Xavier Dolléans, AFC, évoque le tournage des six épisodes de "Germinal", de David Hourrègue

Des noirs bien charbonneux

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Partenaire de longue date du réalisateur David Hourrègue, le directeur de la photographie Xavier Dolléans, AFC, l’a déjà suivi sur plusieurs séries comme "Cut" (France Ô) ou "Skam" (France TV Slash). Le duo s’étant bâti une certaine réputation grâce au succès de ces programmes, c’est avec la même équipe de production qu’ils se sont lancés sur leur première "grosse machine". En l’occurrence une nouvelle adaptation en six épisodes du roman "Germinal", tournés pour 12 millions d’euros. Une série diffusée en clair par France Télévisions qui est un des événements d’octobre 2021 pour la chaîne du service public. C’est aussi un événement pour Xavier, puisqu’il est pour la première fois en compétition à Toruń pour la meilleure image de pilote TV. (FR)

Le combat d’Etienne Lantier dans les corons. Instigateur d’une grève à l’encontre de la Compagnie des Mines qui a décrété la baisse du salaires des miniers qui subissent déjà des conditions de travail pénibles.

C’est rare qu’une série phare du service public soit confiée à une équipe si jeune, non ?

Xavier Dolléans : C’est vrai qu’on en rêvait un peu. Avoir enfin l’opportunité de se lancer sur une fiction d’ampleur, et pouvoir rassembler le savoir qu’on avait pu acquérir auparavant sur des formats plus courts. Bien sûr, le clip ou la publicité permettent, par exemple, de tester des idées et de les mettre en œuvre avec de vrais moyens mais ça reste très ponctuel. Par rapport à cette histoire de confiance, je dois dire qu’elle était déjà là avec nos producteurs (Alban Etienne et Carole Della Valle). Et c’est ce qui a sans doute compté dans la décision de la chaîne. Quoi qu’il en soit, c’est aussi résolument une adaptation où la jeunesse reprend sa place à l’écran. Dans le Germinal de Claude Berri les acteurs sont tous dans la quarantaine ou la cinquantaine... Ici, notre Etienne Lantier (Louis Peres) a vraiment 25 ans... C’est à mon sens beaucoup plus fidèle au roman, et c’est ce qui change aussi le ton de cette version.

Louis Peres est Etienne Lantier - Photogramme
Louis Peres est Etienne Lantier
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Quels étaient les défis principaux ?

XD : Ils étaient nombreux. D’abord la re-création des lieux. Car plus aucune mine de charbon en activité ne subsiste en France. On a donc dû tout reconstruire, et naturellement faire appel à des VFX (réalisés par Digital District) pour notamment augmenter les arrières plans. Ce premier chantier nous a demandé beaucoup de travail en prépa, tout comme la préparation technique de l’inondation de la mine. En sachant à l’avance qu’on allait devoir tourner en partie sous l’eau, décision a été prise avec l’équipe décors d’Isabelle Quillard de concevoir un décor de fond de mine avec une arrivée de cage d’ascenseur entièrement démontable et waterproof de manière à pouvoir le réinstaller en piscine lors du tournage de l’épisode 6. On a aussi fait beaucoup d’essais optiques, pour déterminer avec cohérence ce qu’on allait utiliser. L’anamorphique s’est imposé pour la texture qu’il donne aux images, surtout pour moi quand on tourne pour une diffusion TV. En effet, on ne retrouvait pas dans les optiques sphériques classiques – encore moins dans les séries full frame modernes – assez de caractère.

Quels ont été vos choix précis sur ce point ?

XD : David est un réalisateur qui aime tourner régulièrement à 50 i/s, même si les plans ne sont pas forcément exploités ensuite au ralenti. J’ai donc pris l’habitude d’équiper en permanence la caméra avec un DN3, de manière à pouvoir passer à sa demande au ralenti sans changer d’ouverture. Ce paramètre, combiné avec mon envie de tourner à des diaphs entre 2,8 et 4 pour donner de la présence aux décors et faciliter le travail du point, m’a dirigé vers la Sony Venice et sa très bonne gestion des couleurs même dans les ombres. Si ma première idée était de tourner en anamorphique avec des optiques couvrant le full frame, pour obtenir l’effet le plus marqué possible, je suis aussi vite revenu à la réalité de la disponibilité très limitée et du prix de ces optiques. En comparant une vingtaine de séries, j’ai finalement sélectionné les Atlas Orion qui cochaient toutes les cases pour ce projet. Un rendu un peu vintage, proche d’une série C de Panavision, avec des flares bleus horizontaux, des défauts sur les bords aux environs de T2.8 tout en restant bien sharp au centre. Un carrossage moderne et standard, et une disponibilité plus facile sur 5 mois de tournage, car ce sont des optiques à un prix d’achat raisonnable.

