gamma/gain, mais qui reste entièrement paramétrable. »
« Dans l’onglet des courbes de couleurs, on peut, par exemple, ajouter des dominantes colorées dans les hautes, moyennes ou basses lumières, ajuster la saturation à différents points de la courbe, etc. Il est également possible de neutraliser le haut de la courbe, afin d’éviter des teintes dans les spéculaires au passage en HDR. Tout peut toujours être modifié, sans que cela n’ait de mauvaise influence sur les paramètres ajustés précédemment dans les autres onglets. »
« Enfin dans l’onglet des transformations 3D, qui est le plus complexe, il est possible de déformer la représentation des couleurs dans un volume cubique. Les deux autres onglets n’influent pas ce cube qui reste homogène. Toujours à l’aide de nombreux sliders, nous allons pouvoir dans cet onglet déformer le cube, harmonieusement, en produisant des compressions et des dilatations. Les sliders ont diverses fonctions, comme par exemple faire évoluer la densité d’une couleur en fonction de sa saturation ou ajouter de l’intensité aux saturations sombres, autant de possibilités qui offrent le plus de directions possibles. Toutes ces modifications peuvent être enregistrées, puis réimportées comme preset, ce qui est bien plus pratique qu’importer une LUT, car les paramètres de Diachromie restent modifiables, tout en étant beaucoup plus légers en terme de stockage. »

Olivier Patron et Martin Roux, en arrière-plan - Photo Katarzyna Średnicka
Olivier Patron et Martin Roux, en arrière-plan
Photo Katarzyna Średnicka


« Avec tous ces outils, nous pouvons donc ajuster précisément les couleurs et recréer facilement les dérives colorées des pellicules des années 1960 que nous cherchions à imiter pour La Morsure. Cependant, afin d’ajouter la texture de la pellicule, nous allons devoir entrer dans notre deuxième outil, Diaphanie. Diaphanie fonctionne de la même manière que Diachromie, avec de nombreux paramètres mathématiques qui vont produire des modulations spatiales dans l’image. Il est donc possible d’ajouter de la diffusion, une halation, du grain, etc. Il est possible d’agir séparément sur différentes fréquences, afin d’adoucir l’image sans perte de définition. Pour La Morsure, j’ai choisi de diminuer les hautes fréquences et d’augmenter le contrastes des moyennes-hautes fréquences, pour modeler l’image et imiter l’acuité de la pellicule. Diaphanie incorpore un modèle de grain mathématique entièrement paramétrable. Contrairement à de nombreux plug-in, il n’utilise pas de modèle de grain scanné. On peut donc complètement générer le grain, que ce soit quelque chose de très marqué comme en pellicule, ou quelque chose de plus fin comme en digital, et moduler son interaction avec l’image en fonction de la densité et de la saturation, pour un rendu plus riche et naturel. »
« Utiliser des outils de développement de look a changé ma façon de travailler, car je peux désormais avoir un point de rencontre entre tous mes projets. Un projet bien financé avec un long processus de recherche de look pourra ensuite me donner des presets que je pourrai simplement ajuster pour des projets plus fragiles. Cela me permet aussi d’apprendre à mieux communiquer mes envies en termes d’image, en termes de couleur et de texture, et de comprendre ce qui a besoin de matériel de tournage spécifique, ou de ce qui pourra être recréé de manière transparente grâce au look. »

Olivier Patron et Martin Roux - Photo Katarzyna Średnicka
Olivier Patron et Martin Roux
Photo Katarzyna Średnicka


Lors de la séance de Q&R qui a suivi la conférence, plusieurs questions sur les possibilités du logiciel ont été posées par un public enthousiaste. A la question de savoir si l’outil peut générer des LUTs, Martin Roux répond : « Oui, c’est faisable, sauf pour les modification de texture dans Diaphanie. Cependant, l’intérêt principal de l’outil est que chaque paramètre reste éditable, alors que la LUT va figer le look ». Des questions sont également posées quant à l’état de développement logiciel de ces outils, Martin Roux répond : « Pour l’instant, c’est encore une version Bêta, même si je m’en sers sur tous mes projets depuis un an. Pour l’instant ce n’est pas en vente, mais nous le louons, afin de pouvoir conseiller chaque projet. Nous pensons le commercialiser à large échelle à la fin de l’année prochaine ». Olivier Patron complète : « Pour l’instant, le plug-in n’existe que sur DaVinci, mais nous allons aussi le porter sur Baselight. Nous voulons aussi ajouter des fonctions ». « Comme le HDR », ajoute Martin Roux, « qui n’est pas encore disponible mais qui est assez simple à ajouter et qui sera très utile. Ce n’est encore que le début ! ».

Le duo a également communiqué une adresse e-mail : contact chez diachromie.fr, pour toute question ou demande concernant les outils Diachromie et Diaphanie.

(Compte rendu rédigé par Margot Cavret pour l’AFC)