Journal de bord d’essais haute définition en haute altitude

Par Stéphan Massis, AFC

par Stephan Massis La Lettre AFC n°283

Samuel Renollet, de RVZ, m’a appelé en novembre 2017 pour me propose de tester la nouvelle caméra RED Monstro VV 8K et les optiques Sigma en haute montagne, afin d’évaluer le potentiel de cette caméra à grand capteur dans des conditions difficiles et en équipe réduite. Une aventure qui mêle image et alpinisme…

Samuel n’a pas eu besoin de me convaincre longtemps ! J’ai donc constitué une équipe d’alpinistes motivés pour rendre ce projet possible.
J’ai tenu un journal de bord afin que Samuel puisse, depuis Paris, suivre le tournage et partager avec nous toutes nos questions, nos doutes, et nos réflexions. En voici quelques extraits.

Vendredi 5 janvier 2018
Nous sommes arrivés hier soir à Servoz chez Pascal Tournaire. Pascal est photographe de montagne, c’est un ami cher sans qui ce film n’aurait pas été possible tant son expérience, sa connaissance du massif et ses nombreux contacts ont été précieux.
Jean-Michel Poulichot (premier assistant caméra) et moi poursuivons les essais que nous avions commencés chez RVZ.
C’est une chose que de préparer une caméra pour une fiction, et c’est vraiment un autre défi que de préparer la caméra pour de la haute montagne, en quasi autonomie, en équipe très réduite, mais avec un désir d’image… Il faut trouver les bons compromis, la bonne config.
Même en ayant une certaine expérience des tournages en montagne, cet arbitrage n’est pas évident. Mille questions se posent : la protection de la caméra, les sacs, la gestion des rushes, des batteries, le transport du matériel…

La tempête Eléanora s’est abattue sur le pays. Les prévisions météo ne sont pas bonnes du tout et pourtant il y a une petite fenêtre de beau temps qui s’annonce pour demain. Vu toutes nos interrogations, nous décidons d’aller faire des essais en situation pour éprouver nos choix. Cette sortie sera aussi l’occasion de nous acclimater à l’altitude.
Pascal organise donc une séance photo à l’Aiguille du Midi (3 842 m) avec un fort guide, Philippe Batoux, qui grimpera dans du raide. Nous en profiterons pour filmer la séance.

Samedi 6 janvier 2018
Réalité de la montagne : à 8h, la compagnie du Mont-Blanc annonce l’ouverture à 10h30 de la benne pour monter à l’Aiguille du Midi. Mais le vent forcit, on apprend que finalement la benne ne fonctionnera pas aujourd’hui.
On décide donc d’aller aux Grands Montet (3 300 m). Cette fois-ci, on ne se déplacera pas sur une arête comme nous l’aurions fait à l’Aiguille du Midi, mais sur un glacier. On change notre fusil d’épaule, notre matériel… jusqu’à apprendre que les Grands Montet ferment eux aussi.
Nous allons donc au Brévent. C’est beaucoup moins haut (2 525 m), tant pis pour l’acclimatation. De toute façon nous devons essayer de nous déplacer et de filmer.

