Hélène Louvart, AFC, revient sur la mise en images de "Romería", de Carla Simón
Par Brigitte Barbier pour l’AFCLa jeune étudiante Marina, enfant adoptée, recherche des papiers administratifs pour s’inscrire à l’université. Grâce à ces recherches et à ce voyage initiatique sur les traces de sa famille d’origine, dans la ville galicienne de Vigo, elle découvre ses secrets et ses dénouements.
Le film est inspiré de la propre histoire de Carla Simón.
Avec (entre autres) Llucia Gárcia, Mitch Martin, Myriam Gallego, Tristan Ulloa.
On peut imaginer que ce sujet très personnel n’était pas simple à raconter et à mettre en images, a-t-il nécessité beaucoup de préparation ?
Hélène Louvart : Oui, effectivement, nous avons beaucoup préparé ce film. Nous sommes allées en repérage à Vigo plusieurs mois à l’avance afin de s’imprégner de la région. Puis on a travaillé scène par scène en "Zoom meeting" pour ensuite établir le découpage dans les décors réels. Carla a fait aussi des répétitions avec les comédiens, un mélange de professionnels et de non professionnels. Dans les scènes où nous filmions la famille, entre les cousins, les oncles, les tantes, les grands-parents, le déplacement des personnages devenait une sorte de chorégraphie, que nous avons reproduit en plans au sol. La scène de repas a été filmée à deux caméras en collaboration avec le cadreur catalan Ramon Sanchez.


La particularité de Romería est de mélanger deux niveaux de narration, une occasion de proposer une image différente tout en gardant l’unité du film. Source d’interrogations avant le tournage…
HL : La réalisatrice ne raconte pas seulement la rencontre de cette jeune fille avec sa famille paternelle mais elle met aussi en scène la pensée imaginaire qu’elle a de ses parents qu’elle n’a jamais connus. Il y a donc deux fils narratifs : un aspect réaliste avec la famille paternelle à l’époque des 18 ans de cette jeune Marina - Llucia Gárcia - dans les années 2000 où le propos traite du quotidien dans cette rencontre avec les oncles et tantes, les grands-parents, les cousins.
Puis il y a un aspect plus onirique pour les scènes de ses parents, qu’elle a évidemment dû imaginer dans les années 1980. On ne voulait pas enjoliver le passé, ni créer des images trop "remplies de bonheur" pour évoquer ses parents. Mais il fallait tout de même que l’on ressente une différence entre le quotidien de Marina et son voyage mental vers ses parents. La subtilité qui renforce l’onirisme de ces scènes réside dans le fait que c’est la jeune fille de 18 ans qui incarne sa propre mère, et le cousin de la famille paternelle qui incarne le père.

Se pose évidemment la question de la juxtaposition de ces deux fils narratifs, le réalisme et l’imaginaire, avec vingt ans d’intervalle, pour que visuellement ce soit compréhensible…
HL : Le découpage n’est pas le même car le point de vue n’est pas le même mais si on fait confiance à l’histoire, on comprend bien que l’on n’est plus dans un monde réel, du coup nous ne sommes pas obligées de le justifier plus que ça à l’image. Et entre filmer une famille entière ou filmer deux personnes qui s’aiment, le filmage est forcément différent car les situations ne sont pas les mêmes.
Il y a un troisième point de vue, celui de Marina, qui ajoute un parfum encore plus personnel à l’histoire.
HL : Effectivement, cette jeune Marina souhaite se lancer dans des études de cinéma et elle arrive à Vigo avec une Handycam qu’elle utilise fréquemment, ce qui rend le film très autobiographique bien évidemment ! Là encore, c’était important de montrer la différence de vision avec une autre manière de filmer. Nous avons fait des essais avant le tournage puis nous avons testé différentes textures à l’étalonnage, en jouant sur le rendu "progressif" et "entrelacé" du support. Carla avait toujours cette petite caméra à la main - la Sony HXR-NX80 - et elle filmait fréquemment les espaces, en se mettant dans la peau de cette jeune fille de 18 ans.

Vous avez tourné sur un bateau à voile, aussi bien en jour qu’en nuit, parlez-nous de votre travail pour ces scènes.
HL : Les scènes de jour qui se passaient sur le ponton ont été tournées sur la Ria de Vigo, qui est un bras de mer, donc plus calme que la pleine mer, avec une équipe réduite, principalement avec le Ronin 2 afin de compenser aisément la bulle. Les scènes de jour dans les cabines ainsi que les scènes de nuit ont été tournées à quai avec l’équipe complète et de l’éclairage extérieur (HMI ou SkyPanel) et des Astera au plafond en intérieur. Pour d’autres scènes, et pas seulement sur le bateau, nous avons également tourné avec le Ronin et j’ai donc opté pour des zooms Angénieux série EZ, 16-42 mm et 28-76 mm afin d’éviter d’avoir à rééquilibrer le Ronin à chaque changement de focale.

Un autre décor important est celui de la maison des grands-parents, avec quel type d’installation avez-vous travaillé ?
HL : Nous avions vue sur la mer à travers les baies vitrées et avec Carla nous souhaitions que l’extérieur puisse rester lisible. Il fallait donc garder une ambiance naturelle tout en rehaussant le niveau à l’intérieur, donc HMI par les fenêtres, cadres de tulle ou gélatines sur les fenêtres, et projecteurs LED avec softboxes au plafond.

Avez-vous eu recours aux VFX, notamment pour les scènes où c’est la même actrice qui joue les deux personnages, Marina et sa maman ?
HL : Oui, pour la rencontre entre la mère et la fille, on a tourné en mode "splitscreen" afin de superposer les deux personnages. Lorsqu’il y avait un contact physique entre la mère et la fille, nous avons bien évidemment utilisé la technique du "face replacement" pour quelques plans avec une doublure. Nous avions story-boardé ces scènes au préalable.
Cette narration à double strate est d’autant plus riche lorsque l’image la soutient, c’est un enjeu très enthousiasmant quand on fait votre métier…
HL : Oui, c’est un scénario très intéressant. Faire exister des parents que Carla n’a jamais connus, même si ce n’est qu’une image de cinéma, c’est réussir en quelque sorte à les rendre "vivants". Carla s’est emparée de ce que le cinéma permet, en réalisant une œuvre sublimant la réalité. Elle est parvenue aussi à reconstruire cet univers de secret de famille avec son point de vue d’adulte, en évitant l’écueil du jugement sur sa famille paternelle.
J’ai travaillé avec une équipe entièrement espagnole, certains que je connaissais déjà lors de précédentes collaborations (Catalans) et de nouveaux collaborateurs de la région Galice.
(Entretien réalisé par Brigitte Barbier pour l’AFC)