Tommy Maddox-Upshaw, ASC, revient sur la mise en image de la série "The Man Who Fell To Earth", réalisée par Alex Kurtzman

Le migrant interstellaire
Prolongeant plus que ne reconstituant le film culte de Nicholas Roeg (The Man Who Fell To Earth, 1976) – où David Bowie incarne un extra-terrestre à la recherche sur Terre d’un moyen de sauver sa propre planète – la série TV éponyme réadapte le roman d’origine en y injectant une bonne dose de modernité. C’est l’impeccable comédien britannique d’origine nigérienne Chiwetel Ejiofor (Dirty Pretty Things, Twelve Years a Slave...) qui prête désormais ses traits au visiteur d’une autre galaxie, tandis que Noémie Harris (la mère dans le film Moonlight) y interprète la terrienne qui va être forcée de l’accompagner dans sa mission. Le scénario signé Alex Kurtzman et Jenny Lumet saisit bien sûr l’opportunité de montrer la réalité sociale de l’Amérique actuelle, comme en écho à cette nouvelle de science fiction où le thème de l’étranger est au centre du propos.
Tommy Maddox-Upshaw est le maître d’œuvre des images. Il revient avec nous sur les défis posés par le tournage de cette série, produite entre l’Espagne et le Royaume-Uni, et diffusée depuis avril 2022 sur Showtime. (FR)

Comment décririez-vous cette série ?

Tommy Maddox-Upshaw : Je n’ai jamais considéré ce projet comme une classique histoire de science-fiction. Pour moi la phrase clé de dette série, c’est vraiment de mettre en images un film dramatique dans le contexte d’un film de science-fiction. C’est de cette manière qu’on a travaillé sur le scénario, car de toute façon c’était exactement comme ça qu’il avait été écrit. On voulait que le langage visuel renforce et mette en écho cette sorte de quête de notre protagoniste sur ce que c’est d’être humain. Et dans le cas précis de cette adaptation, ce que ça veut d’ire d’être noir aux USA. C’était avant tout une recherche d’émotions, sur la base du travail de Jenny Lumet, la scénariste (afro américaine elle aussi), et Alex Kurtzman le metteur en scène. Où se situent les réponses émotionnelles, les éléments qui font déclencher ces émotions dans l’histoire. Cette recherche basée sur le ressenti plutôt que le visuel pur nous a amené par exemple vers E.T., de Steven Spielberg, ou vers Nomadland, de Chloé Zao, deux films assez différents mais dont les contextes émotionnels nous parlaient. Et c’est peut être le film où la dimension SF est une des plus émouvantes au cinéma. Et Nomadland pour son côté très intime entre tous ces personnages qui sont un peu comme des étrangers dans l’espace américain actuel.

Olatunde Osunsanmi, Alex Kurtzman, Bill Nighy, Chewetiel Elijifor et Tommy Maddox-Upshaw sur le plateau
Olatunde Osunsanmi, Alex Kurtzman, Bill Nighy, Chewetiel Elijifor et Tommy Maddox-Upshaw sur le plateau

L’ouverture est très mystérieuse, annonçant une narration en flash-back. Dès les premières images dans la salle de concert, on est frappé par la présence à l’écran de Chiwetel Ejiofor.

TMU : Dans cette séquence d’ouverture, où on découvre le protagoniste sur scène, dans ce lieu très solennel qu’est le Royal Albert Hall de Londres, je pensais qu’il fallait le placer dans un espace visuel très moderne, très précis dans l’image et presque parfait. Le contraste, la définition était pour moi primordiale de manière à l’élever et le présenter comme ce scientifique noir de premier plan, un gourou de la tech qui vient faire cette conférence devant la salle bondée.