Au Brévent, Pascal et Philippe ont repéré une arête plâtrée de neige avec en fond l’Aiguille verte. C’est un très joli spot situé juste derrière la station de la benne.
Pour s’y rendre, il faut descendre un petit rappel pas raide, dans la neige.
Ça y est, nous entrons dans le vif du sujet et tout de suite apparaissent les difficultés.
Je porte le sac caméra Manfrotto que nous a gentiment prêté François Gallet – premier assistant caméra de Tout là-haut, de Serge Hazanavicius, photographié par Rémy Chevrin, AFC. Le sac, déjà lourd et volumineux, n’a pas d’accroches pour un piolet. Ce n’est pas grave pour aujourd’hui, mais c’est évident qu’il faudra que mon piolet soit à portée de main, comme à chaque fois en montagne.
On aménage une petite terrasse dans la neige pour pouvoir poser nos affaires et sortir la caméra. Il apparaît aussi immédiatement qu’une fois la caméra sortie, on ne la rangera dans le sac que le tournage terminé ou en cas de gros changement de décor. Je me déplace sur la pente raide, mes mains sont occupées pour assurer mon déplacement. On avait prévu une sangle sur la caméra afin que je puisse la porter en bandoulière pour ce cas de figure. Mais la sangle me scie l’épaule, là aussi, il faudra penser à une solution plus confortable.
Nous avions envisagé deux options d’alimentation pour la caméra : soit la batterie déportée dans un sac, ce qui permettrait d’avoir une caméra plus légère, soit une Vlock et un hotswap à l’arrière de la caméra. Cette dernière solution est plus lourde, mais il apparaît comme une évidence que la caméra doit être un seul objet bien compact.
D’autre part, on comprend aussi qu’on ne peut pas avoir plusieurs configs comme je l’aurais souhaité (cadrer à l’épaule avec le viseur ou avec la caméra sur les genoux à l’écran).
Chaque gramme compte, les manipulations dans le froid, la neige, le vent, et avec les gants, sont complexes. Imaginer deux configs avec un ajout de matériel n’est pas sans conséquence. Il faut aller au plus simple.
Philippe Batoux commence à grimper, assuré par Agathe.
Le grimpeur au premier plan, l’Aiguille Verte en arrière-plan, c’est vraiment beau ! Le 8K et le ratio 2,40 prennent tout leur sens dans ce genre d’ambiance !

Je fais différents plans, en 8K et en 4K. Suite aux essais qu’on avait fait à Paris, je mets devant l’optique un Classic Soft 1/8, et un ND21 pour tourner entre 4 et 5,6. Le pare-soleil Abracam est certes léger, mais trop fragile. Les pattes de fixation en plastique rendues cassantes par le froid ne résistent pas longtemps.

Cette journée test est riche en enseignements. On repense plus justement certaines options de notre config caméra. Pour faire simple on va essayer de transformer la Monstro en caméra de JRI : compacte, légère, solide, mais qui sera malheureusement peu modulable. Nous avons réduit au maximum les accessoires autour de la caméra. La configuration technique est des plus basique : viseur RED, moniteur 5’’ RED, follow focus ff4, LMB5, poignées bleues.
Le 8K est exigeant au point, et le viseur de la RED n’est pas assez performant. Il faudra donc que Jean-Michel soit le plus souvent possible à mes côtés. Ce qui veut dire qu’il faudra qu’il y ait systématiquement deux personnes pour nous assurer chacun. Surtout sur le glacier, où nos deux poids réunis vont mettre à rude épreuve les ponts de neige.
Le sac Manfrotto de la caméra n’a pas réussi l’examen montagne en équipe réduite. Nous travaillons donc sur la customisation de gros sacs d’expédition afin d’allier tournage et montagne.

Le soir, nous avons une réunion avec les trois guides du projet, Olivier Pujol, Julien Michel, et Yann Delevaux. Nous décidons des différents décors. On parle organisation, portage, matériel, navette des rushes etc. Nous arrêtons un plan de travail en fonction des dernières infos météo.

Nous partirons mardi matin à l’aube pour Courmayeur en Italie. Nous déposerons Marie Guédon de Be4Post et son matériel de backup à l’hôtel et nous prendrons la première benne du Skyway pour se rendre au refuge Torino (3 375 m) qui sera notre camp de base. Nous y laisserons une partie de notre matériel (chargeurs, vêtements de rechange, régie) pour partir en montagne tourner une première scène sur le glacier et repérer aux jumelles l’accessibilité de nos décors des prochains jours.
J’aimerais que nous passions au moins deux ou trois nuits au refuge Torino puis en fonction de ce que nous aurons réussi à faire, soit nous poursuivrons sur place, soit nous reviendrons en France pour tourner des séquences à l’Aiguille du Midi ou aux Grands Montets.