La Sony Venice et le 65 mm Orion
La Sony Venice et le 65 mm Orion

Ce sont des optiques récentes peu connues pourtant...

Oui, je sais qu’elles souffraient peut être un peu de cette réputation d’optiques bas de gamme... Mais sincèrement j’en ai été très content sur ce projet. La formule optique est ancienne, les corrections ne sont pas parfaites, c’est ce qui donne le caractère ; pour le reste le verre et le carrossage, eux, sont modernes. Nextshot, qui nous a accompagné sur Germinal, en a d’ailleurs acheté une série pour l’occasion, et je sais depuis qu’elles sortent très régulièrement.

Et sur le rendu d’image, avez vous mis au point un workflow précis ?

XD : Oui, les essais sont allés très loin avec le concours de mon étalonneur Karim El Katari. De base, j’aimais bien une LUT que nous avions utilisée précédemment pour un documentaire sur l’Opéra Garnier. C’était une LUT Arri Look Library modifiée avec du vert dans les noirs et des hautes lumières dorées.

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Nous sommes partis visuellement sur la base de cette LUT, que nous avons refabriquée dans l’espace couleur ACES. Sur les conseils de Karim, j’ai pu intégrer à l’équipe Florine Bel, color scientist, pour qu’elle supervise la création des looks. L’idée de départ pour moi était d’obtenir en couleur cette sensation de noir et blanc presque métallique qu’on retrouve dans les tirages de Sebastião Salgado. En me renseignant sur sa technique, j’ai appris qu’il utilisait uniquement de la pellicule TriX 320, soit celle produite par Kodak avant 2007. La TriX actuelle ayant été un peu allégée en sels d’argent, ce qui change un peu la profondeur de ses noirs. Pour mettre au point mon look, j’ai donc déniché quelques rouleaux de TriX d’époque périmés, mais qui n’étaient pas trop voilés. Et j’ai fait une série de photos avec charte et visage en parallèle de prises avec la Venice. Après développement et scan chez Dupon, les fichiers ont été transmis à Florine, qui les a analysés et a pu intégrer à ma LUT d’origine ce rapport de contraste si particulier. Sur le plateau je n’avais donc pas de DIT, et j’utilisais directement sur la Venice les deux looks mis au point, un pour les jours, extrêmement fidèle à ce contraste à la Salgado, et un pour les nuits, où le pied de courbe avait été un peu adouci.

Dans quel codec avez vous tourné ?

XD : On a tourné en XOCN ST quand on ne dépassait pas 3 200 ISO. Au-delà, on passait en XT pour obtenir la meilleure qualité. Pour optimiser la résolution 4K en fonction des optiques, on a tourné en 6/5, les plans à 50 i/s étant réalisés en 4K 4/3 sans perte objective de qualité

Où avez-vous tourné ?

XD : On a tourné essentiellement entre Lille et Valenciennes, sur trois sites principaux : le musée de la Mine à Lewarde, le site historique du 9-9bis à Oignies, et enfin à Wallers-Arenberg, qui est juste à la frontière avec la Belgique. Ce dernier site, en particulier, était pour nous l’un des plus intéressants car il abrite désormais un site audiovisuel avec deux plateaux de tournage de 500 m², et également un pôle de recherche où nous avons pu collaborer avec les étudiants en bénéficiant par exemple de leur travail de photogrammétrie sur les bâtiments historiques de la mine. Les prises de vues se sont déroulées entre octobre 2020 et février 2021, avec une interruption de 3 semaines au milieu à cause du Covid...

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Avez-vous été touchés par le virus ?

XD : On était vraiment très respectueux des consignes, avec un excellent référent, mais avec une équipe de près de 150 personnes et parfois autant de figurants, le virus a fini par s’inviter sur le plateau. Beaucoup de monde a été touché dans l’équipe, y compris moi et David le réalisateur. J’ai été très affecté, perdant à ce moment là 20% de mes capacités pulmonaires. Ce qui m’a forcé en décembre, pendant 3 semaines, à laisser le cadre de la caméra A à Nicolas Bâtisse, venu en renfort pour cadrer à ma place tandis que l’opérateur Steadicam Guillaume Quilichini continuait lui sur la 2e caméra. J’ai ensuite repris le cadre pour les deux mois restants.