Photogramme


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Pour toutes ces raisons, je suis parti sur une série anamorphique Panavision G, dont j’aime beaucoup le rendu. Alex et moi avions aussi en tête les grands classiques de la SF à l’écran, comme Alien, tournés en Scope et qui offre pour moi une vision presque chirurgicale de l’espace, en anamorphique. Pour autant, je ne comptais pas garder la même série d’optiques pour toutes les scènes. En fait, j’aime beaucoup jouer sur les différences notamment entre prise de vues sphérique et anamorphique, même à l’intérieur d’une séquence. C’est pour cette raison qu’on est allé discuter avec Dan Sasaki à Panavision Woodland Hills pour mettre au point toute une palette de rendus entre un espace anamorphique tel que dans la scène d’ouverture et des variations sphériques, notamment pour filmer les antagonistes (la famille de Hatch qui contrôle beaucoup de choses et qui va apparaître dans les épisodes suivants) ou tout ce qui concerne la CIA... L’idée étant que Faraday (Chiwetel Ejiofor) quitte peu à peu son espace anamorphique pour évoluer dans une image sphérique, le tout dans le contexte d’une prise de vues en plein format (avec la caméra Venice en 6K)

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Et l’arrestation par les flics au Nouveau-Mexique... Là, on est dans un mélange très réussi entre l’humour et le drame.

TMU : Cette scène de l’arrestation de Faraday est un bon exemple du mélange entre l’anamorphique et le sphérique... Là, j’ai décidé de changer d’optiques dans le champ contre-champ. Tout ce qui est dans l’axe de Faraday est en sphérique, tandis que tout ce qui se passe du côté des policiers est en anamorphique. Ça me semblait pertinent d’associer un rendu un peu froid, et très précis à l’action quasi industrielle et codifiée des policiers américains... En contrepoint jouer la carte plus douce sur lui qui tente de comprendre la situation. La lumière, avec ce contre jour froid et cette fumée en arrière plan est pour moi une sorte d’hommage aux Rencontres du troisième type, dans une version du coup inversée ! L’extra terrestre tentant de comprendre soudain les règles et les coutumes de ces étrangers débarquant menaçants avec de la lumière et de la fumée. Une autre référence majeure avec Alex soit dit en passant avec E.T...

Tommy Maddox-Upshaw au viseur de champ
Tommy Maddox-Upshaw au viseur de champ


Changer d’objectif, même à l’échelle du plan permet selon moi au spectateur de répondre émotionnellement, même si c’est inconscient et de mieux souligner le moment, l’action.
Bon et puis il faut que je vous avoue que cette scène a dû être tournée de jour pour des raisons de plan de travail. C’est sans doute aussi une des raisons de son côté un peu différent d’un extérieur nuit classique. Pour cela, on a construit une énorme tente au-dessus de l’arrière cour de ce garage auto. Un truc immense suspendu par une grue de travaux public, qui nous permettait à la fois d’éclairer comme de nuit, et de laisser suffisamment d’amplitude de déplacement, notamment quand Faraday débarque au début de la scène, et trouve la manche d’arrosage.

La grue supportant la tente
La grue supportant la tente


Sous la tente
Sous la tente


Son interrogatoire par la policière un peu narquoise... C’est presque du Jan de Bont période Basic Instinct   !

TMU : On est tous les deux des grands fans des années 1980-90. C’est pour cela qu’on n’a pas hésité à rajouter l’extracteur avec son hélice en arrière plan qui crée les mouvements sur le contre-jour et les stores... Un vrai hommage, tout en le photographiant avec des optiques modernes, ce qui donne tout de même une variation. Dans cette scène, on doit en tant que spectateur ressentir la détresse et la désorientation de Faraday qui continue à lutter pour comprendre la situation. D’où le très haut contraste, les directions de lumières très latérales ou en contre, à l’opposé d’un éclairage en douche plus typique d’un commissariat. Il y a un côté "Faraday" contre tout le reste qu’on a gardé. Regardez le master de profil, avec les deux comédiens assis l’un en face de l’autre, même si on est en focale large ça reste très géométrique. C’est là ou j’apprécie vraiment le travail de Dan Sasaki qui est capable de me proposer en format large des optiques suffisamment tolérantes pour les visages, tout en conservant une excellente structure d’image, sans déformations ou aberrations géométriques bizarres. J’ai aussi beaucoup aimé utiliser l’optique macro Laowa 24 mm, qui a une forme de long périscope, et qui permet des mises au point extrêmement rapprochée tout en couvrant le plein format de la Venice.