Mardi 9 janvier 2018
9h : Départ de Chamonix pour Courmayeur.
Première journée bien chaotique, Courmayeur est sous la neige.
La météo n’est pas bonne et les prévisions sont mauvaises. Il y a trop de vent et le Skyway, le téléphérique qui monte à Torino, est fermé et nous ne savons pas à quel moment ils le ré-ouvriront.
Il semble que la haute montagne se refuse à nous. J’imagine un plan B : nous allons rester en vallée, on ira faire des plans dans la forêt de Servoz, derrière le chalet de Pascal… Tout ça pour ça…
Armando Chanoine, le patron du refuge Torino, est confiant : il est sûr que le téléphérique ouvrira en fin de journée. Même si les prévisions météo pour les prochains jours sont pessimistes, je suis convaincu que nous devons monter et faire le siège là-haut, quitte à rester bloqués au refuge. Il faut être sur place, prêts à profiter de la moindre accalmie pour sortir faire des images. En tout cas rester dans la vallée ne nous servira à rien.

Vers 15h, on nous annonce qu’on peut monter. Enfin !
On gare notre minibus devant le quai de chargement du téléphérique. Six personnes qui partent tourner en montagne pour trois à cinq jours, ça commence à faire du matériel. Nous sommes bien chargés, c’est une vraie petite expédition.
Au refuge, nous sommes accueillis par Mauro et Armando. Ils nous ouvrent le quartier des guides, et ont réservé une belle chambre de princesse pour Caroline. On est vraiment bien reçu.

C’est la tempête. Tandis que Jean-Michel installe tout notre matériel, Pascal, Julien, Yann et moi partons en repérage. Nous affrontons un grésil incroyable. C’est épique !
On n’a pas vu grand chose mais nous avons pu faire la trace jusqu’au décor où j’aimerais tourner demain. Et ça nous a permis au moins de faire une chouette première photo d’équipe, les vêtements et le visage couverts de givre.
On se couche, en ayant arrêté un programme pour le lendemain car, contre toute attente, la météo annonce une accalmie.

Mercredi 10 Janvier 2018
Premier jour de tournage. Je passe la tête par la fenêtre. Il fait beau !
Petit déjeuner à 6h30. On sort à 7h.
Notre premier décor est juste à coté du refuge. On profite des lumières sublimes du matin, puis le temps change radicalement. Le vent se lève, le brouillard s’installe. On tourne à présent dans une lumière polaire. Il fait très froid (-25° C).
On fait peu de prises. C’est à peine si nous répétons. Plusieurs raisons à cela : d’abord il s’agit d’essayer de profiter au maximum de la neige immaculée. Ensuite, la lumière change si vite que le temps de faire une prise et de se remettre en place, nous nous retrouvons souvent dans une toute autre ambiance. Alors si je veux avoir la chance d’avoir deux valeurs pour une même séquence, il faut aller très vite. La tâche de Jean-Michel Poulichot est d’autant plus complexe. Il a fait de vraies prouesses de focus puller : assurer le point sans répétitions, sans Hilti qui ne fonctionnait pas dans ces lumières, avec le seul écran RED, en 8K, cela mérite que je lui tire publiquement mon chapeau !

Vers 11h, nous rentrons au refuge pour faire une pause.
Le personnel du Skyway a gentiment accepté de nous servir de messager. On leur confie les rushes de la matinée qu’ils donneront à Marie restée en vallée.
Après un copieux déjeuner et une petite sieste, on s’équipe pour aller sur le deuxième décor du jour : le Petit Flambeau (3 407 m).
Pascal et Julien partent nous installer une main courante pour nous faciliter l’accès.
On tourne des séquences dans une lumière fantomatique incroyable. La Dent du Géant se devine à travers la brume. C’est magnifique, je suis curieux de voir si le capteur 8K saura rendre grâce à toutes ces subtilités de la nature.
La nuit commence à tomber, on coupe après avoir fait quelques plans au crépuscule. C’est à la frontale qu’on rentre au refuge. Ce fut une excellente première journée !
C’est incroyable, contre toute attente et en dépit de toutes les prévisions, la météo s’améliore. Nous avons eu raison d’aller provoquer la chance.

