Willy Kurant, vu au travers de quelques témoignages
• Michel Baudour, SBC
Voici que disparaît le premier opérateur avec lequel j’ai commencé ma carrière en janvier 1967.
Le Départ, de Jerzy Skolimowski avec Jean-Pierre Léaud.
C’était toujours avec beaucoup de joie et de sympathie que nous nous croisions soit rue Francœur, soit à des réunions d’Imago.
Un chef op’ d’une grande simplicité et d’une gentillesse malgré mes erreurs de débutant dans la carrière.
Nous avions dû refaire une scène de nuit , vers 4 heures du matin, car j’avais ouvert le magasin du Caméflex, par inadvertance sous la lumière de la lampe de service…
Willy m’a dit : « Ne t’inquiète pas, nous retournons la scène ».
Nous avons retourné la scène mais quand même développé la bobine voilée… qui n’était voilée qu’au bord des perfos.
Willy, un découvreur, un homme de talent et un ouvert aux autres.
• Jean-Noël Ferragut, AFC
Tu faisais partie de ceux qui, à l’AFC, attiraient l’œil, tel feu l’ami Jean-Jacques ou encore Pierre-William, arborant, à l’extérieur comme à l’intérieur mais toujours avec élégance, un superbe couvre-chef.
Ne "portant pas le chapeau"… de manière permanente et quand tu n’étais pas en tournage ou ne voyageais pas à l’étranger, tu étais de toutes nos réunions, que ce soit les conseils d’administration – au cours desquels tes remarques pouvaient être cinglantes en plaisanterie – ou d’autres plus conviviales, comme le Micro Salon à La Fémis ou les projections d’avant-première, ces soirées que tu ne voulais, accompagné d’Hélène à ton côté, rater sous aucun prétexte.
Tu ne lésinais pas non plus au moment de prendre la plume et d’écrire pour la Lettre de l’AFC nombre de billets, sur un film dont l’image t’avait particulièrement marqué, une Master Class à laquelle tu avais participé – telle celle pour L’Industrie du rêve à La Fémis –, un jury de festival dont tu avais été membre – comme celui de la Caméra d’or où tu as représenté une année l’AFC –, et cela dans ce style quasi télégraphique qui te caractérisait, laissant penser que, dans une vie antérieure, tu avais dû être employé des Postes et Télécommunications ou, mieux encore, au ministère de l’économie des mots...
Paix à ton âme, cher Willy !
(Texte lu lors des obsèques de Willy Kurant)
• Eric Gautier, AFC
Willy Kurant a eu une influence considérable sur mes années d’apprentissage. Des films comme Flagrant désir (Claude Faraldo, 1985), Sous le soleil de Satan (Maurice Pialat, 1986) et Charlotte for Ever (Serge Gainsbourg, 1986) m’ont marqué par leur style fort et prononcé, par un sens impressionnant de la dramatisation, par la création d’un climat envoûtant, toujours différent d’un film à l’autre. Outre leur audace formelle et technique, c’est leur diversité, leur inventivité et la puissance du cinéma dans la photographie qui ont été exemplaires pour moi. Le malaise naissant de la douceur diffuse et du soleil dans le premier, la sècheresse et la violence des effets de soleil très contrastés pour le second, et les effets de lumière irréels et formidablement gonflés (le visage de Charlotte Gainsbourg uniquement éclairé par sa main qui réfléchit le contre-jour violent des Ciné King dans ses cheveux) pour le troisième.
Willy Kurant a travaillé avec de grands metteurs en scène : outre les trois sus-cités, il faut ajouter Orson Welles, Agnès Varda, Jerzy Skolimowski…
C’est à l’occasion de l’édition DVD de Masculin féminin, dont Willy a assuré le nouveau report en vidéo, que j’ai eu envie d’évoquer avec lui cette expérience avec Godard, essentielle dans sa vie. Ce film a "lancé" sa carrière brillante.
J’ai eu aussi envie d’évoquer avec lui son parcours initial. Cette question intéresse et fascine tous les débutants, puisque qu’il n’y a aucun parcours type, et que le destin, les rencontres, les choix,la vie donc, forgent un chemin propre à chacun…
(Introduction à l’entretien paru dans le n° 4 de la revue Lumières - les cahiers AFC, août 2010)
• Jimmy Glasberg, AFC
J’ai connu Willy dans les années soixante, on se croisait parfois sur le plateau de Dim Dam Dom… Au fil des années, nous avons toujours échangé sur la profession. Notre expérience commune de grand reporter à la camera, au Vietnam notamment, nous embarquait sur des conversations concernant nos débuts.