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Cette scène est en studio ?

TMU : Oui, comme tous les autres intérieurs, à Londres. Pour tous les extérieurs du premier épisode censés se dérouler au Nouveau-Mexique, on est allé s’installer en Espagne pour imiter les USA. Forcément, il faut un peu enfoncer le clou à l’image pour convaincre le spectateur que vous y êtes. D’où certaines scènes se déroulant dans un décor typique comme le magasin de préteur sur gages ou le dîner qui arrive un peu plus tard. C’est très important de garder le spectateur dans cette espèce de palette visuelle, et de bâtir peu à peu les choses, surtout sur une série avec de multiples personnages, et autant de lieux à venir. Vous savez, en tant que spectateur, quand vous vous retrouvez un peu perdu sur une série entre tous ces éléments c’est vraiment pas bon signe !

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Avez-vous tourné l’intégralité des 10 épisodes ?

TMU : Non, je n’ai pas tourné la série dans son intégralité. Seulement les 4 premiers épisodes, plus la moitié de l’épisode final. Ça a représenté pour moi environ 60 jours de travail.

Revenons sur les extérieurs au Nouveau-Mexique... On y est même si c’est tourné en Espagne !

TMU : On a dû faire avec les conditions météo. Si les repérages s’étaient déroulés en Andalousie sous un soleil de plomb, le tournage s’est lui déroulé bien plus tard à cause du Covid. C’était le début de l’hiver avec des passages pluvieux réguliers, et un ciel souvent voilé. On a dû complètement revoir nos plans et accepter que les scènes paraissent moins ensoleillées, ou carrément avec des fausses teintes. De toute façon les plans et le découpage prévus étaient tels que je ne pouvais vraiment pas envisager de recréer le soleil artificiellement, tout au plus assombrir certaines zones à l’aide de grands cadres noirs, et redonner un peu de brillance avec une ou deux sources. Vous ne pouvez pas, de toute façon, en tant que directeur photo, vous battre contre ça... Et puis, parmi les références que j’ai citées, il y avait Nomadland, dont les extérieurs sont presque tous tournés en lumière disponible, avec un côté très réaliste et vivant qu’on avait en tête. C’est donc comme ça qu’on a procédé sur ces scènes...

Set-up en Andalousie
Set-up en Andalousie


Et la tornade ?

TMU : Ah oui, la scène de la tornade forcément était à part. Là, j’ai dû être un peu plus agressif en matière de contrôle de lumière pour conserver cette sensation de personnage qui s’enfonce dans obscurité. Là, les cadres suspendus et les 18 kW HMI sont les bienvenus !

La scène finale de l’épisode 1 se déroule dans une forêt, très éloignée du reste... L’image est aussi beaucoup plus fantasmagorique.

TMU : Dans cette scène, la forêt agit comme une sorte d’espace où le personnage se retrouve téléporté mentalement. On ne sait pas vraiment où se passe cette scène... Est-elle sur terre ou sur la planète d’origine de Faraday ? Nul vraiment ne le sait à cette étape de la série. En tout cas, c’était important de faire une cassure très nette avec le reste, et d’offrir quelque chose de spectaculaire. Là, on est en sphérique, avec une LUT spécialement mise au point pour l’apparition du personnage de Thomas Newton, et qui va le suivre sur le reste de la série. C’est bien sûr un moment que beaucoup de gens attendent, car Bill Nighy reprend le personnage interprété il ya 40 ans par David Bowie. Il faut forcément que visuellement la scène soit à la hauteur, avec une tonalité différente du reste. Personnellement, c’est un moment qui m’a immédiatement fait penser à cette scène de Contact, de Robert Zemeckis, quand Jodie Foster se retrouve téléportée à la fin du film. C’est pour cette raison que je me permet pas mal de liberté en terme d’éclairage sur ce décors... J’ai disposé volontairement trois soleils, beaucoup de contre jour... On n’est pas sur terre. A cette étape de la série, ce n’est pas un endroit réel. Même s’il va le devenir plus tard dans les épisodes suivants...

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(Propos recueillis par François Reumont, pour l’AFC)