Jeudi 11 janvier 2018
Petit déjeuner 5h30, départ 6h.
On tourne une scène devant une grosse crevasse avec le Mont-Blanc en arrière-plan éclairé par la lumière du soleil levant. Encore une aube incroyable !
Tenir la caméra donne chaud, mais les acteurs qui sont obligés de nous attendre ont froid. Caroline rentre au refuge se réchauffer tandis que Yann et moi allons voir de près une rimaye observée la veille et dans laquelle nous souhaiterions tourner. Je vais pouvoir me mettre dans la crevasse, et le plan en contre-plongée avec vue sur la Dent du Géant sera très beau. Yann et Julien sécurisent le "plateau" pour filmer. Ce n’est pas simple de trouver des points d’ancrage dans la rimaye mais l’expérience des deux guides est précieuse.
Le soir, de retour au refuge, nous pourrons voir sur un iPad les rushes de la matinée précédente qui ont été apportés par le personnel du Skyway. C’est bien de voir des rushes. C’est nécessaire.

Vendredi 12 janvier 2018
Petit déjeuner 7h. Départ 8h pour une arrête qui se trouve au début des Marbrées. Jean-Michel et moi descendons en rappel dans un couloir de neige pour filmer l’ascension de Yann.
On s’installe comme on peut, en s’assurant au jumar sur les cordes fixes installées par nos guides. Le confort est rudimentaire mais on est heureux ! On est content d’être dans le vide, en montagne, et filmer !
Nous terminons cette séquence vers 10h30 et nous repartons au Petit Flambeau faire la deuxième séquence de grimpe.

12h30 : nous improvisons un petit repas sur le sommet du Petit Flambeau : saucisson, mars gelé, fruits secs et thé chaud. Frugale, mais réconfortant !
Nous coupons vers 15h. Repos, repas.

Vers 19h30, nous ressortons pour tourner des scènes de nuit. Mes seuls projecteurs sont nos frontales et un petit A-Light Aladdin que je confie à Julien le guide, qui se plait à devenir électro. C’est l’occasion de pousser la caméra dans ses retranchements. On filme même le ciel étoilé. Je devine la trame du capteur au viseur, mais le résultat sera impeccable aux rushes. Même à 3 200 ISO, la caméra ne bruite pas.

Samedi 13 janvier 2018
Petit déjeuner 8h.
Au pied du Grand Flambeau, nous avons un joli cadeau du hasard : des chocards, ces oiseaux des montagnes, viennent jouer avec Yann et Caroline. On improvise une séquence et ce sera le clap de fin.
Il nous reste à faire quelques sons seuls. Et oui, le son a été le parent pauvre de ces tests. Faute de budget nous sommes partis sans chef opérateur du son, avec juste un micro branché sur la caméra (un grand merci au passage à Thomas Guytard et A4audio ). Outre que c’est une chose complexe à gérer en plus de tout ce qui concerne l’image, c’est évident qu’on ne peut faire de bon son sans chef op’ du son !

En quatre jours de tournage, nous avons eu des ambiances lumineuses si variées… Des montagnes qui se devinent dans la brume, aux plaines enneigées baignées d’un soleil très fort, des aubes très douces, des lumières aux contrastes extrêmes… J’ai le sentiment que le capteur a fait des merveilles et a su rendre ces atmosphères subtiles et contrastées avec une très grande fidélité.
La taille du capteur donne un souffle à la prise de vues et propose une grammaire qui devrait intéresser beaucoup de metteurs en scène. On peut tourner avec des focales relativement longues pour faire des plans pourtant larges. Cela permet, par exemple, de filmer un comédien au premier plan avec une focale flatteuse pour le portrait, tout en conservant une présence du décor en arrière-plan. On retrouve des profondeurs similaires à ce que permet le Scope anamorphique, en ayant la facilité et la légèreté du tournage en optiques sphériques. Le capteur en VistaVision est peut être un énième épisode d’une course marketing, mais pour ma part, je trouve que cette évolution permet enfin de ne plus regretter l’argentique en proposant une solution technique impossible auparavant et qui a de très belles conséquences artistiques.

Ce fut une expérience très riche. Plein de petites choses pourraient et devraient être améliorées, mais il n’en reste pas moins que nous avons pu tourner avec une caméra à grand capteur dans des conditions très rudes. Rien que pour ça nous pouvons saluer RED et Sigma !

  • Le film sera projeté lors du Micro Salon le vendredi 9 ou samedi 10 février.
    Découvrez le film

Dans le portfolio ci-dessous, quelques photos de tournage et photogrammes.