Willy, tu étais un fervent connaisseur du travail de Dziga Vertov et de son frère Boris Kaufman, opérateur de Jean Vigo, qui a fait une grande carrière hollywoodienne. Nous parlions souvent de l’évolution de notre métier. Du travail avec la caméra portable, du "cinéma direct" et des différents styles de cinématographie.
Willy, tu appréciais, comme moi, le travail de la lumière expressionniste du cinéma allemand des années vingt, fondatrice du style hollywoodien. Tu dominais, avec talent, aussi bien la lumière naturelle, que nous avions appris à gérer avec peu de moyens dans le reportage, que la lumière artificielle en studio. On ressentait dans ton travail ta grande culture cinématographique.
Willy, tu connaissais très bien les travaux de laboratoire. Il m’est arrivé de te demander conseil pour le traitement de certains de mes films (sans blanchiment, sur ou sous-développement).
Willy, tu étais caustique et même parfois acerbe, ce qui compliquait tes rapports à autrui, mais tu étais très sensible et souvent cohérent sur tes points de vue. J’ai écouté avec grand intérêt ton intervention à la Cinémathèque où tu évoques dans un long discours ta grande et brillante carrière professionnelle.
Willy, tu resteras dans ma mémoire comme un authentique "Homme à la caméra", un "cinématographer" de grand talent, sensible et passionné par notre profession.
• Agnès Godard, AFC
Je connaissais le travail de Willy Kurant, j’ai connu l’homme à l’occasion de la fabrication de la revue Lumières éditée par l’AFC, il était membre du comité de rédaction.
Ses questions et ses commentaires m’ont révélé comment, à partir d’un parcours singulier le menant du reportage à la fiction, il a inventé des images puissantes et variées, celles reconnaissables d’un très grand directeur de la photographie.
C’est ce que j’ai tenu à exprimer à la Cinémathèque française, lors de la rétrospective qui lui était dédiée en 2013.
« A chaque fois que j’ai vu une image faite par lui, que ce soit en noir et blanc ou en couleur, en caméra portée ou sur une machine au mouvement très lyrique, j’ai toujours eu l’impression que ces images se trouvaient sous le regard de Willy exactement. C’est comme s’il avait pris des risques, mais en toute sécurité : c’est le paradoxe et la force de son travail. J’ai compris à sa rencontre que tout cela tenait à la fois à une très haute technicité et à son regard, sa personne… Dans ses images, époustouflantes, je sens la conviction et la force d’une présence humaine et d’un œil, le sien. »
(Texte lu lors de ses obsèques)
• Gilles Henry, AFC
J’ai rencontré Willy Kurant sur le film Sous le soleil de Satan, de Maurice Pialat. J’ai commencé le film comme assistant de Luciano Tovoli, avec qui j’avais travaillé sur Police et d’autres films. Après quelques jours de tournage, Luciano est tombé malade, Maurice a donc contacté Willy Kurant avec qui il avait fait des courts métrages en Turquie, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à travailler avec lui, je garde un très grand souvenir de cette période.
Willy avait toujours un moyen créatif pour accompagner ce projet très compliqué, pour toutes les séquences d’extérieur nuit, Willy avait fait fabriquer chez Harrison des filtres lui permettant de créer une nuit américaine, ce qui donne à ces séquences un rendu très particulier, fonctionnant parfaitement avec ce que voulait Maurice. Tout le film a été une succession de partis pris très audacieux de la part de Willy, se remettant en recherche sur chaque plan pour pouvoir faire évoluer ce projet, il était toujours d’une humeur égale du matin au soir, malgré l’intensité du tournage qui était vraiment stimulante.
Willy a contribué énormément au fait que le film ait reçu la Palme d’or à Cannes.
Ensuite je l’ai accompagné sur d’autres longs métrages et films publicitaires avec toujours un grand plaisir.
• Jean-Paul Meurisse, cadreur et chef opérateur
J’ai tourné un film au cadre en 1985 avec Willy Kurant. Il s’agit de Flagrant désir, de Claude Faraldo, avec des comédiennes comme Marisa Berenson ou Lauren Hutton. Ces femmes très belles, Willy les rendait éblouissantes simplement en lumière sans filtrage ni bidouillages au niveau de la caméra. J’étais fasciné par l’efficacité et la beauté de sa lumière avec des emplacements de projecteur précis et vite trouvés.
