"The Tragedy of Macbeth" & l’ouverture de Camerimage

"Ombres projetées", par Clément Colliaux, ENS Louis-Lumière

A l’occasion de la présence, au 29e Camerimage, d’étudiants de l’ENS Louis-Lumière, de La Fémis et de la CinéFabrique, l’AFC leur propose de contribuer d’une manière ou d’une autre aux articles publiés sur le site. Clément Colliaux, étudiant en 3e année à l’École nationale supérieure Louis-Lumière, est le premier à se lancer dans l’aventure en revenant sur la soirée d’ouverture du festival et sa vision du film de Joel Coen photographié par Bruno Delbonnel, AFC, ASC.

Écran noir, allumage de projecteur, lumière – ainsi démarre The Tragedy of Macbeth et avec lui l’édition 2021 du festival Camerimage.
Après une cérémonie expansive en accolades, discours et congratulations, où se sont notamment succédés élus polonais et récipendaires des prix de l’année 2020, vient finalement le moment de faire le vide : The Tragedy of Macbeth, premier film "solo" de Joel Coen et nouvel opus de sa collaboration avec Bruno Delbonnel après La Ballade de Buster Scruggs (2018) ou Inside Llewyn Davis (2013). Mais on est loin, dans cette adaptation de Shakespeare, de la photographie de ce dernier et de cette image très diffusée, presque ouatée, qui caractérise parfois le style de Delbonnel. Dans Macbeth, ils visent l’épure : noir & blanc extrêmement précis, ratio Academy, lumières dures ciselées, symétrie implacable et minimalisme architectural et décoratif s’articulent autour du célèbre texte.
Tourné entièrement en studio, le film plonge dans cette esthétique dépouillée, où le monde semble disparaître dès que l’on dépasse les contours de la scène. Tout juste est esquissée l’allure d’un château dans le lointain ou une forêt en ombres chinoises sur la toile d’une tente. Une esthétique que l’on aurait vite fait de qualifier de "théâtrale", et qui ajoute à la vacuité de l’entreprise de Macbeth, déchiré pour une couronne sans valeur, tentant vainement d’obtenir le pouvoir sur un territoire ici complètement virtualisé. C’est d’ailleurs le texte, en off sur fond noir, qui débute le film.

Après cet écran noir, le son d’un interrupteur accompagne l’arrivée de la lumière. Un effet sonore qui reviendra deux heures plus tard pour clore le film. Si la fidélité au texte et à son médium fait une grande part du film (“The text is the text”, nous disait Joel Coen en séance de questions-réponses), l’un des intérêts de Macbeth tient peut-être notamment dans la dualité de ses premières secondes. Réduire le plus possible l’apparat du cinéma autour du texte et du dispositif théâtral va en réalité venir mettre en lumière tout ce qui relève des outils qui lui sont propres. Tempo, proximité aux personnages pour partager leurs dilemmes ou plans larges pour appuyer la vanité de leur entreprise, métaphores visuelles, transitions aidées d’infographie, composition, design sonore, contrastes de lumière. Autant d’éléments qui, quand ils fonctionnent de concert, forment probablement les instants les plus réussis du film, comme les jeux de rythme qui entourent les gouttes d’eau ou de sang s’écoulant inéluctablement. Comme le présage des trois oracles vient réveiller une soif peut-être déjà en sommeil chez Macbeth, ce choix d’une approche dépouillée rappelant le théâtre agit comme révélateur de ce qui fait mise en scène de cinéma. Un révélateur joliment paradoxal, comme lors de la scène de la dague au bout du corridor, où Macbeth, dans son avancée sous les arches, traverse alternativement la forte lumière et l’obscurité, en même temps serviteur des ombres et exposé dans sa macabre détermination. De quoi mettre à mal l’expression "théâtre filmé". Philippe Rousselot en parlera d’ailleurs à son tour le lendemain matin à propos de Thérèse (Alain Cavalier, 1986).

On peut se demander si The Tragedy of Macbeth ne serait pas également le révélateur du type de films mis en avant dans la compétition principale de Camerimage. La démarche assez "hermétique" du film, qui fait disparaître son hors-champ, ne laisse finalement à voir – avec les performances des acteurs et actrices – que sa cinématographie. La part de réel qui pourrait filtrer à travers les décors, les accessoires, les imprévus sont retranchés derrière l’exercice de style. Les murs cessent de figurer un lieu, une époque, une vie imprégnée et deviennent des canevas sur lesquels la lumière va venir se poser, les costumes se réduisent à leurs textures cinégéniques. On retrouve d’ailleurs une architecture brutaliste assez proche de celle de Dune (Denis Villeneuve, 2021), également sélectionné dans la compétition, qui crée une atmosphère hors du temps et met en avant la force des compositions. Un cinéma assez contrôlé, complètement mental, "stable" (le seul panoramique potentiellement troublé, suivant rapidement un personnage tombant au sol, semble d’ailleurs stabilisé en postproduction). Le film "maison de poupée" millimétré The French Dispatch n’est peut-être pas si loin non plus. L’association mise en scène et direction de la photographie, ligne directrice du festival, est effectivement ce que nous avons ici le plus à voir.