Une prière avant l’aube

A Prayer Before Dawn
A l’occasion de la sortie sur les écrans, le 20 juin 2018, d’Une prière avant l’aube, de Jean-Stéphane Sauvaire, lire ou relire l’entretien accordé par le directeur de la photographie David Ungaro, AFC, à propos de son travail sur le film, en Sélection officielle Hors compétition lors du 70e Festival de Cannes.

Entretien avec le directeur de la photographie David Ungaro, AFC, à propos de son travail sur "A Prayer Before Dawn", de Jean-Stéphane Sauvaire

La danse du ring
Pour A Prayer Before Dawn, le nouveau film de Jean-Stéphane Sauvaire (auteur du remarqué Johnny Mad Dog, en 2008), David Ungaro, AFC, s’est plongé dans l’univers carcéral et dans celui de la boxe thaïlandaise. Un film coup de poing sur la véritable histoire de Billy Moore, jeune délinquant natif de Liverpool, incarcéré en Thaïlande pour trafic de drogue dans la prison de Klong Prem. Sa pratique de la boxe thaï va peu à peu lui permettre de survivre et de se sortir de cet enfer...
Retour sur un tournage entre Thaïlande et Philippines pour ce film présenté à Cannes en Séance de minuit. (FR)

Êtes-vous familier de la boxe thaï ?

David Ungaro : Pas du tout ! Mais je connais bien le pays pour y avoir tourné de nombreuses fois... Pour A Prayer Before Dawn, le réalisateur, Jean-Stéphane Sauvaire, a passé près d’un an en repérages, notamment pour trouver les décors parfaitement adaptés à l’histoire. Personnellement je ne suis arrivé qu’assez tardivement sur le projet – j’ai remplacé un autre directeur photo qui n’était plus disponible –, et je me suis lancé dans ce tournage mené tambour battant (27 jours) qui repose finalement beaucoup sur l’humain et sur la réalité. Un film tourné entièrement dans des décors naturels, des prisons désaffectées ou même en activité, et des seconds rôles qui étaient presque tous des ex-détenus, meurtriers, trafiquants de drogue, et autres ex-condamnés.

David Ungaro à la caméra pendant le tournage de “A Prayer Before Dawn”
David Ungaro à la caméra pendant le tournage de “A Prayer Before Dawn”

Comment le réalisateur travaille-t-il ?

D.U : Jean-Stéphane a une méthode qui est à la lisière entre le documentaire et la fiction. Il s’appuie sur quelques comédiens professionnels pour les rôles principaux, puis s’entoure d’un "casting sauvage" pour tout le reste, donnant au tournage une spontanéité à laquelle il faut s’adapter en tant qu’opérateur. Prendre place dans le décor avec tout ce petit monde, répéter à partir de la situation dramatique décrite par le scénario, et mettre au point peu à peu la matière du plan. Pour cela pas de "moteur !" ni de "coupez !"
Au bout d’un moment on tourne, en général en plan séquence d’une dizaine de minutes, et le décor se travaille comme un véritable objet dans lequel le film prend soudain vie. L’idée c’est vraiment de laisser les choses se dérouler... Un peu comme dans une sorte de réalité qui aurait été provoquée.

Comment avez-vous tourné le film ?

D.U : Tout a été fait en mouvement, la plupart du temps caméra portée à l’aide d’un dispositif gyrostabilisé Stabe One que je manœuvrais avec l’aide d’un exosquelette. Pour pouvoir limiter au maximum le poids sur le Stabe One, j’ai choisi la caméra Arri Alexa Mini. Avec une association de micromoteurs, cette petite caméra devient un outil extrêmement maniable et léger. L’ensemble dépasse à peine les 7 kg, ce qui fait une très grosse différence avec une solution film 35 mm où on a du mal à descendre en dessous des 25 kg. La plupart du film a été tournée à 1 000 ISO sur la Mini car c’est à cette sensibilité que je retrouve la matière qui me plaît dans l’image numérique. Au niveau de la prise de vues, presque tout était tourné à pleine ouverture à 2 ou à 2,8, et l’assistante opératrice thaïlandaise, qui s’est chargée du point, était vraiment sur le coup. Certes il y a certains passages de flou, mais ça fait partie de l’énergie communiquée par l’image et par le film.

Pas de zoom ?