Parlons un peu de certaines scènes... Dans le premier épisode, il y a une scène où le groupe de jeunes se retrouve dans un champ. La lumière est très originale, comme entre orage et soleil avec une palette de couleurs très pastel. C’est une scène et une ambiance assez uniques dans la série.

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XD : C’était une séquence importante, pour mettre en place les personnages et pour laquelle on a installé cette longue barrière en bordure d’un champ. Sur le papier, rien de bien compliqué, une simple séquence d’extérieur jour ambiance dorée fin d’été en équipe légère qui serait suivie dans le plan de travail par un deuxième décor de nuit beaucoup plus lourd, pour lequel un prélight avait été fait. Mais c’était sans compter avec la météo épouvantable qui nous a d’abord fait perdre plusieurs heures avant que la pluie ne s’arrête. Profitant d’une éclaircie, on a tourné la scène tant bien que mal dans la boue. Je n’avais à ma disposition qu’un seul 18 kW HMI et quelques prolongs, tout le reste étant mobilisé sur le décor suivant. Jouant avec les rares moment de soleil, travaillant à la cellule afin de conserver, malgré les fausses teintes, la meilleure exposition possible, on a tant bien que mal mis en boite cette séquence. Et, plus tard, en salle de montage, on a pu constater l’ampleur des dégâts. D’autant plus que la séquence était entourée d’autres réellement tournées au soleil. Pour tenter de rattraper l’ambiance, j’ai eu l’idée de changer les ciels. Un sujet qui avait été abordé lors de nos discussions préalable avec l’équipe VFX en prépa. Mais chacun sait qu’il est presque impossible de savoir à l’avance quel plan va voir son ciel changé... Ces derniers étant déjà sous l’eau avec tous les plans dépouillés, j’ai trouvé de mon coté un logiciel de retouche d’images nommé Luminar qui intègre une fonction de remplacement de ciel automatisée faisant appel à l’intelligence artificielle. Après quelques tests sur des captures de plans larges, on a tous constaté l’intérêt de la chose. Les ciels gris d’origine prenant soudain des aspects dorés raccordant avec ce qu’on avait pu distiller sur les avant plans avec notre unique projecteur. Finalement, c’est Nicolas Duval, un graphiste free lance qui a pris de relais pour finaliser la chose en réutilisant les ciels venant de Luminar. À la fin, aussi étonnant que cela puisse paraître, la scène a un peu un côté peinture flamande dont plusieurs personnes m’ont parlé !

Le café l’"Avantage" est aussi un lieu récurrent de la série...

XD : Dans ce décor de café, comme sur d’autres décors, la question centrale pour moi c’est l’anticipation. Comment pouvoir proposer très vite plusieurs pré-lights avec une partie gérée par la console et une autre partie basée sur des outils qui se changent très vite. Par exemple, sur cette séquence dans l’épisode 1, j’ai utilisé le système Dedolight Parrallel Beam, qui est une déclinaison du système mis au point par Christian Berger avec une source unique HMI à très haut rendement, et focalisée à l’infini. En plaçant une série de réflecteurs allant du miroir au blanc diffusant, on dirige la lumière sur un décor exigu en donnant l’impression que les sources sont placées bien plus loin. On n’a pas besoin de nacelles, c’est léger et ça va très vite.

Café "l'Avantage"
Café "l’Avantage"

C’est ce qui fait l’entrée de lumière depuis l’extérieur. L’intérieur du café étant équipé d’un grill technique avec des Par 64, que j’adore et des SL1, commandés sur pupitre. Enfin, à la face, je n’utilise exclusivement que des sources autonomes sur batteries, comme des boules chinoises équipées de plaques de LEDs souples Aladin 30/30. Mon autre source de prédilection étant le Fabric Lite 90x90 de Aladdin, le LiteMat de Litegear, qui me sert aussi très souvent pour éclairer les comédiens.

Il faut naturellement parler des intérieurs dans la mine...

XD : Le décor de la mine était bien entendu un autre enjeu en lumière. Comment donner de la profondeur alors qu’on est censé être dans le noir complet, à l’exception des lampes de mineurs. On a dû prendre une petite liberté avec la réalité historique, en utilisant çà et là quelques lampes pour éclairer les fonds, alors qu’à l’époque chaque homme possédait une lampe unique qui lui était attribuée.

