Hommage du réalisateur Pierre Oscar Lévy à Jean-Jacques Bouhon

La Lettre AFC n°280

Alors que la Cinémathèque française projettera en avant-première son dernier film, Peau d’âme, le 20 octobre prochain, dont Jean-Jacques Bouhon, AFC, signe l’image, le réalisateur Pierre Oscar Lévy rend hommage au directeur de la photographie disparu le 27 septembre et aux vingt-deux ans de collaboration qui les ont reliés.

Mon camarade, Jean-Jacques Bouhon, est mort ce matin d’un cancer qui l’a emporté trop rapidement.

Comme d’habitude, en bon chef opérateur qu’il était, il a protégé le réalisateur que je suis, en me disant que tout allait bien, que ce n’était rien... Putain, il a toujours eu ce défaut-là, ce con, de ne pas dire quand il y avait un vrai problème, pour ne pas me déstabiliser... J’ai bossé sans discontinuité avec cet homme depuis 1995. Nous étions un vrai couple, on finissait par s’engueuler comme des amants.

J’ai adoré ce mec, on a fait tellement de beaux plans ensemble. C’est cela qui est génial dans le cinéma, c’est qu’on rêve d’un plan, on en parle, on le prépare, et quand on tourne (moi je ne faisais rien, je le regardais faire), la grâce se produit... Souvent, comme un gamin, je disais : « C’est le plus beau plan de ma carrière ! », juste pour rigoler, juste pour dire pudiquement combien j’étais content. Une fois, il y avait une mante religieuse qui tapait de sa patte sur l’écran d’ordinateur de Jean Clottes... On était tous en osmose avec elle... Jean, lui, il faisait ses comptes, et l’insecte battait le rythme. Le 20 octobre, il va y avoir la première officielle de Peau d’âme à la Cinémathèque française, c’est le premier long métrage de cinéma de ma "grande" carrière, et Jean-Jacques ne sera pas là pour râler en chuchotant à propos de l’étalonnage, ou d’un raccord que j’aurais fait au montage à propos de deux plans qui ne devaient pas matcher...

J’ai fini par connaître la plupart de ses secrets. Il était tellement pudique et discret. J’ai fini par tout comprendre de ses réactions. J’ai fini par arrêter de lui en vouloir parce qu’il mettait les fictions bien plus haut que mes pauvres documentaires. Il n’a jamais su que j’avais intrigué pour qu’il fasse la lumière sur des fictions de mes copains (et que j’ai même réussi). Je dis toujours que tous mes copains meurent, mais là, ce n’est pas un copain réalisateur avec qui je n’ai jamais vécu tous les jours. Je me souviens de Jean-Jacques Bouhon qui faisait semblant de ne pas remarquer que je draguais la plus belle des filles qu’on filmait chez l’Oréal... Je me souviens de Jean-Jacques qui m’écoutait gentiment pleurnicher sur mes peines de cœur, alors que lui vivait un enfer sentimental. Je me souviens de ce garçon qui avait été dans le même lycée que moi juste cinq années avant moi, qui faisait de l’escrime comme moi, et qui était toujours partant pour faire des plans, des plans, et là il me laisse en plan, le salaud !

  • Lire ou relire l’article consacré à la projection de Peau d’âme à la Cinémathèque française.