Séance de Q&R avec Marcel Zyskind, DFF, à propos du film "As In Heaven", de Tea Lindeburg

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Présenté en sélection "Contemporary Wolrd Cinema", As In Heaven est le premier long métrage de la réalisatrice dannoise Tea Lindeburg. Elle est accompagnée à la photographie par Marcel Zyskind, DFF. Le film, porté par un casting principalement d’enfants, tourné en pellicule, à petit budget et s’articulant autour d’un sujet tabou est, malgré tous ces périls, une réussite totale, révélant l’admirable regard de Marcel Zyskind, à la fois pudique et grandiose, dans un 35 mm granuleux et ensoleillé. Le film navigue entre rêve et réalité, s’astreignant à la plus stricte subjectivité du regard porté par une enfant sur des éventements dont l’ampleur la dépasse et qui pourtant bouleverseront sa vie. Le chef opérateur, grand habitué du festival, et la réalisatrice étaient présents lundi pour répondre aux questions du public après la première projection du film. (MC)

Le scénario est l’adaptation du roman de Marie Bregendahl, En dødsnat, traduit A Night of Death en anglais, et jamais traduit en langue française. Il relate la nuit où la jeune Lise, aînée d’une grande fratrie dans une ferme danoise en 1880, perd sa mère lors d’un accouchement particulièrement compliqué. La question de la maternité semble hanter jusque la genèse du film, puisque la réalisatrice raconte avoir trouvé le livre sur les étagères de sa propre mère, et l’avoir lu juste après avoir elle-même donné naissance à un fils, il y a environ neuf ans. Ces conditions auront sans aucun doute permit au film de s’imprégner d’une aura toute particulière, féminine et sincère, pleine d’une empathie profonde envers chaque personnage. La réalisatrice complète : « Plus de 300 000 femmes meurent encore chaque année en donnant naissance à leur enfant », pourtant le sujet est rarement évoqué au cinéma, et encore moins montré.

La réalisatrice explique avoir trouvé le roman très visuel : « Sa lecture était déjà presque une expérience cinématographique ». Pourtant, son adaptation propose d’intéressants détournements, tout en restant fidèle au ton, approfondissant notamment le personnage de Lise. La jeune fille devient en effet dans le film le personnage principal, alors que le roman était plus choral et narré d’un point de vue omniscient. Le film prend le parti de se placer dans le regard de la jeune fille, lui donnant par ailleurs plus de profondeur. Au-delà d’une tragédie familiale, il parle également de la destruction des rêves d’une jeune fille, qui cesse en une nuit d’être une enfant pour devenir une femme. La scène du rêve notamment, ouverture du film, est un ajout qui n’apparaissait pas dans le roman. A propos de cette scène, Marcel Zyskind explique qu’elle a été tournée en préparation. En effet, la scène se déroule dans un champ de blé, sous un soleil étincelant. Le tournage étant prévu en septembre, cette scène devait absolument être tourné en juin, avant que les champs ne soient fauchés. Le tournage de la scène en préparation a également permit au chef opérateur de convaincre le producteur de la nécessité de tourner le film en pellicule.

Comme le chef électricien du film est également présent dans le public, Zyskind interagit avec lui pour essayer de nous représenter les différentes installations lumière. Pour les scènes d’intérieur nuit, qui composent une grande partie du film, ils se rappellent avoir travaillé dans un clair-obscur légèrement sous-exposé, dont les teintes chaudes devaient compléter l’éclairage à la bougie et lampe à huile. Ils tournaient de jour, en borniolant les fenêtres, parfois avec des toiles moins occultantes, pour laisser une légère entrée de jour imitant un clair de lune. En extérieur nuit, ils se servent du décor vallonné pour placer trois SkyPannels en hauteur et imiter la lueur de la lune.

La préparation est courte, et se dédie surtout à la recherche de décor. En effet, le budget limité empêche de re-créer ou ré-aménager entièrement des corps de ferme pour les resituer dans l’époque. L’équipe finit par trouver des musées, sur une île danoise, ayant gardé intact les intérieurs de ces logements. Il faut néanmoins réaménager les lieux pour les nécessités du tournage, notamment déplacer les chambres vers des pièces plus grandes, car les petites chambres d’époque ne permettent pas à la caméra de prendre suffisamment de recul.

Le reste de la préparation est dédié à la relecture du script et à l’établissement d’un langage cinématographique qui sera propre au film. Les scènes les plus complexes, notamment celles faisant appel à des VFX sont découpées et story-boardées, ainsi que les premières scènes tournées. Le film est tourné quasiment dans l’ordre du montage, et pour la réalisatrice et son chef opérateur, il est important d’avoir un ancrage auquel se raccrocher, au moins les premiers jours, afin que toute l’équipe comprenne la direction.

Le reste est moins préparé. Le duo raconte avoir parfois préparé rapidement, la veille pour le lendemain. Marcel Zyskind précise : « On a parfois tout remanié au dernier moment pour une idée survenue à la vue du décor le matin. Le film avait trouvé son style et les choses étaient devenues très naturelles. » L’équipe reste ouverte aux aléas et aux surprises. Ils racontent s’être arrêtés un soir au bord de la route, à la fin de la journée de tournage, pour filmer un plan de coucher de soleil particulièrement marquant. La flexibilité restant toujours au service du ton du film. L’équipe tourne avec très peu de machinerie, sans dolly. Quelques jours de Steadicam sont prévus, mais pour le reste les mouvements de caméra ne peuvent être faits qu’à l’épaule. Il y a peu de prises, la contrainte de la pellicule étant renforcée par les spécificités d’un tournage avec des enfants, dont l’attention volatile contraint à l’efficacité.

La réalisatrice révèle un réel enjeu dans l’esthétisation des images : « On voulait créer un monde beau, avec beaucoup de lumière, car c’est une histoire triste mais on ne voulait pas dépeindre un cadre de vie horrible et pénible, on souhaitait aussi montrer la joie et l’insouciance des enfants. » Zyskind accompagne les enfants dans leurs jeux avec une caméra épaule virevoltante et sensible. En termes d’esthétique, il confie s’être inspiré des tableaux de L. A. Ring. Puisque les lumières se veulent naturelles et chaleureuses, la couleur est apportée par les costumes et la décoration. Le rouge notamment est traité avec beaucoup d’attention, éliminé de tout élément de décor ou costume, pour rendre la présence du sang plus frappante, et traduire avec plus d’intensité le choc de Lise à sa vue. La nature est omniprésente à l’image, elle constitue le monde dans lequel les personnages grandissent, et est traité presque comme un personnage. Ses teintes vertes englobent tout le film, et viennent se poser en opposition avec le rouge, rendant sa présence encore plus saisissante.

(Compte rendu rédigé par Margot Cavret pour l’AFC)

Dans le portfolio ci-dessous, quelques tableaux de Laurits Andersen Ring (1854-1933), dont s’est inspiré Marcel Zyskind.