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Concrètement, là encore c’est une histoire de collaboration avec la déco et la mise en scène. Pour cette séquence, par exemple, on s’est placé avec David au croisement de plusieurs galeries, ce qui nous permet d’avoir des passages de figurants en arrière plan, et ce qui me laisse aussi plus de place à la face pour installer un Fabric Lite. Une combinaison de tubes Astera ou Helios étant dissimulés à la demande en arrière plan pour redonner des brillances…

Une autre séquence entre Louis Peres et Stefano Quassetti m’a vraiment fait penser à Titanic... Avec une utilisation de la grue assez assumée.

XD : Parmi les influences principales qu’on a évoquées en prépa, il y avait La Porte du Paradis, de Michael Cimino. Et puis, plus récemment, la série "Peaky Blinders" dont j’aime beaucoup l’image. De toute façon, les briques rouges, les costumes des années 1880, le côté froid dans les ombres créent immédiatement une filiation avec le gothique britannique. Mais c’est vrai avec le recul que les liens avec Titanic ne sont pas sans fondement... On retrouve l’histoire d’amour, la lutte des classes... Et, bien sûr, l’inondation finale. Pour cette séquence assez légère, on a tourné dans un ancien fort militaire près de Lille. Les plans de grue sur cette scène, et comme beaucoup d’autres, ont été effectués avec un Ronin monté sur un bras Octojib.

Octojib et Ronin
Octojib et Ronin

C’est une configuration qu’on a mise au point avec mon chef machiniste Thomas Gros, et qui remplace avantageusement une grue remote. Je cadre alors avec les manivelles du Ronin avec beaucoup de plaisir. Seules quelques séquences ont nécessité l’utilisation d’une grue télescopique Supertechno, comme ce qui se passe dans l’épisode de l’inondation.

Parlons enfin de l’inondation de la mine dans l’épisode 6...

XD : Pour cette séquence, j’ai immédiatement pensé en prépa au studio Lites à Bruxelles. Je les connaissais de réputation, et je recevais leur newsletter. Pour moi, ce sont vraiment les seuls en Europe à pouvoir proposer une telle prestation. Ce qui est super chez eux, c’est qu’ils possèdent un système de grille et de palans sur lequel on installe le décor, permettant la construction au sec, puis son immersion progressive dans l’eau. Il n’ y a donc pas de remplissage, et le niveau de l’eau dans le décor est contrôlé immédiatement par la levée ou la descente du décor. Comme je l’évoquais au début, la chef décoratrice a donc conçu son décor entièrement en métal, avec des partie en résine de manière à ce qu’il soit utilisable dans cette piscine. Des séquences raccord "au sec" ayant été tournées sur ce même décor avant dans le plan de travail, il a été entièrement démonté en France puis, remonté à Bruxelles à la fin du tournage pour ces 3 jours sous l’eau. On a dû aussi travailler en amont sur la lumière, et j’ai en connaissance de cause utilisé "au sec" les mêmes sources qui me seraient par la suite proposées dans le studio sous marin. Seules quelques sources de face ont été rendues étanches par mon équipe, une boule chinoise avec des LEDs et une sorte de Fabric Lite étanche recomposé à partir de 8 tubes Astera dans des coques hydroflex, le tout installé dans la structure diffusante du Fabric Lite.

Le plateau sous-marin chez Lite
Le plateau sous-marin chez Lite


Le décor de la mine avant l'immersion
Le décor de la mine avant l’immersion


Création des softbox Astera hydroflex étanches
Création des softbox Astera hydroflex étanches

En termes de caméras, on a tourné ces scènes avec 4 Sony Venice, deux étaient équipées de housses Scubacam pour faire de la surface, et deux étaient en caisson sous marin, cadrées par des opérateurs plongeurs, dont Wim, le propriétaire des lieux. Des barres de pluie étant en plus installées au dessus du décor pour créer le ruissellement qu’on voit bien sur ces plans, ainsi que des gros tuyaux pouvant déverser avec des électrovannes de grosses quantités d’eau sur commande. Le tout dans une eau à 30°... Un réel confort pour ces séquences compliquées.

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Dans le puits avec l'eau qui monte
Dans le puits avec l’eau qui monte

(Propos recueillis par François Reumont, pour l’AFC)

Germinal
Production : Alban Etienne, Carole Della Valle
Réalisation : David Hourrègue
Directeur de la photographie : Xavier Dolléans, AFC
Scénario : Julien Lilti
Musique : Audrey Ismael
Scripte : Délina Pierre
Décors : Isabelle Quillard
Costumes : Thierry Delettre
Chef opérateur du son : Joseph de Laâge
Montage : Jérémy Pitard et Raphaël Peaud