Technicolor à Camerimage : perspectives du métier à Hollywood

Par François Reumont pour l’AFC

La Lettre AFC n°248

Une table ronde organisée par Technicolor a réuni principalement les directeurs de la photographie américains Ed Lachman, ASC (Life During Wartime, Erin Brokovitch, Ken Park), Steven Poster, ASC (Donnie Darko, The Box, Amityville the Awakening) et Matthew Libatique, ASC (Requiem for a Dream, Black Swan, Iron Man). Lancée autour de l’évolution de leur métier, la discussion s’est vite engagée entre un Ed Lachman plutôt nostalgique de la pellicule et un Steven Poster, toujours aussi vif et éloquent, pour qui « le film est désormais de l’histoire ancienne ».
Ed Lachman, micro en main, Steven Poster et Matthew Libatique lors de la conférence Technicolor - Photo F Reumont
Ed Lachman, micro en main, Steven Poster et Matthew Libatique lors de la conférence Technicolor
Photo F Reumont

Prenant pour exemple la fermeture récente du dernier laboratoire photochimique new-yorkais, ce dernier pense que les fabricants de pellicule ne pourront pas continuer économiquement à en fournir pour les tournages. « Ils perdent de l’argent, et ça ne va faire qu’empirer d’année en année », affirme-t-il.
Un triste état de fait que conteste Ed Lachman, qui rappelle que « depuis l’invention du cinéma numérique, on ne cesse de nous rebattre les oreilles avec le fameux " look film " que tous les constructeurs de caméras ou de projecteurs cherchent à émuler, alors que dans l’autre sens, on n’a jamais entendu qui que ce soit tourner en film, et chercher à ce que ça ressemble à du numérique ! » Et d’ajouter : « Il y a une profondeur infinitésimale dans la pellicule film et ses différentes couches sensibles couleur que la planéité parfaite du capteur numérique est incapable de dupliquer. De même, le fait que les grains changent à chaque image renforcent encore cet effet vivant qu’il est très difficile de simuler en numérique. »
Constatant que 40 longs métrages se sont encore tourné en pellicule en 2014 aux USA, pourquoi alors abandonner le film qui donne de très bons résultats, qui reste une référence et qui simplement permet à l’opérateur d’avoir un outil en plus pour créer l’image d’un film ?

Abordant le sujet de la postproduction, et notamment le temps passé en étalonnage numérique, Matthew Libatique s’est insurgé au sujet de cette chaîne qui est trop souvent mal exploitée. « Le numérique donne simplement trop de possibilités après le tournage. Je me souviens très bien qu’à l’époque du film, les relations avec le réalisateur et l’étalonnage se résumaient à quelques allers retours, quelques points de cyan en plus ou en moins, et on validait ensemble une copie et tout le monde était content.
Avec le numérique, ça devient interminable. On passe jusqu’à quatre semaines dans une salle étalonnage, et même au bout de quatre semaines, parfois on revient en arrière et on change encore des choses. Honnêtement, je n’aime pas faire le travail deux fois. Moi je cherche, dans l’idéal, à reproduire exactement l’idée que j’avais sur le plateau... Je n’ai que faire d’une caméra capable d’encaisser des contrastes extrêmes, pour ensuite que le réalisateur cherche pendant des heures son image à l’étalonnage. Depuis le début de ma carrière, je recherche cette précision de création en direct, et ça ne m’intéresse pas vraiment de reporter les décisions après la prise de vues. »
Un avis bien tranché qui vient à point nommé face aux futurs développements envisagés par les fabricants de caméra.