Plus tard, beaucoup plus tard, appelé au cadre par Philippe Garrel, en 2011, sur Un été brûlant, je retrouve Willy, en Italie, avec Louis Garrel et Monica Bellucci, suivi un an plus tard de La Jalousie avec Louis Garrel et Anna Mouglalis. Willy toujours aussi rapide et d’une grande faculté d’adaptation.
Adieu Willy !
• Jean-Paul Toraille, premier assistant et chef opérateur
J’ai eu le plaisir de travailler comme assistant avec Willy Kurant sur le film de Philippe Garrel Un été brûlant. Tourner à Rome, à Cinecittà, sous la direction de ces deux techniciens, cela ne manquait pas d’intérêt...
Je n’avais jamais travaillé auparavant avec Willy Kurant mais j’ai tout de suite remarqué son attention à comprendre et traduire en images les paroles et directives de Philippe. Philippe Garrel laisse une grande liberté à son chef opérateur à condition que celui-ci respecte quelques principes ! Comme travailler caméra à l’épaule, même pour les plans fixes, en principe ne pas utiliser d’autres sources que tungstène, etc.
Willy se pliait sans rechigner à ses exigences, il comprenait vite et bien. Avec Philippe, on tourne dans l’ordre du scénario, on répète autant que l’on veut mais on ne tourne qu’une seule prise ! Alors pour la lumière, c’est aussi un challenge. Leur travail sur ce film est tout à fait abouti.
Avec la disparition de Willy Kurant, nous avons perdu un grand chef opérateur.
• Eric Vaucher, chef opérateur du son
J’ai travaillé sur deux films dont Willy Kurant était le directeur de la photographie. Deux films cultes, barges, ratés et réussis, expérimentaux, adorés et détestés, c’est selon et ce n’est pas le sujet. Deux films dont nous avons partagé les multiples aventures : Équateur et Charlotte for Ever. Donc mon souvenir de Willy restera intimement lié à celui de Serge Gainsbourg.
J’étais perchman sur les deux, encore un peu débutant sur le premier, Équateur, en 1982-1983, un peu moins sur Charlotte For Ever, en 1986. Dans les deux cas, le souvenir d’un réel plaisir de pouvoir promener sans beaucoup de soucis une perche au gré des mouvements de la caméra et des comédiens.
Peut-être parce que Willy, en tant qu’ancien reporter, savait qu’une image sans son n’a pas beaucoup d’intérêt. Aussi parce que Serge accordait une grande importance au son direct. Et puis je n’oublie pas ses chefs électriciens (Serge, Pierre) qui savaient admirablement placer le petit volet au bon endroit.
Rétrospectivement j’ai été admiratif des prises de risque de Willy sur Équateur : quelques bougies dans un dispositif "façon", un support en bois tapissé de papier d’alu, posé à côté de la caméra sur un pied Cremer, voilà pour la face ; pour le contre, un 250 et un demi-bleu. Je me souviens du petit clin d’œil complice de Willy à mon égard, regardant sa Spectra dont l’aiguille n’avait même pas bougé !
Pas de retour vidéo, pas de rushes, mais certainement une grande complicité avec le laboratoire. Et puis les arcs, utilisés en entrées de lumière latérales, particulièrement dans la séquence du procès, faisant luire les peaux des figurants noirs massés dans ce hangar surchauffé. Sublime.
Sur Charlotte For Ever, tout en studio à Billancourt, moins d’inconnu puisque la salle de projection était au bout du couloir, mais de la belle lumière "à effet", avec des partis pris bien assumés. Beaucoup de contres et des faces quasi inexistantes, si ce n’est la petite ampoule pour le point de brillance dans les yeux.
Et le souvenir d’une remarque peu sympathique de Willy sur mon polo au crocodile dont la couleur – rouge – faisait office de réflecteur donnant au comédien une carnation rose du plus bel effet ! Le lendemain j’étais, comme il se doit, en noir...
Et, là aussi, des 225 ampères pour des entrées de lumière, dont le bruit des moteurs était assez peu compatible avec le filet de voix de Charlotte.
Et ce plan à la Louma, perchée à 6 ou 7 mètres de haut, dont Alain Masseron dira plus tard qu’il a certainement été le plus compliqué qu’il ait eu à faire au niveau de l’installation dans toute sa carrière. Plan de fin du film, qui permet de voir le décor et tout le dispositif de lumière ainsi que la totalité du plateau, dont ce sera un de ses derniers tournages.
Adieu Willy !
En vignette de cet article, Willy Kurant réglant une lumière de contre-jour sur Anne Roussel lors d’une Master Class à La Fémis dans le cadre de L’Industrie du rêve, en 2005 - Photo Jean-Jacques Bouhon