Saint Omer
Paru le Contre-Champ AFC n°336
Alice dès le départ souhaitait mettre les visages de Rama et Laurence dans la lumière, elle me le répétait souvent. Nous avons pour cette raison notamment cherché une salle de tribunal avec de grandes fenêtres qui laissaient rentrer la lumière du jour.

Nous avons défini ensemble la palette colorée du film mais nous avons surtout beaucoup échangé sur la mise en scène, sur la grammaire du film, sur les distances, le rythme, les axes… la fixité. Je suis arrivée très en amont sur le film.
Nous avons filmé à une seule caméra choisissant quel passage du texte serait filmé sur quel personnage. On laissait aussi une place importante au ressenti sur le moment. On ne travaillait pas par axe, on a privilégié le déroulement du procès, l’expérience que c’était de vivre, de revivre ce procès… Les plans sont souvent très longs, il était important pour Alice de filmer des blocs de présent, des blocs de réel. Nous parlions de surtout filmer des états, des états émotionnels.
Pour revenir à la palette du film, nous avons fait des essais.
Je cherchais aussi à définir la couleur des nuits, la chaleur des carnations, la teinte et la densité des peaux en fonction des fonds. Ocre, bois, marron, rouille, bronze… voilà un peu de notre palette.
J’ai cherché à travailler les fonds avec des aplats de couleur. Nous avons modifié les fonds des décors notamment au tribunal avec ces boiseries (dont on a cherché avec des essais la teinte) pour créer notre propre contraste entre les visages et les fonds.


Pour la chaleur des nuits, j’aimais les sources (essentiellement de la LED et des Asteras) à 2 000 K avec un réglage caméra entre 3 200 K et 3 800 K.
Très tôt, Alice m’a montré des tableaux, des tableaux de Rembrandt, des modèles noirs peints par Cézanne. Il y avait aussi Grape Wine, de Andrew Wyeth, portrait d’un vagabond, qui utilise les éléments caractéristiques de la Renaissance. Les détails, la richesse de la palette des bruns et le travail entre la figure et le fond résonnaient avec les recherches du film.
Je pense aussi à La Ferronnière, de Léonard de Vinci (tableau qui est au Louvre), un tableau que j’ai beaucoup regardé, et qui est même devenu une référence de composition.
Nous avons aussi évoqué le Procès de Jeanne d’Arc, de Bresson, pour son travail sur la répétition, un même cadre avec des variations dans les fonds…
Enfin, il y a eu les photographies d’Harry Gruyaert… dans lesquelles la couleur et la lumière structurent les espaces, où la picturalité naît du réel.
J’ai choisi la RED Gemini prise à 1 600 ISO avec des Leitz M0.8.
La peinture a une place importante dans mon travail en général, elle me nourrit et me ressource. Elle me touche et me donne envie de faire des images.
Saint Omer est un film de portraits, de visages. Des visages qui se révèlent au fur et à mesure, dont j’ai cherché à capter la complexité. Faire d’une certaine mesure petit à petit abstraction du décor, oublier un peu la fonction de chacun et se concentrer sur leur humanité.
J’ai adoré canaliser la lumière, accentuer les directions tout en préservant (souvent espérant…) les variations de la lumière naturelle… un exercice il est vrai souvent périlleux.
Je crois que le plus dur était de trouver le bon équilibre entre intervention et légèreté, entre composition (un film très cadré) et sobriété, entre les plans fixes et la possibilité de traverser la ville avec 40 m de travelling, entre précision picturale et fausse teinte…
Rappelons que film a obtenu le Lion d’argent - Grand Prix du Jury ainsi que le Prix Luigi De Laurentiis du Meilleur premier film lors de la 79e Mostra de Venise, en septembre dernier.
Équipe
1re assistante opératrice : Sarah Dubien2d assistante opératrice : Noémie Commissaire
Chef électricien : Benoît Bouthors
Chef machiniste : François Diard
Etalonneuse rushes : Evy Roselet
Etalonneuse : Mathilde Delacroix
Technique
Matériel caméra : Panavision (RED Gemini et série Leitz M0.8)Matériel lumière : Panalux
Laboratoire : M141