D.U : Je n’aime pas beaucoup filmer au zoom. La contingence de poids minimal m’a logiquement dirigé vers ces focales fixes. Des Zeiss Mark I assez anciennes mais que j’aime beaucoup, et surtout qui sont très légères et très compactes.... La quasi intégralité du film a été tournée en combinaison entre le 25 et le 35 mm, avec quelques plans plus serrés au 50 mm. Du coup j’ai souvent filmé l’objectif collé à l’épaule des comédiens ce qui, pour les séquences de combat, était un vrai défi. Certains plans ont été faits aussi en montage véhiculaire, en adaptant le Stabe One sur une Western Dolly, chariot ou voiture travelling. Cette technique est de plus en plus utilisée, c’est une solution rapide pour passer d’un "set up" à l’autre, tout en conservant en permanence la caméra équipée dans la même configuration pour les assistants.

Et en lumière ?

D.U : Le film a été tourné avec 800 000 euros. Face à ce genre de budget, on n’a pas vraiment, en tant qu’opérateur, l’opportunité d’avoir beaucoup de lumière. Tout a été tourné avec trois blondes et trois mandarines et une petite face LED, le reste étant le résultat du travail avec le chef décorateur pour intégrer les sources lumineuses dans les décors.
Avec des sources provenant plus d’une grande surface de bricolage que de chez un loueur de cinéma ! A vrai dire cette volonté de coller à la réalité sans styliser me plaît beaucoup, c’est dans cette direction de mélange de lumières caractéristiques de l’Asie du Sud-Est que le film est fait. Beaucoup de séquences reposent par exemple sur une association entre des fluos très froids et des ampoules tungstène parfois dimmées jusqu’à 20 %, ce qui donne cette balance très particulière entre des ombres très froides et des peaux brillantes.
Sur A Prayer Before Dawn, il y a par exemple la séquence de nuit dans la cour de la prison où on peut observer ce mélange entre des petits bacs halogènes, comme ceux utilisés dans les jardins, et de la lumière mercure, très froide en contrepoint.

Pourquoi avoir tourné aux Philippines ?

D.U : Toute la dernière séquence a été tournée là-bas, dans une des rares prisons en activité qui autorisent pourtant les tournages. Ce complexe situé à Cebu est en fait dirigé par un ancien détenu qui a à cœur de privilégier les démarches de réinsertion des prisonniers, notamment à travers la danse et les arts. Pour la petite histoire, c’est là que Michael Jackson avait tourné en 2010 son clip "They dont care about us" dans lequel une gigantesque chorégraphie avec les prisonniers avait été réalisée. Quelques petits aménagements en matière de déco ont été prodigués, notamment pour effacer les quelques signes religieux catholiques en décalage par rapport à la Thaïlande, mais autrement le lieu raccorde parfaitement avec le reste du film.

Quels ont été vos défis en particulier ?

D.U : Il y a trois grands combats dans le film qui ont nécessité quand même un peu plus de répétitions. Que ce soit pour le comédien principal qui devait apprendre les enchaînements, que pour moi à la caméra, de façon à trouver une sorte de chorégraphie commune en toute sécurité.
D’un point de vue cinématographique, on a d’abord choisi une forme très syncopée et très chaotique pour ce premier combat, un moment assez instinctif où on sent que le personnage ne sait pas encore vraiment se battre... Où chaque coup est lâché sans vraiment réfléchir. Des plans très courts, très nombreux et une image bien contrastée.
Le deuxième combat, en extérieur jour, est beaucoup plus clair, avec une sensation de plans séquences plus présente. Enfin le troisième combat, de nuit, a vraiment été le plus difficile à réaliser car on voulait à la fois atteindre le niveau de violence du premier tout en travaillant sur des plans séquences comme le second... Là on est arrivé à la limite physique des comédiens et ça peut devenir dangereux !

Des accidents ?

D.U : Non, tout s’est bien passé... Rien de cassé, même sur des bagarres presque improvisées comme celles qu’on peut voir dans certaines scènes de cellule. Il faut dire que les boxeurs professionnels qui jouaient dans le film sont de vraies machines à répéter exactement ce qu’on leur demande de faire. Leur placement avec la caméra est d’une précision inouïe, et le rythme et l’amplitude de leurs gestes sont parfaitement contrôlés. C’était pour moi extrêmement agréable de travailler avec eux et de me sentir dans une sorte de chorégraphie au milieu d’un tel déchaînement d’énergie.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)